Cinéma

Une vie politique – à propos de « L’Afrique documentaire » au Cinéma du Réel

Critique

Documenter des populations en proie à des systèmes politiques corrompus, examiner la stabilité que procurent la lignée ou le couple, produire des films ayant un effet dans le réel : voici quelques-uns des enjeux du cycle que le Centre Pompidou consacre au documentaire africain contemporain dans le cadre de Cinéma du Réel. Tentative de synthèse en une vingtaine de films, sur les 38 que compte la rétrospective.

« S’il y avait plus d’hommes et de femmes bien, tu sais ce qui se passerait ? Ce serait la fin du monde. » Un anonyme s’exprime dans le documentaire d’Hassen Ferhani, Dans ma tête un rond-point (Algérie, France, 2015). Ce n’est pas un philosophe, mais un ouvrier du plus grand abattoir d’Alger. À un autre moment, demandant au réalisateur pourquoi il vient filmer au moment de l’Aïd et pas le reste de l’année, il déclare : « Les journalistes ne mentent pas, mais la vérité, ils ne tombent pas dessus. » Il reprendra plusieurs fois l’idée : ce n’est pas qu’on dise exprès le faux, c’est le faux qui est partout. Un autre ouvrier, beaucoup plus jeune (il a vingt ans) discute avec un pote : sentiments, amour, mariage. Il y a quatre options possibles en Algérie quand on a son âge, dit-il : le suicide, la drogue, le crime et la traversée. Il connaît beaucoup de suicidés, il ne sera ni voleur ni drogué, « mais la traversée, oui, je la ferai ». Au dernier plan du film, il chante un beau texte avant de rire et de conclure, gêné : « Allez, ça suffit ». La chanson est celle d’un amoureux abandonné, croit-on, qui parle du passé. Elle s’achève ou s’interrompt ainsi : « Quand ta chance est déglinguée, tu vis dans le noir. Toi tu m’as oublié et moi non. Je me suis habitué à toi. Toi, ma vie… ».

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Dans ma tête un rond-point ne résume évidemment pas la sélection « Afrique documentaire » de cette 44ᵉ édition du Cinéma du réel au Centre Pompidou, mais il fait résonner un certain nombre de questions qui y sont récurrentes. On s’attachera ici aux sections « Le documentaire africain contemporain vu d’ici » et « Carte blanche aux programmateurs africains » qui regroupent 27 films issus de 20 pays africains, couvrant essentiellement la période 2019-2021. On laissera de côté les « figures tutélaires » plus anciennes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, « vu d’ici » ne montre pas des films plus « européens » que la carte blanche : dans un documentaire, le monde est toujours « vu » de


Éric Loret

Critique, Journaliste