Société

Quand les pouvoirs publics barricadent : regard sur les dispositifs anti-installation

Géographe et photographe, Photographe

Du grillage rigide, des portiques, des véhicules entassés, des rochers, des monticules de terre, du sable, des sillons, des labours, du bitume fragmenté, des baraques en ruine… Ces dispositifs anti-installation transforment les lieux en fortifications. Dans quelle mesure une République peut-elle être ouverte et pacifiée quand elle est incarnée par des pouvoirs publics qui barricadent, notamment de l’intérieur, son territoire ?

Rue de la Recherche, à Villeneuve-d’Ascq, chemin de la Justice, à Gonesse, boulevard des Droits de l’Homme, à Vaulx-en-Velin, rue des Métissages, à Tourcoing, rue Beau Séjour, à Montpellier, rue du docteur Gabriel Peri, à Bordeaux, avenue René Descartes, à Ronchin, boulevard Louis Pasteur, à Lille, rue Jean Jaurès, à Bagnolet, rue Lucie Aubrac, à Gradignan, avenue Georges Charpak, à Givors, avenue Cargo Rhin Fidelity, à Marseille, quai Président Wilson, à Nantes, route de Nantes, à Orvault, autoroute A1, à Saint-Denis, autoroute A4, à Joinville-le-Pont, départementale D1, à Triel-sur-Seine, voie d’Allemagne, à Marignane, chemin du Port Brun, à Vigneux-sur-Seine, et petit chemin de Layran, à Villenave-d’Ornon…

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Ces odonymes et bien d’autres sont les adresses de bidonvilles dont les habitants ont été délogés durant les dix dernières années[1]. Leur logement précaire – des baraques pour l’essentiel – ont été détruits ou déplacés en application d’arrêtés municipaux et préfectoraux, et d’ordinaire après la réquisition de la force publique, laquelle agit avec l’assurance que la ou les parcelles cadastrales précédemment habitées ne pourront pas l’être sans autorisations adéquates.

Pour les pouvoirs publics, cette garantie doit trouver une traduction matérielle : des obstacles que nous nommons des dispositifs anti-installation. En détail, du grillage rigide, des portiques, des traverses ou des blocs empilables en béton[2], des murs en parpaing, des véhicules entassés, des rochers, des monticules de terre, de sable ou d’autres éléments bruts ou usinés, des sillons, des labours, des tranchées ou du bitume fragmenté, des postes de gardiennage, des baraques en ruine.

C’est en travaillant, de 2014 à 2023, sur des terrains qui, somme toute, étaient barricadés et, de ce fait, soustraits à l’habitation non réglementaire et précaire que cette liste relativement exhaustive a pu être dressée. Elle n’aurait pas pu l’être en s’appuyant sur les documents que nous avons pu collec


[1] Être délogé, par voie d’expulsion, ne concerne évidemment pas que les habitants des bidonvilles. Ceux qui habitent sous tente, migrants résidant en campement ou non, ceux qui squattent des bâtiments ainsi que les Voyageurs stationnant en dehors des aires d’accueil, par faute de places ou d’ouverture, le sont également. Le délogement prolonge d’ordinaire une impossibilité ou une difficulté à obtenir une domiciliation, donc une adresse. Voir notamment à ce sujet les rapports du collectif Romeurope.

[2] Les dénommés « bloc béton Lego ».

[3] D’après le rapport annuel que le collectif Romeurope a publié en 2022 : « Après une expulsion, dans la plupart des cas, aucune proposition d’hébergement ou de relogement n’est faite, ce qui signifie qu’une partie ou l’ensemble des personnes qui vivaient dans les lieux expulsés ont été renvoyées à la rue. Lorsque des propositions sont faites, elles relèvent en majorité d’une mise à l’abri temporaire dans des hôtels sociaux, des structures d’hébergement d’urgence, voire des gymnases. » (p. 24)

[4] À propos de la notion d’« indésirables », voir notamment les travaux de Michel Agier et de William Acker, lequel associe cette notion au concept de « zone tsigane d’exclusion » pour expliquer la localisation convergente de bidonvilles et d’aires d’accueil des Gens du voyage.

[5] À ce sujet, voir le travail photographique de Sandrine Marc, « dispositifs, une typologie de l’empêchement ». La fondation Abbé Pierre a décerné durant deux ans et de manière « satirique » des « Pics d’or » aux « équipements urbains anti-SDF et [aux] arrêtés anti-mendicité les plus « méritants » ».

[6] Dispositifs qui peuvent également empêcher le stationnement de Gens du voyage.

[7] Avenue Cargo Rhin Fidelity, à Marseille, des rochers de calibre moyen ont été espacés entre 2014 et 2016 pour faire place à de nouvelles baraques, jusqu’à ce qu’un incendie et la mise en poste d’un gardien empêchent une deuxième reconstitution du bidonville.

[8] En lien avec ce sujet

Jordi Ballesta

Géographe et photographe, Maître de conférences associé à l'École d'architecture de Marseille

Geoffroy Mathieu

Photographe

Notes

[1] Être délogé, par voie d’expulsion, ne concerne évidemment pas que les habitants des bidonvilles. Ceux qui habitent sous tente, migrants résidant en campement ou non, ceux qui squattent des bâtiments ainsi que les Voyageurs stationnant en dehors des aires d’accueil, par faute de places ou d’ouverture, le sont également. Le délogement prolonge d’ordinaire une impossibilité ou une difficulté à obtenir une domiciliation, donc une adresse. Voir notamment à ce sujet les rapports du collectif Romeurope.

[2] Les dénommés « bloc béton Lego ».

[3] D’après le rapport annuel que le collectif Romeurope a publié en 2022 : « Après une expulsion, dans la plupart des cas, aucune proposition d’hébergement ou de relogement n’est faite, ce qui signifie qu’une partie ou l’ensemble des personnes qui vivaient dans les lieux expulsés ont été renvoyées à la rue. Lorsque des propositions sont faites, elles relèvent en majorité d’une mise à l’abri temporaire dans des hôtels sociaux, des structures d’hébergement d’urgence, voire des gymnases. » (p. 24)

[4] À propos de la notion d’« indésirables », voir notamment les travaux de Michel Agier et de William Acker, lequel associe cette notion au concept de « zone tsigane d’exclusion » pour expliquer la localisation convergente de bidonvilles et d’aires d’accueil des Gens du voyage.

[5] À ce sujet, voir le travail photographique de Sandrine Marc, « dispositifs, une typologie de l’empêchement ». La fondation Abbé Pierre a décerné durant deux ans et de manière « satirique » des « Pics d’or » aux « équipements urbains anti-SDF et [aux] arrêtés anti-mendicité les plus « méritants » ».

[6] Dispositifs qui peuvent également empêcher le stationnement de Gens du voyage.

[7] Avenue Cargo Rhin Fidelity, à Marseille, des rochers de calibre moyen ont été espacés entre 2014 et 2016 pour faire place à de nouvelles baraques, jusqu’à ce qu’un incendie et la mise en poste d’un gardien empêchent une deuxième reconstitution du bidonville.

[8] En lien avec ce sujet