Les voix vulnérables – à propos de Canoës de Maylis de Kerangal
Le monde de Canoës (le mot qui apparaît une fois comme un exercice oulipien dans chacun des récits du recueil) c’est celui de « petites narrations prosaïques et fragiles », un kaléidoscope à la fois « consistant et étrange », dense et énigmatique, coloré et instable, fait de huit récits anecdotiques qui ont pourtant « comme la teneur réelle du merveilleux cosmique ».
On y retrouvera l’univers matériel, professionnel, les descriptions documentaires, ethnographiques de l’auteur de Réparer les vivants, son énergétique vitaliste, son génie à écrire la jeunesse, son panthéisme suréquipé de métaphores bariolées, sa manière d’électriser l’instant par les hypotyposes et des raccourcis de syntaxe, sa ponctuation et ses redémarrages fulgurants, toute sa « chorégraphie de la collision » (pour emprunter une belle formule à Stéphane Bikialo et Catherine Rannoux), capable de faire résonner les temps préhistoriques et d’engager par une brusque métaphore l’horizon du mythe.

Mais jamais la prose étincelante et accélérée de Maylis de Kerangal n’a été aussi sensible aux échecs, aux obsolescences voire aux mélancolies : dans ce recueil où l’on discute longuement de l’extinction des dinosaures, le mythe de la modernité qui s’impose, c’est, comme dans le bouleversant roman d’Éric Vuillard, Tristesse de la terre, celui de Buffalo Bill, ce dernier indien exhibé dans les foires et conduit à « jouer son propre génocide pendant que l’armée fédérale les massacrait en vrai ». Le présent, lui, est peuplé de personnages défaillants, de marginaux dignes de Philippe Vasset ou de cinglés à la Régis Jauffret, d’êtres « aux aguets » ou persuadés de voir des ovnis, de déphasés, de solitaires, d’accidentés qui font avec les bricoles dérisoires de ce qui leur reste.
Ces faillites ou ces fragilités ont une dimension archétypique parce qu’elles mobilisent par-delà l’anthropocène la très longue histoire de la terre et rapetissent la modernité dévastatrice. Elles sont aussi sociales, assurément éco