Littérature

Un pur écrivain – sur Tortues de Bruno Pellegrino

Écrivain

L’écrivain suisse Bruno Pellegrino est encore jeune (il est né en 1988), mais il construit de livre en livre une œuvre d’une beauté singulière, faussement discrète et parfaitement contemporaine, à sa façon. Échappant à l’emprise généralisée du « pitch », Pellegrino interroge avec délicatesse le temps et ses possibles, aujourd’hui : son recueil Tortues est ainsi comme une collection de doutes et de propositions personnelles sur les thèmes de la mémoire, de la perte, de l’archive. Autant dire, aussi, un beau livre sur la littérature.

Qu’est-ce qu’un pur écrivain ? L’appréciation est subjective, forcément, et peut même sembler un peu ridicule, puisqu’après tout on est écrivain ou on ne l’est pas, c’est une réalité sans adjectif.

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Et c’est pourtant la formule qui vient à l’esprit, spontanément, quand on découvre les premières lignes du nouveau livre de Bruno Pellegrino, dont on avait déjà beaucoup aimé les romans précédents, comme par exemple Dans la ville provisoire (2021).

Tortues est un recueil de neuf textes précédés d’une sorte de préambule qui justifie le titre d’ensemble : deux pages simples et assez vertigineuses, où, l’air de rien, il est question, à travers la conversation avec un taxidermiste qui a dû improviser l’empaillement d’une tortue, de la mort et de la mémoire, d’une manière brève mais saisissante. Les tortues naturalisées, en effet, si le musée zoologique qui les accueille venait à brûler, seraient sans doute trop lourdes pour être sauvées : elles mourraient donc une seconde fois, si l’on peut dire, après une première mort elle-même particulière, puisque souvent, tant elles sont immobiles, il faut plusieurs jours pour s’apercevoir qu’elles ne vivent plus.

Résumé de la sorte, bien sûr, le propos peut sembler un peu plat, ou en tout cas convenu, mais sous la plume d’un « pur écrivain » comme Bruno Pellegrino, un frisson immédiatement se crée, ou une faille, la brèche d’un échange possible avec la sensibilité du lecteur, sa perception propre de la perte et de ce qui peut être sauvé, la mort des êtres, l’oubli des livres. L’ensemble du recueil, composé de textes déjà publiés en revue, mais revus pour l’occasion, va ainsi travailler la thématique de ce qui reste ou disparaît, liée pour l’auteur à l’idée un peu fétichiste d’un possible inventaire, notion à laquelle la littérature s’est souvent intéressée, pour le meilleur (difficile de ne pas penser à Georges Perec, par exemple).

Le livre ne s’annonce sous l’étiquette d’aucun genre, et même si le « je » y revient souvent, év


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire