Une histoire d’invisibilisation – sur l’exposition Elles font l’abstraction
Outre le fait que sa présentation au public coïncide avec le déconfinement généralisé de la culture, l’exposition Elles font l’abstraction au Centre Pompidou est réjouissante à plus d’un titre : non seulement elle met en lumière la présence constante des artistes femmes dans l’histoire de l’art abstrait, alors que les récits attenants demeurent dominés par les figures masculines, mais elle inclut dans son corpus et son parcours des pratiques qui relèvent autant de la peinture et de la sculpture que de la photographie, la danse, le cinéma, les arts textiles, etc.
Cette ouverture est également géographique, puisqu’aux côtés des artistes européennes et nord-américaines sont présentées des artistes du Brésil (telles que Lygia Clark et Lygia Pape), du Japon (Atsuko Tanaka), de Corée (Wook-kyung Choi), ou encore d’Inde (Arpita Singh), etc.

En termes de chronologie, le spectre est tout aussi large : l’exposition commence par présenter les œuvres de la seconde moitié du 19e siècle de la Britannique Georgiana Houghton – qui appartiennent donc à la préhistoire de l’art abstrait – et se termine dans les années 1980. La manifestation se présente ainsi comme exemplaire dans un contexte où il est bienvenu de remettre en question des réflexes historiographiques longtemps plus exclusifs qu’inclusifs.
Elles font l’abstraction s’inscrit ainsi manifestement – ne serait-ce qu’à travers son titre – à la suite de l’exposition Elles@centrepompidou qui, entre 2009 et 2011, présentait un parcours dans les collections permanentes du musée entièrement consacré aux artistes femmes[1].
À l’issue de cette exposition pionnière et polémique, qui réunissait 150 artistes et 350 œuvres « toutes disciplines confondues » et « de toutes les nationalités[2] », la commissaire et conservatrice Camille Morineau fondait l’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions), œuvrant depuis à une meilleure (re)connaissance des artistes femmes du XXe siècle : grâce à son site inter