Rediffusion

Éclaboussés par les images – à propos de L’Imagement de Jean-Christophe Bailly

auteure

De l’image au réel, le rapport n’est pas pour Jean-Christophe Bailly celui de la duplication – ni de l’amoindrissement qui lui est traditionnellement associé : bien au contraire, l’image, faisant irruption dans le film du visible, ricoche, se déploie, se propage en autant d’ondes qui composent la puissance du sensible. De cette césure, au sein de laquelle l’image s’installe pour mieux ruisseler à son tour, les photographies de Thibaut Cuisset forment un brillant exemple. Rediffusion du 10 mars 2020

« Poi piovve dentro a l’alta fantasia… »
(Puis dans ma haute imagination tomba comme une pluie…)
Dante, Purgatoire.

 

Dans son dernier essai, L’Imagement, Jean-Christophe Bailly dit et montre qu’une image est comme un galet jeté dans l’eau, qui tombe et fait des ricochets : c’est la dilatation d’un choc, le prolongement d’une onde, une césure qui se relance et rebondit… Ce livre fait vivre avec intensité (l’intensité d’une écriture patiemment engagée à penser cette force de propagation) ces deux aspects : la manière dont toute image arrête (décide d’arrêter) le film du visible ; et la façon dont ce « dépôt » lance dans le monde sensible une ligne, qui s’étire et se propage, dans l’émission durable d’un sens et ses rebonds dans le regard.

L’Imagement rassemble une série d’interventions écrites entre 2002 et 2018, et creuse ce double mouvement d’arrêt et d’élongation ; il ne s’agit pas d’interroger le bombardement perceptif dont nous faisons désormais l’objet, ni d’adopter la perspective des media studies ou des flux numériques, mais d’affronter avec constance une question énigmatique, sans laisser l’art derrière soi : celle de la puissance singulière libérée par des images prises une à une. Le recueil est solidaire des travaux de Georges Didi-Huberman, Jean-Luc Nancy, Jacques Rancière ou Marie-José Mondzain, tous attentifs au régime de parution et de déploiement des images.

Il fait aussi écho à d’autres livres de Bailly, déjà consacrés aux images : L’Apostrophe muette (1997) se penchait sur les portraits du Fayoum, ces premiers exemples d’une peinture mimétique, surgie à la jonction de la civilisation égyptienne et de la première chrétienté, portraits où les visages des morts nous adressent éternellement leur image, comme un envoi, une émission : une apostrophe en effet, où depuis leur rien les morts viennent nous chercher, pour que quelque chose continue de se répandre. Le Champ mimétique (2005) explorait les conditions d’avènement de l’image et la naissance, en Gr


[1] Jean-François Balaudé, La vérité des images selon Épicure : Perception, rêve et désir, in : Dossier : Phantasia [en ligne]. Paris- Athènes : éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2004.

[2] Je me permets de citer : Marielle Macé, « Viens, dit l’allée », in Europe, numéro spécial « Jean-Christophe Bailly », n° 1046-1047-1048, juin-août 2016.

[3] En écho au titre du recueil composé avec Philippe Roux : Passer définir connecter infinir, Paris, Argol, 2014.

[4] Jean-Christophe Bailly, Le Propre du langage, voyages au pays des noms communs, Paris, Le Seuil, 1997, p. 172.

[5] Je le dis avec les mots de Ludovic Janvier, formidable poète.

Marielle Macé

auteure, directrice d'études (EHESS-CNRS)

Notes

[1] Jean-François Balaudé, La vérité des images selon Épicure : Perception, rêve et désir, in : Dossier : Phantasia [en ligne]. Paris- Athènes : éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2004.

[2] Je me permets de citer : Marielle Macé, « Viens, dit l’allée », in Europe, numéro spécial « Jean-Christophe Bailly », n° 1046-1047-1048, juin-août 2016.

[3] En écho au titre du recueil composé avec Philippe Roux : Passer définir connecter infinir, Paris, Argol, 2014.

[4] Jean-Christophe Bailly, Le Propre du langage, voyages au pays des noms communs, Paris, Le Seuil, 1997, p. 172.

[5] Je le dis avec les mots de Ludovic Janvier, formidable poète.