Littérature

La rage de venir jusqu’ici – sur Les Enchanteurs de Geneviève Brisac

Critique Littéraire

Dans son premier livre, Les Filles, en 1987, Geneviève Brisac mettait déjà en scène Nouk, personnage qui fait figure d’alter-ego de la romancière. Elle renoue ici avec cette identité littéraire pour explorer un milieu qu’elle connaît bien, celui de l’édition, et plus largement les relations de pouvoir qui se nouent dans le monde du travail et les injonctions qui jalonnent la vie de sa protagoniste, depuis ses études, qui coïncident avec mai 68, jusqu’à la fin de sa carrière. Si ce n’est pas une révolution qu’elle mène, elle n’est, à l’issue de ce parcours, plus tout à fait la même.

Nouk a « les cheveux fous » et « le dos étroit ». Elle est espiègle et narquoise. Elle ressemble beaucoup à Geneviève Brisac, l’autrice des Enchanteurs, dont Nouk est l’héroïne.

Normalienne et écrivaine, Geneviève Brisac fut l’éditrice de grands noms de la littérature jeunesse qu’elle fit éclore à l’École des loisirs. La maison l’a poussée vers la sortie voici quelques années, et cet épisode est certainement l’une des sources d’inspiration du roman. Mais la vie de bureau – comme la vie tout court – étant structurellement construite sur des relations de pouvoir, ce que décrit Brisac dans Les Enchanteurs vaut pour d’autres métiers que l’édition.

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Les « enchanteurs » : le mot désigne les menteurs qui font tourner le monde à la baguette. Ce titre est aussi celui d’un roman de Romain Gary dans lequel les enchanteurs sont vraiment de bonnes personnes.

Parmi les plumes découvertes par Brisac à L’École des loisirs, il y eut Agnès Desarthe qui, dans Comment j’ai appris à lire (Stock, 2013), rend hommage à ses « madame B. », ses guides, ses bonnes fées, soit Madame Barbéris, professeure de Lettres des classes préparatoires du lycée Henri IV, et Geneviève Brisac.

Si dans le livre d’Agnès Desarthe l’initiation au travail et au statut d’intellectuelle est racontée et vécue avec joie, ce même chemin est tissé de mélancolie et de déceptions dans Les Enchanteurs, roman du désenchantement. Heureusement, Geneviève Brisac raconte ses mésaventures avec des pointes d’humour ; mais un humour acide.

La narration procède par une succession de tableaux, de saynètes, une forme qui pique autant que pique le fond du propos ; une forme qui dévoile en partie seulement la violence subie par Nouk dans les maisons d’édition qui l’emploient. De la même manière, elle se défend à moitié quand elle est agressée par ses patrons et ses collègues. Les événements prennent l’allure de flashs, à la manière des flashs de lucidité qui éclairent notre aveuglement au milieu d’une séance d’humiliation :


Virginie Bloch-Lainé

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