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Philippe Van Parijs : « Le revenu de base ne tombe pas du ciel »

Journaliste

Le philosophe belge Philippe Van Parijs est sans doute le plus grand spécialiste du revenu de base, un sujet qui l’occupe depuis plus de 30 ans et figure au cœur de sa théorie de la justice. Face au succès récent de cette idée, et aux inévitables erreurs et confusions qui l’accompagne, il publie dans quelques jours, avec Yannick Vanderborght, un indispensable ouvrage de synthèse – Revenu de base inconditionnel : Une proposition radicale. L’occasion d’un entretien en avant-première pour AOC.

En France, le revenu de base est entré dans le débat politique à l’occasion de la dernière élection présidentielle, à l’initiative du candidat socialiste Benoît Hamon qui en avait fait un élément clé de son programme. Depuis, il a été moqué, discuté, expérimenté… revendiqué aussi par une frange de la droite libérale. Bref c’est devenu un élément essentiel du débat sur l’avenir de nos modèles sociaux, sans qu’on sache toujours très bien de quoi l’on parle. Le dernier livre de Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, Revenu de base inconditionnel : Une proposition radicale (La Découverte), publié d’abord en anglais en 2017 à Harvard University Press et devenu depuis l’ouvrage de référence, offre la première synthèse systématique, multidisciplinaire et critique d’une discussion devenue mondiale. Tout en s’attaquant aux nombreuses idées reçues, aux erreurs qui nuisent au débat, les auteurs se livrent à un plaidoyer en faveur d’un dispositif qui rendrait nos sociétés plus justes, plus libres et plus saines économiquement. Philippe Van Parijs a accepté de répondre en avant-première à AOC sur les conditions de réalisation de cette « utopie concrète ». RB

Vous consacrez votre dernier livre au Revenu de base inconditionnel, un sujet sur lequel vous travaillez depuis plus de 30 ans. En France, lors des dernières élections présidentielles, le candidat du PS Benoît Hamon proposait un « revenu universel ». Il existe aussi des propositions et des expérimentations pour des « allocations universelles » ou des « revenu d’existence »… L’idée a donc pris de l’ampleur, mais est en même temps devenue plus floue. Est-ce pour y remédier que vous avez entrepris de dresser cet état des lieux des connaissances sur la question ?
Lorsqu’une idée se répand à travers le monde, il est inévitable qu’elle donne lieu à de nombreuses confusions et fake news, du reste presque autant dans le camp de ses partisans que dans celui de ses détracteurs.  L’un des objectifs de notre livre est en effet de clarifier les concepts et les arguments et de corriger les erreurs factuelles, de manière à permettre une discussion plus limpide et mieux informée. Par exemple, on parle maintenant régulièrement du revenu de base qui aurait été introduit en Italie, à l’initiative du mouvement Cinque Stelle, sous le nom de « reddito di cittadinanza » (revenu de citoyenneté). Le revenu de base inconditionnel est parfois appelé « revenu de citoyen » au Royaume Uni, « salaire de citoyen » dans les pays scandinaves, « revenu de base de citoyenneté » au Brésil. Mais le « reddito di cittadinanza » de Cinque Stelle, comme le « reddito di inclusione » du gouvernment Gentiloni qui l’a précédé, n’est qu’un dispositif d’assistance sociale aux ménages pauvres du même type que le RSA français. Une confusion analogue est maintenant présente en Inde, où l’on attribue aussi parfois une proposition de revenu de base à Rahul Gandhi, leader du parti du Congrès. Il est vrai que le parti du Congrès s’est détourné des politiques de subventions à l’alimentation et de garantie d’emplois publics pour promouvoir un vaste programme d’allocations en espèces. Mais ce programme reste réservé aux personnes satisfaisant une condition de pauvreté. En revanche, ce que le parti au pouvoir dans l’état indien de Sikkim propose pour la prochaine législature est bien un revenu de base inconditionnel. Plus près de chez nous, dans le cas de l’expérience finlandaise, il n’est pas abusif d’utiliser l’expression. Certes, l’expérimentation ne concerne que deux mille chômeurs de longue durée qui recevaient auparavant une allocation mensuelle de 560 euros dans le cadre d’un dispositif conditionnel de type RSA. Mais cette allocation leur a bien été attribuée de manière  inconditionnelle pendant deux ans : ils pouvaient la garder, par exemple, s’ils se mettaient en ménage, s’ils gagnaient un salaire ou s’ils renonçaient volontairement à un emploi. Pas de confusion donc, mais cela n’a bien sûr pas empêché les fake news. Ainsi, vers le milieu de la deuxième année, les médias sociaux et classiques ont colporté une prétendue information selon laquelle l’expérimentation aurait été interrompue, suggérant par là que ses initiateurs étaient déçus par ses résultats. Mais il n’en était rien. L’expérimentation s’est terminée, conformément à l’engagement pris par le gouvernement, après deux ans, le 31 décembre 2018, et les résultats n’en seront pleinement connus que début 2020.

