Une acuité folle : Pierre Alferi (1963-2023)

Pierre Alferi nous a quittés ; il venait d’avoir 60 ans. En juin dernier, nous avons été plusieurs à nous réunir, en sa compagnie, à Paris, pour le lancement d’un ouvrage collectif qui lui est consacré (vidéo disponible ici). Le souvenir de cette soirée heureuse nous revient aujourd’hui de manière particulièrement prégnante, d’autant plus qu’on le savait déjà très malade.
Ce moment intime, notion dont Alferi faisait voir la double face, à la fois comme relation de proximité et comme moment opportun, a permis de revenir sur son parcours depuis Chercher une phrase jusqu’à divers chaos, en passant par l’expérience de la revue de littérature générale ou les cinépoèmes. Il s’agissait peut-être avant tout de souligner l’importance d’une œuvre qui aura été déterminante pour toute une génération d’écrivains, de lecteurs et de chercheurs sensibles aux pratiques qui invitent à changer de perspectives par rapport aux attentes et aux normes qui traditionnellement définissent le poétique et la littérature.
Alferi a montré de manière magistrale comment la parole ordinaire et prosaïque trouve sa place dans le vers ; il a renouvelé notre manière de penser les genres ou registres en travaillant l’hybridité, le détournement de textes et d’images et la greffe de différentes techniques d’écriture, amalgamant du même coup des caractéristiques formelles et esthétiques qui semblaient a priori incompatibles ou contradictoires.
Celui qui aimait être décrit comme un dromomane était avant tout un précurseur, un passeur, un suscitateur qui a su ouvrir un espace d’exploration et d’élucidation de ce qu’on pourrait appeler le « réel », mot dont le caractère unitaire s’efface, chez lui, derrière la pluralité de ses manifestations et de ses reconfigurations. Il laisse ainsi, devant nous, une œuvre protéiforme, complexe, inclassable qui articule poésie, roman, théâtre, essai, mais aussi cinéma, musique ou encore dessin. Son dernier projet, Romans-Photos, vient d’ailleurs de paraître chez R