Littérature

En finir avec Bartleby –
Vila-Matas, au risque du
pathos du renoncement (1/2)

Écrivain

Si l’on en croit la rumeur qui accompagne la publication de chacun de ses livres, Vila-Matas serait le chroniqueur du renoncement des écrivains. Depuis Bartleby et compagnie, jusqu’à Cette brume insensée qui vient de paraître chez Actes Sud, l’écrivain barcelonais écrirait la légende de ces écrivains qui auraient renoncé à écrire, romanciers sans romans, auteurs d’un seul livre. Il aurait fait son miel de l’échec créatif en hissant le scribe Bartleby au rang d’un prophète annonçant la fin de la littérature. Mais il est temps d’en finir avec le prophète Bartleby ! Libérer Bartleby de Vila-Matas et libérer Vila-Matas de Bartleby. Premier volet d’une série de deux articles.

Si l’on en croit la rumeur qui accompagne la publication de chacun de ses livres, Vila-Matas serait le chroniqueur du renoncement des écrivains. Depuis Bartleby et compagnie (Christian Bourgois éditeur, 2002), jusqu’à Cette brume insensée qui vient de paraître chez Actes Sud, l’écrivain barcelonais écrirait la légende de ces écrivains qui auraient renoncé à écrire, romanciers sans romans, auteurs d’un seul livre. Il aurait fait son miel de l’échec créatif en hissant le scribe Bartleby au rang d’un prophète annonçant la fin de la littérature.

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Or comme l’écrit Gilles Deleuze, « Bartleby n’est pas une métaphore de l’écrivain, ni le symbole de quoi que ce soit. C’est un texte violemment comique et le comique est toujours littéral (…). Il ne veut dire que ce qu’il dit littéralement ». Il est temps d’en finir avec le prophète Bartleby ! Libérer Bartleby de Vila-Matas et libérer Vila-Matas de Bartleby.

Le renoncement littéraire est un lieu commun de l’histoire littéraire et des biographies d’écrivains et nullement un objet propre à l’œuvre de Vila-Matas. Le renoncement des écrivains a nourri une archive accablante (et un certain pathos entretenu par les biographies d’écrivains) depuis Virgile qui voulait brûler son œuvre jusqu’à Melville, Kafka, Fitzgerald… Gogol est la figure centrale de ce pathos du renoncement.

Andreï Siniavski qui a lui consacré un beau livre (Dans l’ombre de Gogol, Seuil, 1976), évoque une carte postale qui circulait encore en Russie dans son enfance, où l’on voyait Gogol jeter au feu Les Âmes mortes alors que, dans son dos, une muse sanglotait en détournant la tête. « Les languettes de feu, l’antre tout ténébreux, le visage émacié et le rictus de Gogol nous disent, mieux que tout, ce qu’est le vrai sort de l’écrivain, cette tentation diabolique dont souffre l’Apprenti Servant de l’humanité… L’écrivain est à la limite celui qui est prêt à ne plus écrire au nom de quelque chose d’autre et de plus grand. »

Écrivain célèbre à quarante ans, Go


Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)

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