Pour éviter ces confusions, pouvez-vous établir une rapide typologie des propositions, et nous dire bien sûr laquelle a votre préférence ?
Le revenu de base, tel que défini par le BIEN (Basic Income Earth Network), est  un revenu versé à chaque membre d’une société à titre individuel, sans contrôle de ressources et sans obligation de disponibilité sur le marché du travail. Chacune de ces inconditionnalités est pour nous importante. Et elles distinguent le revenu de base du RSA français, du « Hartz IV » allemand et du « reddito di cittadinanza » récemment introduit en Italie. Il y a d’innombrables propositions de revenu de base ainsi défini. Elles diffèrent notamment par le montant, la modulation éventuelle selon l’âge, le mode de financement et ce qu’il remplace. Ce qui constitue la proposition immédiate la plus appropriée pour un pays donné à un moment donné dépend de son contexte institutionnel, de ses capacités administratives et de l’état de son opinion publique.

Vous détaillez en effet ces différentes modalités dans votre livre. Le fait que le revenu  soit devenu une proposition politique, et plus seulement une « utopie concrète » imaginée par des intellectuel.le.s, est-ce plutôt une bonne ou une mauvaise chose ? Il semble en effet important de voir les conditions de faisabilité du revenu de base inconditionnel, mais l’approche partisane ne risque-t-elle pas de réduire les possibles ?
Il suffit effectivement parfois qu’un parti politique la défende pour que les autres la rejettent. Si c’est un parti de gauche qui l’adopte, la droite y voit une idée communiste. Si c’est un parti de droite, la gauche y voit une idée néo-libérale. Mais pour que, dans une démocratie, l’idée ne reste pas un rêve, il faut que des partis s’en emparent. Mais ils ne le feront plus que de manière éphémère que si le terrain est suffisamment préparé. D’abord par des visionnaires qui ne soient pas que des rêveurs, des personnes qui formulent des propositions radicales qu’ils soumettent sans indulgence à une discussion critique multidisciplinaire, pour en traquer les effets pervers possibles et aborder de front les objections les plus diverses.  Ensuite par des botteurs de cul, des personnes qui perçoivent l’injustice ou l’absurdité des institutions en place et expriment leur indignation, produisant ainsi l’énergie requise pour se décoller du statu quo. Enfin par des bricoleurs, qui comprennent bien les obstacles qui s’opposent au changement mais sont aussi capables de percevoir les interstices, les crevasses, où les réformes peuvent durablement se glisser sans produire trop de chaos. Et lorsque le terrain est suffisamment mûr, il faut encore des politiques capables de comprendre l’analyse des visionnaires, de mobiliser l’énergie des indignés et d’écouter les conseils des bricoleurs. L’un ou l’une des ces politiques en fera alors peut-être son affaire, et inscrira ainsi son nom dans l’histoire.

