Politique

Ascension de l’extrême droite, déclin de la gauche : la complication démocratique

Sociologue

Victoire de Javier Milei en Argentine, du parti de Geert Wilders aux Pays-Bas : l’extrême droite est omniprésente dans le paysage politique mondial, elle répand partout ses fantasmes et sa violence dans le débat public. Cette mouvance politique prend racine à la fois dans les contradictions inhérentes à l’idéal démocratique, dans les expériences totalitaires du XXe siècle et dans l’affirmation progressive de la structure néolibérale au rang de système hégémonique mondial.

La montée en puissance de l’extrême droite ou de l’autoritarisme est tellement évidente désormais qu’il n’est plus utile de l’illustrer[1]. Elle n’est pas inévitable[2] comme l’attestent les élections de Joe Biden contre Donald Trump, de Lula contre Bolsonaro ou, tout récemment, la défaite électorale du PiS en Pologne. Mais elle a une fâcheuse tendance à se répandre comme une traînée de poudre, notamment en raison d’un basculement de plus en plus fréquent de la droite dans l’extrême droite comme on peut le voir avec l’exemple des Républicains aux USA ou de Benyamin Netanyahou en Israël. Cette montée s’explique par tout un ensemble de facteurs bien identifiés par les analystes politiques. Il m’a semblé cependant qu’on ne pouvait la comprendre en profondeur qu’en prenant une certaine perspective historique, en montrant comment elle s’inscrit dans le cadre des contradictions inhérentes à l’idéal démocratique, d’une part, et au regard des expériences totalitaires du XXe siècle, de l’autre.

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Nous nous voulons ou nous nous disons tous démocrates, même la droite extrême désormais. Mais comment l’entendre ? Une définition synthétique de la démocratie pourrait être celle-ci : un régime social et politique fondé en droit sur le pouvoir du peuple au nom d’un idéal de liberté et d’égalité. Cette définition minimale laisse apparaître aussitôt au moins trois séries de tensions ou de contradictions possibles.

1. Le peuple, dont toute légitimité procède théoriquement en démocratie (puisque, étymologiquement, le mot signifie le pouvoir du peuple), est-il restreint et fermé, ou bien étendu et ouvert ? Restreint aux seuls propriétaires, comme au début du XIXe siècle en France avec le suffrage censitaire, ou aux hommes comme ça a été le cas en France jusqu’en 1945 ? Ou restreint encore aux autochtones (demos), à la race, aux nationaux ? Ou bien est-il tendanciellement ouvert à tous, au plus grand nombre, jusqu’aux frontières de l’humanité tout entière ? Mais le mot peuple dési


[1] Je tente de donner ici une version à la fois condensée, systématisée et affinée d’analyses présentées in A. Caillé, Extrême droite et autoritarisme partout, pourquoi ? La démocratie au risque de ses contradictions, Le Bord de l’eau, 2023.

[2] Elle est résistible disait Bertolt Brecht parlant de l’ascension d’Arturo Ui.

[3] Cinquième paradoxe, le vote en faveur de l’extrême droite devient potentiellement majoritaire en France alors que la société française dans son ensemble est de plus en plus tolérante, ouverte à l’accueil des immigrés et anti-raciste.

[4] Auxquelles on pourrait ou il faudra sans doute bientôt ajouter la panique numérique, la peur de voir les humains en tous points supplantés par des robots et des algorithmes.

[5] On ne peut pas espérer remporter des élections en se présentant comme les porte-parole des minorités, en brandissant en somme le slogan : « Tous minoritaires ».

[6] L’Observatoire européen de la fiscalité, dirigé par Gabriel Zucman a établi que pour la seule année 2022, mille milliards de dollars des profits des grandes entreprises de la planète ont été transférés dans des paradis fiscaux. Ceux-ci hébergent une richesse évaluée à 12 000 milliards de dollars. Le rapport de cet Observatoire montre par ailleurs que les milliardaires ne paient quasiment pas d’impôts – 0 % à 0,5 % – sur leur patrimoine. Ce, grâce aux diverses techniques d’optimisation permettant d’éviter que les revenus qu’ils génèrent, comme les dividendes, ne soient imposables. Tous impôts confondus, ils sont donc moins imposés que les classes moyennes. Taxer 2 % de la richesse des 2 756 milliardaires de la planète (dont 75 en France), dont la fortune totale culmine à 13 000 milliards de dollars, rapporterait 250 milliards d’euros, estiment les économistes. Ce serait un progrès, mais très insuffisant. Il nous faut retrouver à l’échelle mondiale les taux d’imposition sur les plus hauts revenus que les États-Unis ont connus depuis la Seconde guerre mondiale jusque dans les

Alain Caillé

Sociologue, professeur de sociologie émérite à l’université Paris-Ouest-Nanterre, directeur de la revue du MAUSS, animateur du mouvement des convivialistes

Notes

[1] Je tente de donner ici une version à la fois condensée, systématisée et affinée d’analyses présentées in A. Caillé, Extrême droite et autoritarisme partout, pourquoi ? La démocratie au risque de ses contradictions, Le Bord de l’eau, 2023.

[2] Elle est résistible disait Bertolt Brecht parlant de l’ascension d’Arturo Ui.

[3] Cinquième paradoxe, le vote en faveur de l’extrême droite devient potentiellement majoritaire en France alors que la société française dans son ensemble est de plus en plus tolérante, ouverte à l’accueil des immigrés et anti-raciste.

[4] Auxquelles on pourrait ou il faudra sans doute bientôt ajouter la panique numérique, la peur de voir les humains en tous points supplantés par des robots et des algorithmes.

[5] On ne peut pas espérer remporter des élections en se présentant comme les porte-parole des minorités, en brandissant en somme le slogan : « Tous minoritaires ».

[6] L’Observatoire européen de la fiscalité, dirigé par Gabriel Zucman a établi que pour la seule année 2022, mille milliards de dollars des profits des grandes entreprises de la planète ont été transférés dans des paradis fiscaux. Ceux-ci hébergent une richesse évaluée à 12 000 milliards de dollars. Le rapport de cet Observatoire montre par ailleurs que les milliardaires ne paient quasiment pas d’impôts – 0 % à 0,5 % – sur leur patrimoine. Ce, grâce aux diverses techniques d’optimisation permettant d’éviter que les revenus qu’ils génèrent, comme les dividendes, ne soient imposables. Tous impôts confondus, ils sont donc moins imposés que les classes moyennes. Taxer 2 % de la richesse des 2 756 milliardaires de la planète (dont 75 en France), dont la fortune totale culmine à 13 000 milliards de dollars, rapporterait 250 milliards d’euros, estiment les économistes. Ce serait un progrès, mais très insuffisant. Il nous faut retrouver à l’échelle mondiale les taux d’imposition sur les plus hauts revenus que les États-Unis ont connus depuis la Seconde guerre mondiale jusque dans les