Éducation

Université : vers un Mai 18 ?

Secrétaire national du SNESUP-FSU

Les enseignants-chercheurs sont de plus en plus nombreux à s’opposer à la réforme de l’accès à l’université. Plus de 200 départements ou UFR, parfois même des universités entières, ont déjà adopté des motions très explicites de refus de la réforme ou des décisions de classement de tous les candidats 1er ex-æquo, ce qui revient à enrayer la machine à sélection.

J’assume totalement la « verticalité » du pouvoir…
je hais l’exercice consistant à expliquer les leviers d’une décision.
 Emmanuel Macron, La Nouvelle Revue Française, n°630, mai 2018

 

Emmanuel Macron aime la « révolution ». Les « marcheurs » aussi. Depuis le livre de campagne au titre éponyme, ils la déclinent quotidiennement, à tout sujet. Celui qui aime la langue et accorde encore une attention au sens des mots, fera l’hypothèse que le terme de « révolution » subit dans cet emploi très lâche quelque désémantisation lexicale. Si le mot est effectivement devenu un concept de marketing au service de l’entreprise-Macron, il serait toutefois prudent de le prendre au sérieux. Car Emmanuel Macron est bien un révolutionnaire, mais d’une trempe particulière : il conduit méthodiquement une contre-révolution néolibérale et autoritaire qui prend la forme d’une guerre ouverte contre l’ensemble des fonctions publiques et des acquis sociaux. Cette « blitzkrieg » n’épargnera pas les secteurs dits « régaliens » : ni l’Intérieur, ni la Défense, et encore moins la Justice n’échapperont aux intérêts du privé. Quant à l’Hôpital et à l’Université, leur pillage est entamé depuis si longtemps qu’il ne reste plus à Macron qu’à parachever le grand œuvre des néolibéraux de droite comme de gauche : créer des marchés dérégulés et concurrentiels de la santé et de l’éducation, marchés dont rêvent les maîtres du CAC 40. Sera passé par pertes et profits l’État garant de l’égalité, acteur de la redistribution et promoteur des solidarités. Tel est le paradoxe du néolibéralisme autoritaire : l’État met sa puissance au service de l’affaiblissement de l’État.

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C’est dans un tel contexte que la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants – loi dite « ORE », promulguée le 8 mars dernier – et la nouvelle procédure d’affectation « Parcoursup » ont instauré la sélection à l’entrée de l’université. Une « révolution » qui a généré une forte contestation qui pourrait très bien enflammer les établissements d’enseignement supérieur et les lycées, en ce mois de mai 2018, dans lequel le pouvoir ne souhaite en aucun cas voir apparaître l’ombre – un philosophe dirait le « spectre » – de Mai-68.

En effet, les enseignants-chercheurs sont de plus en plus nombreux à dire leur refus de cette réforme et l’impossibilité humaine et technique de la mettre en œuvre. Ils suivent alors les pas des étudiants, mobilisés à des degrés divers dans une cinquantaine d’établissements d’enseignement supérieur. Ils tiennent ensemble des Assemblées générales nombreuses et travaillent  à converger avec d’autres secteurs en lutte, en particulier les cheminots. Vingt-quatre heures après son lancement une pétition avait reçu 4 000 signatures d’enseignants-chercheurs. Aujourd’hui, ce sont près de 200 départements ou UFR, parfois même des universités entières, qui ont adopté des motions très explicites de refus de la réforme, ou bien des décisions de classement de tous les candidats 1er ex-æquo, ce qui revient à enrayer la machine à sélection. Ces motions sont recensées par Sauvons l’Université (SLU) et le SNESUP-FSU. Rares sont les universités qui ne comportent pas en leur sein des départements ou UFR rebelles à la loi ou bien encore des commissions qui refusent d’opérer une sélection que leurs membres assimilent à un tri social. Enfin une très large « interfédérale », regroupant organisations syndicales et associations, demande le retrait de la loi ORE.

Contrairement à ce qu’elle avait annoncé, Parcoursup a bien été conçu pour refuser l’accès à l’université.

