Apprendre à voir – sur La Rivière de Dominique Marchais
Sur la berge, une silhouette puis deux se détachent du gris hivernal. Elles s’attellent, avec d’autres, à collecter les détritus échoués le long de la rivière. Tâche fastidieuse, qui implique à l’occasion d’utiliser une pince à épiler tant le plastique s’est emmêlé à la végétation. À la fin, quelques dizaines de kilos auront été ramassés. Ce qui saisit, dans cette ouverture, est toutefois moins la quantité que la nature et la consistance des polluants : à peine des objets, plutôt des lambeaux. Et encore, il n’y a bien sûr là que ce qui peut être distingué, attrapé, extrait. Connu, le phénomène n’en reste pas moins vertigineux : les déchets font désormais milieu, éléments parmi les éléments, mêlés à l’eau, la terre, l’air, le feu.

La séquence vaut avertissement. L’Arcadie est loin derrière nous, et le ruisseau le plus chantant charrie certainement son lot de polymères synthétiques. Cette conscience d’une irrémédiable dégradation est devenue la condition même d’une expérience esthétique de la nature. Il n’est plus possible de s’extasier sans, presque aussitôt, se désespérer. La catastrophe n’a ici rien de sublime ; elle ne se substitue pas aux montagnes et aux tempêtes des romantiques. Elle n’absorbe pas son spectateur, mais exige au contraire un surcroît de patience, d’attention, d’égard. C’est cela aussi qui est d’emblée en jeu : un certain rapport entre le visible et l’invisible. Le paysage ne nous fait pas face, comme un décor ; il s’éprouve et se constitue au gré des relations – ambivalentes, tragiques – que l’on noue avec ses multiples composantes.
En ce sens, le ramassage des déchets ne relève pas uniquement de l’acte citoyen, auquel le film se devait de rendre hommage ; c’est également une manière de percevoir. Se déplacer avec lenteur, scruter la moindre parcelle, quitter le chemin, se prendre dans les branchages, s’agenouiller sur les galets, se confronter à la désagrégation : voilà qui engage une relation à la rivière et à la forêt autre que cel