Temps d’arrêt – sur N’oublie rien de Jean-Pierre Martin
«Imagine, fais l’effort d’imaginer la ville tout autour, le port, les Chantiers, le monde industriel. N’oublie rien. »

Nous sommes à la page 22 de N’oublie rien, de Jean-Pierre Martin, récit d’une incarcération pour « apologie du crime d’incendie volontaire », motif joliment surréaliste qui incrimine la diffusion de tracts grâce auxquels la Gauche prolétarienne justifiait l’attaque au cocktail Molotov ayant visé quelques temps plus tôt une direction des Chantiers de l’Atlantique fort peu préoccupée par les accidents mortels de plusieurs de ses ouvriers.
Ce 20 mai 1970, les matons viennent de procéder à la mise sous écrou du jeune militant de « la GP » qu’est alors Jean-Pierre Martin, ayant brutalement rompu avec sa famille et ses études de philosophie pour « s’établir » en usine et y colporter du haut de ses 22 ans la bonne parole du groupe maoïste qui, désormais, lui tient lieu de famille d’accueil et dont le discours, prodigieux mélange d’anarchisme et d’autoritarisme, lui est un corset.
L’injonction à ne rien oublier qui surgit ici et s’imposera sur la couverture du livre ouvre une brèche immédiate dans la sage chronologie des événements, et le lecteur y tombe : il tombe dans le temps. C’est que le récit entremêle savamment les passages à la première et à la troisième personne du singulier, mais toujours au présent : sans qu’il soit si facile, dès lors, de distinguer le présent de l’action du présent de l’énonciation ou de la lecture, un demi-siècle plus tard. De fait, ce « n’oublie rien » est porteur d’une ambivalence immédiate qui vient bousculer l’apparente linéarité d’un récit ouvert au matin de l’arrestation pour se clore le jour de la levée d’écrou, deux mois plus tard (deux mois qui ne peuvent paraître brefs que de l’extérieur de la prison).
Car enfin : est-ce ici le personnage principal, alias Jean-Pierre Martin le jeune, émotionnellement fort de ses grandes fragilités d’encore adolescent, qui ne doit rien oublier de la vie du dehors, entre les