Littérature

La danseuse, l’enfant et l’écrivain – sur La Danseuse de Patrick Modiano

Écrivain

La Danseuse, le nouveau livre de Patrick Modiano, est un roman bref et très beau : on y retrouve ce qui fait le charme absolument singulier d’un écrivain qui réussit, à chaque fois, à renouveler l’émotion si particulière suscitée par ses drôles d’exercices de mémoire. Plus explicite peut-être que d’ordinaire dans son jugement sur « la dureté du temps présent », l’écrivain y livre un hymne merveilleux à la légèreté, où l’on ne peut s’empêcher de voir passer également le souvenir de son complice disparu, le dessinateur Jean-Jacques Sempé.

Voici donc La Danseuse, le livre d’octobre que l’on attend désormais tous les deux ans, c’en est presque devenu un rituel : « le nouveau Modiano ». Nouveau, vraiment ?

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On sait d’avance qu’on devrait y retrouver ce que l’on aime, des noms anciens déjà rencontrés, noms de personnes, noms de lieux, dans une œuvre immense à sa façon, concentrée pourtant en quelques rues, des bribes de paysages, traces fugaces, bouts de vies. Une œuvre et bibliothèque mobile, si l’on veut, un monde que l’on porte en soi, où l’on se perd comme dans un rêve, quand les romans communiquent les uns avec les autres en une sorte de labyrinthe bizarre, toujours un peu triste, à chaque fois ré-enchanté (comme celui de Proust, celui aussi de Tintin).

La Danseuse compte moins d’une centaine de pages, c’est tout juste un roman, un récit à trous qui avance à coup de séquences courtes, chapitres parfois élusifs où surgissent, comme toujours, images et fantômes du passé : une quintessence, dirait-on, si le mot ne paraissait galvaudé, déjà, pour qualifier tant d’autres romans de Modiano… Avant même d’avoir ouvert celui-ci, on s’est dit soudainement que beaucoup de personnes que l’on aime aiment aussi Modiano (et même que certaines qui l’aimaient sont mortes, désormais). Peu importe : on lit donc le premier paragraphe, et en effet tout est là.

« Brune ? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. Elle est la seule dont on pourrait retrouver des photos. Les autres, sauf le petit Pierre, leurs visages se sont estompés avec le temps. D’ailleurs, c’était un temps où l’on prenait beaucoup moins de photos qu’aujourd’hui. » 

Il suffit d’une allusion aux photographies qui prolifèrent désormais sur nos téléphones portables, autrefois tellement plus rares, pour que s’ouvre ainsi un monde : celui, sans smartphone, où l’image argentique pouvait se corner ou se perdre, et l’imagination travailler les vides, explorer les espaces ouverts à la rêverie, arpenter enfin les drôles de palais, souvent parisiens


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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