Une vie politique – à propos de « L’Afrique documentaire » au Cinéma du Réel
« S’il y avait plus d’hommes et de femmes bien, tu sais ce qui se passerait ? Ce serait la fin du monde. » Un anonyme s’exprime dans le documentaire d’Hassen Ferhani, Dans ma tête un rond-point (Algérie, France, 2015). Ce n’est pas un philosophe, mais un ouvrier du plus grand abattoir d’Alger. À un autre moment, demandant au réalisateur pourquoi il vient filmer au moment de l’Aïd et pas le reste de l’année, il déclare : « Les journalistes ne mentent pas, mais la vérité, ils ne tombent pas dessus. » Il reprendra plusieurs fois l’idée : ce n’est pas qu’on dise exprès le faux, c’est le faux qui est partout. Un autre ouvrier, beaucoup plus jeune (il a vingt ans) discute avec un pote : sentiments, amour, mariage. Il y a quatre options possibles en Algérie quand on a son âge, dit-il : le suicide, la drogue, le crime et la traversée. Il connaît beaucoup de suicidés, il ne sera ni voleur ni drogué, « mais la traversée, oui, je la ferai ». Au dernier plan du film, il chante un beau texte avant de rire et de conclure, gêné : « Allez, ça suffit ». La chanson est celle d’un amoureux abandonné, croit-on, qui parle du passé. Elle s’achève ou s’interrompt ainsi : « Quand ta chance est déglinguée, tu vis dans le noir. Toi tu m’as oublié et moi non. Je me suis habitué à toi. Toi, ma vie… ».

Dans ma tête un rond-point ne résume évidemment pas la sélection « Afrique documentaire » de cette 44ᵉ édition du Cinéma du réel au Centre Pompidou, mais il fait résonner un certain nombre de questions qui y sont récurrentes. On s’attachera ici aux sections « Le documentaire africain contemporain vu d’ici » et « Carte blanche aux programmateurs africains » qui regroupent 27 films issus de 20 pays africains, couvrant essentiellement la période 2019-2021. On laissera de côté les « figures tutélaires » plus anciennes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, « vu d’ici » ne montre pas des films plus « européens » que la carte blanche : dans un documentaire, le monde est toujours « vu » de