Quelle est l’origine de cette idée ? Vous faites un travail d’historien en remontant au XVIIIe siècle. Or le revenu de base est plutôt perçu comme une réponse à un phénomène très contemporain : la fin du travail, ou en tout cas les menaces que l’automation fait peser sur l’emploi. Qu’en est-il ?
La popularité récente de l’idée doit beaucoup – pas tout – aux craintes et aux espoirs que suscite l’automation, parfois sur la base d’un argument simpliste, qui n’est pas le nôtre, qui voit dans le revenu de base une alternative à un droit au travail prétendument devenu irréaliste. Les premiers défenseurs de l’idée, cependant, y sont venus par une autre voie. Pour Thomas Paine dans Agrarian Justice (1796) ou Joseph Charlier dans Solution du problème social (1848), le revenu de base inconditionnel est une exigence de justice résultant de l’appropriation privée de la terre. Comme nous sommes tous, éthiquement parlant, les co-propriétaires de ce que la nature nous a donné, ceux qui se l’approprient sont redevables d’une rente que la justice exige de distribuer également entre toutes et tous: sous la forme d’une dotation universelle pour tout jeune de 21 ans et d’une pension de retraite universelle à partir de l’âge de 50 ans chez Paine, sous la forme d’une revenu régulier tout au long de l’existence chez Charlier.

L’une des premières justifications du revenu de base inconditionnel, c’est donc de faire advenir un nouveau droit social, il faut repenser aujourd’hui la protection sociale ?
Il y a trois modèles de protection sociale, chacun obéissant à une logique distincte. L’assistance sociale, née au début du 16e siècle, est un dispositif d’aide des pouvoirs publics aux ménages pauvres. L’assurance sociale, née à la fin du 19e siècle, est un régime de solidarité entre travailleurs qui se cotisent pour se protéger mutuellement contre un certain nombre de risques : maladie, invalidité, vieillesse, chômage involontaire, etc. Enfin, le dividende social consiste à partager équitablement entre toutes et tous ce que nous devons non seulement à la nature et à l’action des générations antérieures. C’est de ce troisième modèle que relève le revenu de base inconditionnel, dont les allocations familiales conçues comme un droit de l’enfant et les pensions de retraite minimales uniformes et inconditionnelles constituent, dans certains pays, des anticipations. Tout comme le deuxième modèle n’a pas remplacé le premier mais lui a permis de mieux jouer son rôle avec une amplitude réduite, de même le troisième ne remplacera pas les deux autres mais leur permettra à chacun, dûment recalibré, de mieux jouer son rôle. Aucun des trois modèles ne constitue une alternative au droit au travail. C’est clair pour les deux premiers, qui intègrent, pour les personnes en âge et en état de travailler, une obligation de disponibilité sur le marché du travail. Mais ce doit l’être aussi pour le troisième, qui vise au contraire à faciliter la réalisation de ce droit.

Est-ce qu’il ne faut pas s’inquiéter alors de voir des thuriféraires de l’ultralibéralisme défendre le revenu de base comme un substitue à l’ensemble des prestations sociale ? Le revenu de base semble très bien s’accommoder d’une version « radicale » du capitalisme.
Comme déjà mentionné, il y a plusieurs versions du revenu de base. Dans certaines versions ultra-libérales, comme celle de l’américain Charles Murray, il s’agit de le substituer à l’ensemble de l’État-providence, y compris l’assurance santé. Pour nous, non seulement il ne s’agit pas de remplacer les composantes « en nature » de l’État social. En outre, le revenu de base doit être conçu comme un socle qui devra resté complété non seulement par un régime d’assurance sociale obligatoire pour les travailleurs, mais aussi, même à long terme, par des suppléments d’assistance sociale, par exemple pour couvrir les frais de logement de personnes sans autres revenus vivant seules dans un contexte urbain. Il n’implique donc pas la grande table rase souhaitée par certains libéraux. Mais il implique tout de même une simplification considérable, en plus d’une forte réduction de la dimension répressive de l’État-providence, qui ne devrait pas non plus déplaire à un vrai libéral. Si on préfère le marché à l’État non parce qu’il sert mieux l’intérêt des riches mais parce qu’il entrave moins la liberté individuelle, alors il est difficile de ne pas être attiré par une proposition qui augmente la liberté de celles et ceux qui en ont le moins.

Vous avez à cœur de répondre aux critiques, aux arguments souvent opposés à votre proposition. Il y en a une, assez puissante, qui met en cause l’universalité : pourquoi donner aussi aux riches ?
Pas parce que ce serait mieux pour les riches — ce ne l’est pas — mais parce que c’est mieux pour les pauvres. Le revenu de base ne tombe pas du ciel. Il doit être financé. Et quel que soit le mode financement adopté, les riches payeront bien entendu pour leur propre revenu de base et pour une partie de ce celui des plus pauvres. Verser un revenu automatiquement à chacun, sans avoir à contrôler le revenu et la composition des ménages ni en suivre les fluctuations, permet d’assurer aux plus vulnérables une précieuse sécurité économique et de leur éviter la stigmatisation inhérente à tout dispositif focalisé sur les « pauvres ».

