Le parfum comme survivance des fleurs
«En 2020, quand j’ai découvert les images de la marée noire qui sévissait au large de l’île Maurice, j’étais atterrée. Comment une catastrophe aussi affreuse pouvait être visuellement si belle ? Voir tant de beauté dans les mille tonnes de fioul que déversait le bateau Wakashio, m’a laissée perplexe. Une nouvelle preuve qui accusait la vue comme n’étant plus vraiment le sens de l’alerte. Il fallait trouver un moyen complémentaire pour renouer avec l’importance de la tragédie et lui redonner son impact. Les choses n’auraient pas été si belles si on avait pu respirer les effluves de mazout. »

Lorsqu’Elia Chiche, parfumeuse indépendante me raconte cette expérience, elle est encore étudiante à l’École supérieure du parfum et nous discutons de la crise de la sensibilité théorisée par Baptiste Morizot. Elle comme moi sommes d’accord : à envisager la société dans laquelle nous vivons mais que l’on met à distance, loin de nous, par le prisme d’une hiérarchie des arts fondée sur la vue et l’ouïe – deux sens de l’éloignement, a contrario du toucher, du goût et de l’odorat qui favorisent la proximité avec la chose –, nous nous sommes extirpé·e·s du vivant. Baptiste Morizot le dit en ces mots :
« La crise de nos relations au vivant est une crise de la sensibilité parce que les relations que nous avons pris l’habitude d’entretenir avec les vivants sont des relations à la “nature”. Comme l’explique l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, les héritiers de la modernité occidentale que nous sommes pensent qu’ils entretiennent des relations de type “naturel” avec tout le monde des vivants non humains, car toute autre relation envers eux est impossible. […] Conséquemment, cela implique que l’on considère les vivants essentiellement comme un décor, comme une réserve de ressources à disposition pour la production, comme un lieu de ressourcement ou comme un support de projection émotionnel et symbolique. […] La chute du monde vivant en dehors du champ de l’attenti