« Je voudrais bien voir un film de vampires… » – sur La Maman et la putain de Jean Eustache
Le mardi 17 mai, au festival de Cannes, Françoise Lebrun et Jean-Pierre Léaud montaient les marches du théâtre Debussy pour présenter une seconde fois dans l’histoire La Maman et la putain. La première fois c’était quarante neuf ans auparavant, le 16 mai 1973, et le film de Jean Eustache avait non seulement remporté le Grand prix du jury, il avait surtout fait scandale. Maman comme putain ont été alors jugées uniformément obscènes. Les aveugles ont sifflé. Mais l’époque s’est trompée : La Maman… est un des plus beaux films qui soient. Pour une fois, ce n’est pas une exagération de notre part, une de plus, mais une certitude.

Un film de cendre soutenu par un « texte de feu » comme l’avait qualifié Bernadette Laffont, après qu’Eustache lui ait fait lire le scénario pour lui proposer le rôle de Marie. Léaud sera Alexandre, une sorte de double d’Eustache et Françoise Lebrun, qui n’avait jamais joué, mais qui avait vécu avec Eustache, quelques années auparavant, jouera Veronika – Veronika qu’elle n’est pas. La véritable Veronika apparait une fois dans une scène, dans un café : Léaud attend Lebrun, ne la voit pas. Il n’est pas certain de la reconnaitre, ils ne se sont parlés qu’une fois, en vitesse, plusieurs jours auparavant. Il dévisage sa voisine, une slave au look hippie. Un instant il doute : et si c’était elle? Le vrai devient une fois de plus le faux, et inversement. Tout le film va ainsi : marchant sur la tête.
La Maman et la putain est de toute façon ce genre d’objet qui ne fait rien comme il faut : un premier long-métrage mais d’une durée obèse de 3h40, en noir et blanc (en 1973, cela se perdait), par un cinéaste marginal qui depuis 1965 multipliait au contraire les œuvres courtes, s’arrêtait pudiquement au bout d’une heure, mais qui déjà subdivisait son œuvre en deux veines : une veine documentaire au long cours pénétrant les poches de la mémoire orale (Odette Robert, Une sale histoire) et des rituels vernaculaires (La Rosière de Pessac, Le Cochon), e