Il y a tout de même une question de justice qui se pose, et qui peut être formulée dans les termes de la controverse qui vous a opposé aux « libéraux égalitaires » et à John Rawls en particulier : la controverse du « surfer à Malibu ». Pourquoi la société devrait elle subvenir aux besoins de quelqu’un qui aurait décidé de ne plus participer à l’effort collectif et de s’adonner exclusivement à la pratique du surf ?
L’image du surfeur est bien sûr trompeuse, parce qu’on attribue implicitement au surfeur les revenus bien supérieurs au revenu de base qui lui permettent de résider à Malibu. La controverse n’en porte pas moins sur une question centrale : celle de savoir si chacun a le droit de disposer, sous la forme d’un modeste revenu inconditionnel, d’une part de ce qui nous est légué sous la forme d’un don très inégal incorporé dans les revenus que nous attribue le marché. La plus grande partie de ce que j’ai « gagné » au fil ne mon existence n’est nullement due à mes efforts mais au hasard qui m’a fait naître en ce temps et en ce lieu et aux circonstances largement fortuites qui m’ont permis d’accéder à un emploi bien rémunéré. C’est ce cadeau très inégalement réparti qu’il s’agit de distribuer de manière plus équitable, en laissant à chacun la liberté d’en user à sa guise. Dans ma conférence de 1990 à Harvard, ultérieurement publiée sous le titre « Why surfers should be fed », je reprochais à Rawls de ne pas être fidèle à son principe libéral d’égal respect pour la diversité des conceptions de la vie bonne en préférant à un revenu inconditionnel un dispositif de subvention aux bas salaires.

C’est donc une question normative ? Ce que vous proposez c’est de s’affranchir de la conception commune de l’effort, du mérite pour insister sur l’importance des inégalités de destin ?
Comme Rawls mais aussi comme Hayek, et à l’encontre de certaines de nos intuitions, je ne crois pas qu’il soir possible de donner à la notion de mérite un rôle fondamental dans une théorie de la justice. À ceux qui, au nom de l’importance qu’ils accordent au mérite, estiment qu’un revenu inconditionnel est injustifiable, je demande d’abord, comme je viens de le faire, de réfléchir au degré auquel leur niveau de vie matériel est dû est des facteurs qui ne peuvent d’aucune manière être associés à leur mérite. Et je les invite ensuite à réfléchir à la place qui resterait allouée à ce qu’ils appellent le mérite dans une société où, grâce entre autres au revenu de base, les avantages manifestement immérités auront été répartis d’une manière plus équitable. Non seulement les plus « méritants », ceux qui font plus d’efforts, continueront à occuper des positions mieux dotées en revenu, en pouvoir et en prestige. En outre, dans cette société, comme dans toute société, le respect, l’estime, l’admiration de celles et ceux qui comptent pour nous ne nous seront pas donnés inconditionnellement, comme un revenu peut l’être. Ils devront être « mérités ».

La question de la « soutenabilité » économique du revenu de base mérite qu’on s’y arrête et qu’on élargisse le spectre. Est-ce que la mondialisation ne rend pas impossible son instauration dans un seul pays ? Même s’il doit être selon vous « inconditionnel », peut-on imaginer des variations en fonction de l’âge ou de l’espace considéré ?
Une variation en fonction de l’âge ne pose pas de problème particulier du point de vue de la soutenabilité économique. En revanche, la migration constitue un défi pour tout dispositif de redistribution non contributif, c’est-à-dire ne restreignant pas les prestations aux personnes ayant cotisé à un système d’assurance. Ce défi concerne donc en principe autant l’assistance sociale et même les subventions aux bas salaires qu’à un revenu de base. Si le pays concerné dispose du plein contrôle de ses frontières, il lui est loisible d’imposer des conditions d’installation qui évitent une immigration susceptible de peser trop sur le dispositif. Si les frontières sont ouvertes, comme elles le sont au sein de l’Union européenne,  on peut concevoir qu’un stage d’attente soit exigé avant d’accéder de plein droit à l’ensemble des prestations non-contributives. C’est la formule actuellement utilisée pour protéger les dispositifs d’assistance sociale au sein de l’Union. Une formule analogue devrait être utilisée en cas d’introduction d’un revenu de base dans un état membre. Il s’agit inévitablement d’un bricolage peu élégant, dont on pourrait se passer si le dispositif fonctionnait à l’échelle de l’ensemble de l’Union.