La mobilisation des étudiants comme les actes de résistance des enseignants-chercheurs ont surpris le gouvernement, et en particulier la ministre Frédérique Vidal qui a dû également faire face à des « révélations » gênantes de la presse sur ses possibles « mensonges » : contrairement à ce qu’elle avait annoncé, Parcoursup a bien été conçu pour refuser l’accès à l’université. Sinon pourquoi avoir établi des « capacités d’accueil » pour toutes les filières et pourquoi obliger les commissions à procéder à des classements, y compris dans les composantes qui ne sont pas en tension ?

Plusieurs milliers de lycéens – certainement plusieurs dizaine de milliers – feront les frais de ce tri social dès cette année, alors que les statistiques du ministère annoncent 34 000 étudiants supplémentaires dans les universités en 2018 et que l’UNEF estime qu’il manquera 100 000 places dans les universités à la rentrée 2019. Au « mensonge » de la ministre s’est ajoutée la fronde de six président.e.s d’université qui ont souligné « le légitime mécontentement exprimé par la communauté des personnels et des étudiants » et demandé l’ouverture de négociations avec le ministère.

Les vacances ont été mises à profit par le gouvernement pour faire le grand ménage de printemps des établissements bloqués et occupés, au risque de nouvelles violences policières et d’une radicalisation du mouvement : après Strasbourg et Paris 1 (site de Tolbiac), ce sont Metz, Nancy, Grenoble et Paris 3 (site de Censier) qui ont été promptement nettoyées des « professionnels du désordre », selon l’expression de notre président « révolutionnaire » qui a suscité la réaction de 250 universitaires. La séquence qui s’ouvre en ce début de mois de mai sera décisive : au 1er  mai succéderont la journée nationale de mobilisation du 3 mai dans l’éducation, une Coordination nationale des étudiants (CNE) les 5 et 6 mai à Paris 3 ainsi que la tenue d’une première Coordination nationale des universités (CNU) le 5 mai, dans la grande salle Ambroise Croizat de la Bourse du travail de Paris. Un lieu et une date bien choisis : au mois de mai, la « Fête à Macron » pourrait devenir permanente et intercatégorielle.

Qu’est-ce donc qui motive le refus de la sélection par une partie significative de la communauté de recherche et d’enseignement ? Beaucoup a déjà été écrit ces derniers mois sur les absurdités de Parcoursup et des études critiques de grande qualité sont disponibles. Dès le mois de février les sociologues Romuald Bodin et Sophie Orange dénonçaient dans les colonnes d’AOC une « réforme conservatrice » qui conduit à une « rigidification des parcours » et au « renforcement des inégalités », alors que Stéphane Beaud et Mathias Millet rappelaient avec force, dans un article de La Vie des idées, l’inégalité du système d’enseignement supérieur français, scindé entre d’un côté « une université et une scolarité supérieure de masse sans moyens » et de l’autre « des grandes écoles plus que jamais surdotées, fréquentées par une majorité d’héritiers et une minorité de boursiers ».

Par ailleurs, démonstration a été faite et refaite que les mobiles de la réforme reposaient sur un travestissement par le gouvernement du taux d’échec en licence. Toute une documentation est à notre disposition, de la bande dessinée pédagogique aux diaporamas plus techniques, en passant par la très bonne synthèse de SLU sur le dispositif Parcoursup et la loi ORE. Le groupe Jean-Pierre Vernant a dénoncé quant à lui « une usine à gaz bureaucratique et chronophage » qui « agit comme un révélateur de l’idéologie hégémonique : l’ensemble du dispositif se focalise sur les “meilleurs étudiants” qu’il s’agit d’attirer dans les “meilleurs formations” ».

En complément de ces analyses, je souhaite simplement souligner l’importance de trois facteurs qui permettent d’éclairer autrement les raisons de l’opposition à la réforme. La première cause du refus d’application de la loi par les enseignants-chercheurs me semble être l’état de l’université française et la situation dans laquelle se trouve son personnel. La seconde, la plus importante à mes yeux, concerne des questions d’éthique. Enfin, la troisième raison tient à la nature même de la conduite de la réforme par le gouvernement, sous la responsabilité et l’autorité du président. Je ne fais ici que poser quelques jalons pour « expliquer les leviers » d’une contestation historique d’une réforme dont l’enjeu est fondamental : le maintien ou la suppression du droit de libre accès à l’enseignement supérieur pour toutes les bachelières et tous les bacheliers. De ce droit dépend l’avenir non seulement de la jeunesse, mais aussi de l’Université.

