Art contemporain

D’un long fleuve intranquille – sur « Al río / To the River » de Zoe Leonard

Critique d'art

Le Río Grande, ou Rio Bravo selon la rive où l’on se tient, apparaît régulièrement dans l’actualité du monde comme ce fleuve frontière où se frottent deux Amériques antagonistes. Exposée au Musée d’art moderne de Paris, l’artiste new-yorkaise Zoe Leonard porte un regard très ancré et descriptif, mais surtout métaphorique et mental sur cette figure centrale du fleuve, à travers un ensemble de séquences photographiques d’un noir et blanc presque exclusif.

Avec « Al río / To the River », l’artiste new-yorkaise Zoe Leonard invite à un parcours singulier, dans l’exposition et dans la géographie de l’Amérique, un parcours au fil d’un flux photographique paradoxal, et du flot d’un fleuve légendaire. Dans le Musée d’Art moderne de Paris, les salles de l’Arc, leur enfilade et le grand méandre qu’elles dessinent se voient traversées par la ligne têtue tracée par quelques 300 tirages photographiques presque exclusivement en noir et blanc.

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D’un format régulier et plutôt modeste, les photographies sont regroupées souvent en séquences, composées de 4, 5 ou 6 images paysagères, séquences qui offrent l’esquisse d’une narration minimale. Toutes s’attachent à une figure centrale, celle du fleuve, dans un regard à la fois très ancré et descriptif, mais surtout métaphorique et mental. La double identité de celui-ci fait titre de l’exposition et annonce une dualité portée par les langues : « Al río / To the River ». Fleuve bilingue, fleuve frontière, on aura appris à l’entrée qu’il s’agit du Río Grande, ou du Rio Bravo, selon la rive où l’on se tient.

Un fleuve associé à cet espace sensible, qui apparaît régulièrement dans l’actualité du monde comme ce site où se frottent deux Amériques, deux mondes que l’histoire a faits confrontationnels au point d’y voir pousser un monument, de ce genre de monuments d’une nature dirimante dont la planète se couvre : un mur. À l’âge des migrations, nouvelles et anciennes, des circulations marchandes, légales et illégales, aux échelles planétaires, la frontière entre les États-Unis d’Amérique et les États–Unis mexicains est une zone hyper-sensible, enjeux de réalités humaines, politiques, diplomatiques, écologiques massives.

C’est pour vivre une partie de l’année à une centaine de kilomètres du Rio Grande, à Marfa, petite ville du Texas devenue repère pour le monde de l’art contemporain depuis l’installation de sa fondation dans les années 1970 par Don Judd, que Zoe Leonard s’est déterminée


[1] Zoe Leonard, Al río/To the River, Collectif, sous la direction de Tim Johnson, 2 volumes, Éditions Hatje Cantz, co-édition Mudam Luxembourg.

[2] John Brinckerhoff Jackson, À la découverte du paysage vernaculaire, traduit par Xavier Carrère, Actes Sud Nature, 2003, coédité par l’École nationale supérieure de paysage.

[3] L’œuvre Analogue (1998-2009) fait partie des collections du MoMA à New York. Elle est visible sur le site du musée.

[4] Gloria E. Anzaldúa, Borderlands / La Frontera: The New Mestiza, publié aux États-Unis en 1987 en langue anglaise et régulièrement réédité depuis ; édition courante : Aunt Lute Books (5e édition). Traduit en langue espagnole et très récemment en français : Terres frontalières – La Frontera, Gloria Anzaldúa, traduit par Nino S. Dufour, Alejandra Soto Chacón ; préface de Paola Bacchetta, éditions Cambourakis, collection Sorcières.

Christophe Domino

Critique d'art, Commissaire d'expositions et enseignant

Mots-clés

Anthropocène

Notes

[1] Zoe Leonard, Al río/To the River, Collectif, sous la direction de Tim Johnson, 2 volumes, Éditions Hatje Cantz, co-édition Mudam Luxembourg.

[2] John Brinckerhoff Jackson, À la découverte du paysage vernaculaire, traduit par Xavier Carrère, Actes Sud Nature, 2003, coédité par l’École nationale supérieure de paysage.

[3] L’œuvre Analogue (1998-2009) fait partie des collections du MoMA à New York. Elle est visible sur le site du musée.

[4] Gloria E. Anzaldúa, Borderlands / La Frontera: The New Mestiza, publié aux États-Unis en 1987 en langue anglaise et régulièrement réédité depuis ; édition courante : Aunt Lute Books (5e édition). Traduit en langue espagnole et très récemment en français : Terres frontalières – La Frontera, Gloria Anzaldúa, traduit par Nino S. Dufour, Alejandra Soto Chacón ; préface de Paola Bacchetta, éditions Cambourakis, collection Sorcières.