Littérature

Le non-apophantique, c’est chic – sur Comment sortir du monde de Marouane Bakhti

Critique

La vie est moins verte quand on est gay, « arabe » et qu’on vit dans un trou perdu. Un premier roman qui ausculte l’intersectionnalité en mode apprentissage et transfuge de classe, sans pathos ni clichés. Au-delà de la tentative de penser ensemble « indigénat » et « futur », sa forme poétique interroge cependant notre désir contemporain de référent et d’autorité.

Une collègue enseignante m’écrit, par manière de plaisanterie : « Il va falloir que je me mette à la poésie. Je ne sais pas pourquoi, tou·te·s mes étudiant·e·s veulent écrire de la poésie ». C’est d’autant plus embêtant que la poésie, on ne sait pas ce que c’est. On se rappelle qu’Oliver Rohe (50 ans) a dégainé le premier cette année, avec le poème autofictif Chant balnéaire en janvier. Que le Livre du large et du long de Laura Vazquez (37 ans) est l’épopée d’une conscience en cinq chants. Que Simon Johannin (30 ans), après deux récits et deux recueils de poèmes, vient de faire paraître chez Allia une sorte de Cantique des cantiques en prose, intitulé Le Dialogue.

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Dans un entretien télévisé, Marouane Bakhti (25 ans) déclare : « J’écris de la poésie, à la base. Là, c’est un roman, mais je crois que ce que j’aime vraiment faire, c’est la poésie ». Même étiqueté « roman », Comment sortir du monde ressemble à une série de courtes strophes en prose qui peuvent être aussi épiphaniques que celle-ci : « Dragon Metal Fusion entre les doigts et Nike bleues du bled, veste en plastique et pantalon de velours déchiré aux genoux. » Ou oratoires, comme celle-là : « Rester dans son village de toujours, c’était mourir à son tour. »

Donc, allons-y à la truelle. Il y aurait un désir de quitter le genre romanesque, un goût de la narration poétique ou en vers (ce qui n’est pas la même chose). Ce qui est intéressant, c’est que la fiction entretient des rapports compliqués avec ce qu’on nomme « poésie » au sens moderne. Mais pas forcément avec la poésie au sens classique, on le sait. Puisqu’il existe une fiction en vers, c’est l’épopée, mais à laquelle nous préférons depuis le XIXe siècle la fiction sous forme de roman, car la première nous semble catastrophique du point de vue poétique. On sait aussi que Genette a fini par avoir « un doute » sur la compatibilité de fiction et diction.

« Quand j’étais enfant, j’étais de nature assez mystique et j’ai commencé par écrire des prièr


[1] Au pire, on s’en sortira en disant que la proposition de savoir si je crois ou non à ce monde fictif est vraie ou fausse.

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

[1] Au pire, on s’en sortira en disant que la proposition de savoir si je crois ou non à ce monde fictif est vraie ou fausse.