La loi ORE ne s’appliquera pas – ou s’appliquera au mieux de manière inégale, inégalitaire et chaotique, au pire en faisant des dégâts humains considérables – pour une raison élémentaire : les universités ne disposent pas des moyens humains et financiers pour la mettre en œuvre, et en particulier les ressources qui devraient permettre d’accompagner et soutenir pédagogiquement les étudiants auxquels des commissions auront répondu par « oui, si ». Tous les personnels le savent et même les 63 présidents d’université – auxquels SLU a très bien répondu – qui tentent maladroitement de voler au secours du gouvernement, le concèdent : « Mettre en œuvre cette loi sans moyens nou­veaux à la hauteur des enjeux et ins­crits dans une perspective plurian­nuelle, ce serait la condamner à l’échec ». Julien Gossa sur son blog d’EducPros a fait la démonstration de l’incurie du gouvernement : 8 millions d’euros pour le traitement des dossiers et 33 millions pour les places supplémentaires correspondent à « moins de trois minutes financées par étude de dossier de candidature » et à « un financement de seulement 15 % des nouvelles places créées pour Parcoursup ». Le compte n’y est pas. Le gouvernement ment, ou bien il prend les universitaires et les étudiants pour des imbéciles.

La tribune des six présidents et présidentes a la grande vertu de brosser en une seule phrase un portrait exact des universités françaises. Selon eux, le gouvernement exige l’application de cette loi « au moment où la plupart des universités gèlent des postes d’enseignants, d’enseignants-chercheurs et de personnels BIATSS pour simplement maintenir les budgets à l’équilibre, au moment aussi où de nombreux établissements doivent faire face à des amphithéâtres et groupes de travaux dirigés surchargés, où le recours aux vacataires et aux personnels contractuels progresse, où les tâches administratives sont de plus en plus lourdes, tandis que les financements lourds, extra-budgétaires du PIA façonnent un nouveau paysage de l’ESR, mettant en concurrence les établissements et renforçant la concentration des moyens sur quelques-uns d’entre eux». Tout est dit, à une réserve près : le « moment » que pointe les présidents et présidentes dure depuis fort longtemps !

En effet, une cure d’austérité est imposée aux universités depuis 10 ans au moins, l’augmentation démographique du nombre d’étudiants – que la loi ORE tente aujourd’hui de contenir par la sélection – était parfaitement prévisible, le développement de la précarité est exponentielle depuis l’adoption de la loi LRU en 2007 et la politique dite « d’excellence » a largement favorisé les financements par appels à projet, au détriment des crédits récurrents qui n’ont cessé quant à eux de baisser. Il en a résulté un renforcement de l’individualisme, une déstructuration des équipes de recherche et des coopérations. L’idéologie de l’excellence, associée à une multiplication des primes au mérite, a généré une compétition de tous contre tous, chercheur contre chercheur, laboratoire contre laboratoire, université contre université. Abîmer ainsi la collégialité est un non-sens pour la recherche qui repose, on le sait, sur des collaborations actives et sur la solidité des équipes.

La loi ORE est enfin inapplicable parce que les personnels des universités, qu’ils soient enseignants ou administratifs, titulaires ou contractuels, ne sont ni en état, ni en mesure de traiter les milliers de dossiers de la plateforme Parcoursup. Le nouveau management public, le déficit chronique de moyens, la dégradation des lieux de travail, le cumul des réformes et les restructurations incessantes ont mis de très nombreux personnels dans un état de grande difficulté : dépression, burn-out, pression au travail, situations de harcèlement, tentatives de suicide et suicides effectifs – liés aux conditions de travail – se multiplient. Comme d’autres militants syndicaux, j’ai accompagné des collègues en grande souffrance, de plus en plus nombreux ces dernières années. Ce sont parfois des structures entières qui sont touchées par ce qu’on nomme pudiquement « les risques psychosociaux ». C’est que l’Université française se « France-télécomise » à la vitesse grand « V ».

