Illusion tragique – sur Le Vingtième Siècle d’Aurélien Bellanger
Étrange et beau projet que celui d’Aurélien Bellanger : balayer le vingtième siècle qui n’en finit pas de finir avec un faisceau lumineux, incandescent et fragile – un faisceau vivant nommé Walter Benjamin. Pour le dire plus simplement, Le Vingtième Siècle est une variation autour du personnage et de la pensée de Benjamin, une réflexion sur la modernité telle que celui-ci l’a saisie et anticipée, une méditation sur les très grandes questions que l’écrivain a soulevées, avant, pendant et après lui. Le livre varie, tournoie autour de Benjamin : il est comme les sucres d’orge du Tiergarten dont l’auteur décrit la fabrication dans les premières lignes : un ruban de pâte sucrée qui s’enroule autour de la friandise pour donner un objet merveilleux…

La comparaison est un peu flatteuse, c’est vrai. Un objet merveilleux, c’est peut-être en dire un peu beaucoup pour ce roman irisé, construit par intermittence, qui, quand on le commence, est un peu déconcertant. Car Aurélien Bellanger suppose que vous maîtrisez parfaitement la biographie de Benjamin, et pas seulement sa fin tragique. Si bien qu’au début vous hésitez. Vous ne savez pas toujours à quel épisode de la vie de Benjamin Bellanger se rapporte, vous êtes obligé de cliquer à droite, jeter un œil à gauche, lire les notes de bas de page qui semblent le seul socle fixe. Puis vous abandonnez la quête de vérité factuelle pour accepter la quête d’un autre type de vérité, qui se laisse quérir mais jamais saisir ni arrêter.
D’abord il faut saluer l’art du pastiche d’Aurélien Bellanger parce que l’incipit dont nous avons parlé – les sucres d’orge – est une invention de sa part, un « passage supprimé » d’Enfance berlinoise, dit-il. Il y a de quoi se méprendre et croire en effet que le passage a été écrit par Benjamin. Il fallait oser, mais Aurélien Bellanger est doué d’un génie ventriloque étonnant et le roman qui suit semble né d’un écrivain prestidigitateur.
Cet épisode initial couvre deux pages, pas plus. Il est suiv