L’un des points les plus forts de votre livre, c’est de montrer que le revenu de base n’est pas seulement une façon de sortir les gens d’une situation de précarité, mais c’est aussi une façon de donner du pouvoir, de garantir une forme de liberté qui vous est chère. Qu’entendez-vous par là ?
Le revenu de base, ce n’est en effet pas seulement une manière de permettre à chacun d’atteindre un niveau minimal de revenu comme peut le faire un dispositif d’assistance aux ménages pauvres. Du fait qu’on le conserve lorsqu’on accepte un emploi ou s’en crée un, le revenu de base libère de la trappe du chômage. Du fait qu’on le conserve lorsqu’on renonce volontairement à un emploi ou en refuse un, il libère aussi de la trappe de l’emploi. Enfin, du fait qu’on le conserve lorsqu’on se met en ménage, il libère de la trappe de l’isolement. Il ne s’agit donc pas seulement de pouvoir d’achat mais aussi de pouvoir de négociation et, plus largement, de liberté réelle de mener sa vie comme on l’entend.

La question de la liberté et de l’émancipation est évidemment centrale. Mais est-ce que selon vous ce revenu de base peut répondre à d’autres défis comme l’éducation, l’écologie ou l’aggravation des inégalités ?
Le revenu de base n’est pas une mesure magique qui résoudra d’un coup tous les problèmes de nos sociétés. Mais il constitue un appui évident à tout effort de promouvoir la formation tout au long de l’existence. Il offre une manière de s’attaquer au chômage involontaire sans tabler sur une croissance effrénée. Et il constitue un instrument puissant pour lutter contre les inégalités, surtout si l’on comprend que les inégalités qui importent pour la justice sociale sont les inégalités de liberté réelle, dont les inégalités de revenus ne sont qu’un aspect, et si l’on comprend en outre que les inégalités au sein des ménages importent autant que les inégalités entre ménages.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du travail ? On parle beaucoup ces temps-ci de « tacheronisation » du travail digital (Antonio Casilli) ou des « bullshit job » (David Graeber). Est-ce que le revenu de base inconditionnel est aussi une façon de faire disparaitre ces emplois précaires, mal payés et dénués de sens ?
Le revenu de base ne fera pas disparaître les emplois peu payés. Il vise au contraire à rendre viables des emplois peu payés qui ne sont pas viables aujourd’hui parce qu’en l’absence d’un revenu complémentaire leur rémunération ne permet pas de survivre. Mais les emplois ainsi rendus viables seront nécessairement des emplois qui ont du sens pour celles et ceux qui les acceptent, en raison de la formation qu’ils offrent, du plaisir intrinsèque qu’on y prend ou de la vocation qu’ils permettent de réaliser. En revanche, les bullshit jobs, les emplois absurdes ou ingrats qui sont aujourd’hui mal payés devront soit disparaître, soit s’améliorer, soit encore être mieux payés qu’ils ne le sont aujourd’hui. Le revenu de base n’a pas seulement pour effet visé et attendu d’améliorer la qualité intrinsèque moyenne du travail rémunéré, mais aussi de réduire, et à la limite inverser, l’injuste corrélation positive entre la qualité intrinsèque d’un emploi et sa rémunération.

 

NDLR À l’occasion de la sortie de Revenu de base inconditionnel : Une proposition radicale (La Découverte), Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght débattrons avec Benoît Hamon et l’économiste Daniel Cohen à l’Ecole Normale Supérieur – Campus Jourdan Jeudi 18 avril à 18h00 (Entrée gratuite, inscription obligatoire).


Raphaël Bourgois

Journaliste

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