Un principe de précaution devrait obliger le gouvernement à retirer cette loi. Ou bien il sera de la responsabilité des représentants des personnels dans les CHSCT de procéder à des signalements pour « danger grave et imminent » chaque fois qu’ils auront connaissance d’un collègue dont la santé est mise en danger par des charges de travail qui ne sont plus humainement supportables. C’est ainsi qu’il convient de prendre très au sérieux la lettre ouverte d’Alexis Blanchet, directeur du master Cinéma et Audiovisuel à l’Université Paris 3, qui se déclare ce 30 avril « en grève administrative et pédagogique illimitée » et qui annonce démissionner de toutes les charges administratives qui lui incombent. Il poursuit sa lettre ainsi :

« J’arrête car nous crevons de ne pas arrêter. La loi ORE et le dispositif ParcourSup ont fini d’épuiser ma bonne volonté et ma conscience professionnelle. L’intervention policière de cette nuit est le geste de trop. J’assiste depuis 14 ans maintenant (et depuis 21 ans si je compte mes années d’études  universitaires) à une destruction programmée, lente mais résolue du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. »

Et Alexis Blanchet de confier : « Je n’ai jamais observé tant d’arrêts maladie, de burn-out, de surmenages, de nécessité à “lever le pied” que ces sept dernières années à Paris 3. » Gageons que la publication de cette lettre, vraie et forte, créera un électrochoc salutaire et que nombreux seront les collègues à « s’arrêter », avec Alexis Blanchet.

Au début du grand mouvement universitaire de 2009 contre la « mastérisation » des concours et la remise en cause du statut des enseignants-chercheurs par Valérie Pécresse, une CNU avait adopté la motion suivante, associée à un appel à la « grève totale, reconductible et illimitée » : « Le 2 février 2009 l’Université s’arrête. » Les étudiants et les personnels en lutte n’obtiendront pas le retrait de la loi ORE sans un arrêt effectif de l’université.

Parcoursup, c’est Minority report aux pays de Soviets : du prédictif dans un cadre totalitaire.

La seconde raison de la contestation de la sélection est l’attachement des universitaires à des valeurs et principes que la loi ORE foule allègrement aux pieds. Et tout d’abord le libre accès à l’université. Le fameux article L612-3 du Code de l’éducation a été profondément modifié. Deux alinéas majeurs ont été supprimés : « Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat » ; « Les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection ». Ainsi que le reconnaissent les six président.e.s dans leur tribune, la loi « pose un vrai problème éthique car elle ne reconnaît plus systématiquement l’universalité du baccalauréat comme diplôme d’accès à l’enseignement supérieur ». De fait, la loi ORE supprime un droit fondamental, dont je rappelais dans un article récent qu’il fait l’objet d’une importante recommandation de l’UNESCO (voir le point 9). Plus précisément, la loi institutionnalise au niveau de l’université une procédure réservée antérieurement aux filières dites « sélectives » (classes préparatoires, IUT, BTS, etc). Avec Parcoursup c’est donc désormais la totalité de l’enseignement supérieur qui est soumis à une procédure de sélection.

Tout aussi graves sont les restrictions mises aux libertés de choix des lycéens et de réorientation des étudiants. Parcoursup, c’est Minority report aux pays de Soviets : du prédictif dans un cadre totalitaire. Annabelle Allouch a justement souligné dans Le Monde diplomatique l’absurdité d’une conception tubulaire de l’orientation qui relie directement la décision d’un choix professionnel opéré à l’âge de 15-16 ans (classe de seconde) à l’entrée sur le marché du travail après la licence. Bref, du Bac -3 on demande à l’adolescent.e de se projeter à Bac +3 et si possible de ne pas dévier de ce choix. Une telle conception de l’éducation et de la formation individuelle – unilinéaire, normative et visant à supprimer toute forme d’inconnu – relève des fantasmes les plus inquiétants. C’est que Parcoursup n’est décidément pas au service des lycéennes et des lycéens.

Il est au service du marché du travail et de l’employabilité. APB, qui comportait une hiérarchisation des vœux, visait à satisfaire le plus grand nombre possible de lycéens. La suppression de cette hiérarchisation dans Parcoursup montre qu’il s’agit désormais de « satisfaire » les formations, et donc les universités.

