La maladie du simulacre – sur ANGELA [a strange loop] de Susanne Kennedy
Il y a des spectacles qui se trompent de public, et d’autres, plus rares, qui se trompent de pays. C’est peut-être le premier intérêt d’ANGELA [a strange loop] qui, en France bien plus qu’en Allemagne, où vit et travaille la metteuse en scène Susanne Kennedy, a l’air déraciné, certes de l’histoire du théâtre à la française, mais aussi de la plupart des habitudes et des repères du théâtre public des dernières années.

En effet, même s’il lorgne du côté de « l’indiscipline », terminologie un peu fourre-tout de l’extrême contemporain, ANGELA reste bien un spectacle de théâtre, d’un genre postdramatique (d’ailleurs homologué par un chercheur allemand, Hans-Thies Lehmann) assez commun depuis une trentaine d’années, dans lequel le texte, au service du plateau et non l’inverse, est un matériau parmi d’autres. Autant dire que le spectacle est bien plus étrange et novateur en France qu’à la Volksbühne dont Susanne Kennedy est une habituée, ou même en général à Berlin, dont le style, il faut bien l’avouer, avant-gardiste à nos yeux plus occidentaux, semble parfois résolument hermétique.
C’est pourquoi on ne s’étonne pas que Susanne Kennedy, figure incontournable outre-Rhin, soit encore relativement inconnue en France. C’est pourquoi aussi, on se réjouit qu’à l’occasion du Festival d’Automne 2023, ANGELA [a strange loop] soit présentée en même temps que sa version d’Einstein on the beach, opéra majeur de Philip Glass, dont on avait retenu la mise en scène historique de Bob Wilson en 1976.
Grand bien en fasse à ANGELA, car le spectacle traite justement de l’étrange à l’étranger : rarement le contexte aura autant servi une dramaturgie. À ce titre, ce supplément d’âme ne manque pas de dérouter encore plus le spectateur français, dont les mains pantoises au Théâtre de l’Odéon comme au Festival d’Avignon, il faut le voir pour le croire, ne semblent pas savoir quoi applaudir, s’agitant comme de petites machines à moitié dissoutes dans la « vallée de l’étrange » habilement