Traverses – sur Le Livre du large et du long de Laura Vazquez
Il y a, à l’ouverture de la Fable mystique de Michel de Certeau (Gallimard, 1982), la reproduction d’un détail du Jardin des délices de Bosch : la bulle des amoureux. Un couple nu, dans une sphère issue d’une fleur, laquelle pousse dans un œuf crevé où un homme attend, dirait-on, l’arrivée d’un rat par un tube transparent.

C’est pour le théologien l’image de la « “retraite” de la parole dans un espace de “fiction” » propre aux grands mystiques et à la psychanalyse : quand les voix des prophètes sont éteintes et que la rationalité bourgeoise circonscrit le discours des clercs, « les spirituels et les mystiques relèvent le défi de la parole. Ils sont par-là déportés du côté de la “fable”. Ils se solidarisent avec toutes les langues qui parlent encore, marquées dans leurs discours par l’assimilation à l’enfant, à la femme, aux illettrés, à la folie, aux anges ou au corps. Ils insinuent partout un “extraordinaire” : ce sont des citations de voix – des voix de plus en plus séparées du sens que l’écriture a conquis, de plus en plus proches du chant ou du cri. »
Par où peut s’échapper la parole vive, par où peut prendre corps la réalité qui, insaisissable, domine le logos par « quelque chose comme un rire » ?
À la page 108 du Livre du large et du long, on aurait la sphère :
« J’ouvre la chienne enceinte
je montre ses fœtus à tel ou tel enfant je dis
Les personnes sont nées dans une sphère
ne vois-tu pas
Leur tête est une sphère
Leur sang contient les sphères et cætera
Ma femme est une boule
Ma femme elle-même est une boule voilà
pourquoi je l’aime »
Et à la page suivante, la séparation imposée par le sens :
« La logique a tué plus d’un être sur terre
Par la logique je sus parler
Ceci est faux car je me trompe sa mère ses morts »
On ne serait pas allé chercher Michel de Certeau si l’on n’avait entendu, sur France Culture, Laura Vazquez déclarer tout récemment : « quand j’étais enfant, j’étais de nature assez mystique et j’ai commencé par écrire des prières […] c&r