Que les jeunes se le disent : avant même qu’ils ne soient contraints de se vendre comme une marchandise dans le grand marché dérégulé du travail de plus en plus précaire, ils devront apprendre à vendre leurs compétences auprès d’universités de plus en plus sélectives. Oser leur inculquer l’idéologie du « premier de cordée » dès avant le bac et les mettre à cet âge en situation de concurrence entre eux, en dit long sur l’état de nos élites.

Reste-t-il encore un humain dans la technostructure ministérielle pour faire l’hypothèse que la principale cause des difficultés des étudiants à obtenir leur licence en trois ans est la misère qui s’accroît en milieu étudiant et l’obligation pour la moitié d’entre eux d’avoir un emploi pour financer leurs études ? Les universitaires sauront rappeler à nos politiques que si le savoir n’est pas une marchandise, les étudiants, quant à eux, ne sont pas des clients, mais les usagers d’un service public.

Enfin les enseignants-chercheurs s’interrogent sur leurs responsabilité dans ce nouveau processus de sélection et considèrent les modifications apportées à leurs missions. Je me permets de citer, pour sa grande qualité, un extrait de la motion adoptée par les enseignants-chercheurs des départements d’études arabes, d’études chinoises et d’études turques de la Faculté des Langues de l’Université de Strasbourg. On peut y lire ceci :

« Du point de vue des enseignants, le principe du classement change l’esprit même de notre métier. S’il est évident qu’un bagage minimum est nécessaire à la poursuite d’études universitaires, notre mission n’a jamais été, jusqu’à présent, de donner plus aux étudiants les plus performants et de subordonner les étudiants les moins compétitifs aux besoins supposés des différents secteurs d’activité. Le sens même du métier d’enseignant-chercheur est au contraire de fournir à chaque génération de jeunes adultes, dans le cadre d’un service public, les moyens d’entrer dans la société en tant que citoyens libres et égaux, capables de porter sur le monde tel qu’il est un regard critique. De nombreuses filières sélectives existent déjà dans notre système éducatif ; on peut débattre de la pertinence de chacune d’entre elles, mais l’extension de leur mode de fonctionnement à l’ensemble de l’enseignement supérieur est une révolution qui mérite, pour le moins, concertation. »

Cette concertation a eu lieu avec les partenaires sociaux. Rien de ce qu’ils ont proposé – ou si peu – n’a été pris en compte par le gouvernement.

La conduite simultanée des  réformes obéit à une stratégie du choc : provoquer un burn-out des organisations syndicales, tétanisées par la multiplication des fronts ainsi ouverts.

Le troisième levier de la contestation de la loi ORE est relatif à la méthode de gouvernement de Macron et à son projet politique. Les deux sont inséparables et il n’est plus grand monde qui n’ait pas saisi la stratégie mise en œuvre. J’ai souligné, en introduisant cet article, l’objectif du président : parachever le grand œuvre de destructuration des services publics entamé et réalisé continûment ces 20 dernières années par les gouvernements de droite et la gauche : la LOLF en 2001 et la RGPP en 2007. Une double systématicité est à l’œuvre : sont concernés d’une part l’ensemble des fonctions publiques à travers l’opération « Action Publique 2022 », et d’autre part, au sein de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, une série de réformes qui touchent l’ensemble du système « bac-3/bac+3 ». La loi ORE et la mise en place de la plateforme Parcoursup sont inséparables des réformes du bac et du lycée, auxquelles travaille le ministre Blanquer. Dans la foulée, l’arrêté licence sera profondément revu. La privatisation de la formation professionnelle est également dans l’escarcelle du gouvernement. La conduite simultanée de toutes ces réformes obéit évidemment à une stratégie du choc : provoquer un burn-out des organisations syndicales, tétanisées qu’elles sont par la multiplication des fronts ainsi ouverts.

Macron est un grand dromologue. Maître des horloges, il se veut aussi expert dans la science de la vitesse. La guerre-éclair pour l’instauration de la sélection s’est traduite par un engagement massif et rapide des forces politiques – militantes, législatives et exécutives – et des pouvoirs médiatiques avec lesquels le pouvoir politique se confond de plus en plus. La conduite de cette réforme répond à un schéma-type qui sera certainement appliqué en d’autres occasions :

— la réforme est tout d’abord cadrée et définie avec un haut degré de précision par le sommet de l’État (Macron et son cercle très restreint de conseillers) et celle qui sera adoptée doit être totalement conforme à cet état initial ;

— la deuxième étape consiste dans un dialogue social évidé et une concertation réduite à une pure stratégie de communication. Macron est à la pointe de ce qu’on pourrait nommer le « néolibéralisme communicationnel ». Il excelle dans la puissance du faux. La propagande la plus mensongère prendra toujours l’apparence d’une évidence et d’une vérité absolue ;

— la troisième étape est décisive : elle vise à pousser les partenaires sociaux à une radicalisation des positions, à les taxer d’extrémistes et à les disqualifier socialement et politiquement ;

— Si besoin, une quatrième étape consistera à criminaliser la contestation, légitimer la répression policière et judiciaire, rétablir l’« ordre républicain » et imposer la loi. On en est là, avec la loi ORE.

C’est ainsi que Macron marche. Dans une violence absolue. Non une « force qui va » (Hugo), mais un petit « en marche » devenu un « en force », une « marche forcée » pour des députés muselés, des « passages en force » répétés pour les partenaires sociaux, et un usage efficace de la « force publique » pour réprimer les contestataires. Macron est-il un président dangereux pour la démocratie ? J’en suis convaincu. Nous n’oublierons pas que Parcoursup était en place avant que la loi ne soit adoptée par le parlement. Des recours ont été déposés devant le Conseil d’État.

Un récent « Rapport sur les inégalités mondiales » montre que le transfert massif des biens publics vers la sphère privée est un vecteur majeur d’accroissement des inégalités. La privatisation des biens communs est un acte politique d’une violence inouïe et aux conséquences incalculables. Il consiste dans une opération de soustraction imposée à une majorité au profit d’une minorité. Concrètement, Parcoursup aura pour effet de transférer toute une part du service public de l’orientation – qui est par définition et par nature un service gratuit – au secteur privé, lequel a immédiatement proposé aux lycéens des prestations d’aide à la constitution des dossiers de candidature, dont les coûts sont allés de 200 à 800 euros. À terme, la loi ORE privera les plus démunis de tout moyen d’accès aux meilleures formations supérieures. Il est par conséquent vital de mettre un coup d’arrêt au carnage néolibéral qui se prépare et au dépeçage de nos bien communs.

À cette fin, il est essentiel que les organisations syndicales construisent et accompagnent la convergence des luttes et décident rapidement d’un mot d’ordre de grève générale reconductible dans tous les secteurs impactés par les réformes destructrices de Macron. Il y a une urgence à sortir les salariés de chaque secteur de leur isolement et à construire entre eux une solidarité. Le gouvernement et les médias avec lesquels il se confond l’ont très bien compris. Depuis un mois ils martèlent ensemble que chaque secteur a des revendications différentes et que les causes des protestations sont spécifiques, irréductibles les unes aux autres. Or, ce qui ressort le plus fortement des assemblées générales dans les universités est une conscience aiguë de l’interdépendance des problèmes et de l’origine commune des revendications.

Un communiqué de l’Université Libre de Bordeaux, en date du 29 avril, annonçait la fin de l’occupation de la faculté de la Victoire qui avait commencé le 15 mars. Cette fin est un commencement :

« Ce soir, nous quittons la fac. Nous partons d’ici, mais pour mieux occuper la rue, avec les autres secteurs en lutte dès le 1er mai. Nous pensons qu’il est désormais primordial de mettre nos forces partout où il est possible d’étendre les lignes de front de la guerre sociale qui se joue aujourd’hui, concernant la destruction des services publics (SNCF, Santé, Poste), l’évacuation de la ZAD, les licenciements, et l’accueil des réfugié-e-s et migrant-e-s fuyant les guerres et la misère.
Rejoignez-nous, pour un mai 2018 qui aille jusqu’au bout ! »


Pascal Maillard

Secrétaire national du SNESUP-FSU, Professeur agrégé, Faculté des Lettres, Université de Strasbourg