Enseignement supérieur

Pour attirer les étudiants étrangers, le gouvernement veut… les faire fuir

économiste

Le Premier ministre vient d’annoncer le décuplement des frais de scolarité des étudiants étrangers. Injustice faite aux étudiants ressortissants des pays les plus pauvres, coup porté au dynamisme de l’enseignement et de la recherche en France, ce projet emporte avec lui une réforme encore plus radicale : comment ne pas penser qu’après les étrangers viendra le tour de tous les étudiants, avec pour conséquence le renoncement aux études supérieures pour les plus démunis ou un surendettement massif pour ceux qui persisteraient ?

À les entendre, nous pourrions penser que le président de la République et son Premier ministre, qui se piquent d’être des gens de lettres, ont, récemment, décidé d’apprendre aux Françaises et aux Français à maîtriser toutes les subtilités de la rhétorique. Après le pseudo mea-culpa du premier dans lequel il nous expliquait qu’il n’avait « pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants », nous donnant ainsi une magnifique illustration de l’« euphémisme » (ainsi que le notait Cécile Alduy sur Twitter).

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C’est en effet le Premier ministre qui, lundi, semblait vouloir nous faire goûter toutes les subtilités de l’« antilogie », cette figure de style qui mobilise dans une même phrase ou un même texte, une contradiction ou incompatibilité entre deux idées ou deux opinions. N’affirmait-il pas vouloir : « accroître l’attractivité de l’enseignement supérieur à l’international »… « en faisant payer davantage les étudiants étrangers » ? Quelle maîtrise de l’ironie ! Quel art de la rhétorique ! D’autant plus savoureux qu’il présentait cela sous le slogan « la stratégie #BienvenueEnFrance » !

Sauf que ce n’est pas une blague. C’est très sérieux. Et pas drôle du tout.

C’est notre pays tout entier qu’Emmanuel Macron et Édouard Philippe affaiblissent et notre avenir qu’ils assombrissent.

En effet, même accompagnée comme il le propose également par un accroissement des bourses et des exonérations, une telle mesure, consistant à multiplier par dix les frais d’inscription des étudiants étrangers extra-communautaires, en les portant à 2 770 euros en licence et 3 770 euros en Master et Doctorat, aura comme conséquences logiques : une baisse de l’attractivité de l’enseignement supérieur, une perte de dynamisme de la recherche et, au-delà, une perte d’attractivité de notre pays et de son rayonnement dans le monde, tant culturel qu’économique. Partant, c’est donc notre pays tout entier qu’ils affaiblissent et notre avenir qu’ils assombrissent.

Cris d’orfraie d’idéologues aveuglés, de ceux – toujours les mêmes – qui refusent les arguments de « bon sens » que dicte un simple « pragmatisme », celui qui doit enfin faire tomber les « tabous » ?

Il faut tout d’abord, rappeler que c’est une revendication ancienne. Portée par la droite, relayée, ces dernières années, de manière assez organisée par bien des acteurs, que ce soient des responsables des institutions de l’enseignement supérieur, ou des économistes et des think-thank, fussent-ils « de gauche ». Jusqu’à présent, ils n’avaient jamais obtenu gain de cause et même sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, dont la communauté universitaire et de recherche avait pu pourtant « apprécier » la capacité à « briser les tabous », la digue n’avait pas cédé. [1]

Procédons donc par étapes pour en établir la démonstration.

Le premier ministre se donne l’ambition suivante : « Nous voulons accueillir plus d’étudiants internationaux. Notre ambition : atteindre 500 000 étudiants en mobilité à l’horizon 2027 (actuellement : 320 000). ». Et là, comment ne pas être d’accord avec lui ? Oui, le nombre d’étudiants étrangers doit être accru. Il y va du rayonnement à la fois culturel, mais aussi économique de notre pays. C’est au cœur de notre diplomatie et des échanges internationaux. C’est un élément central de la francophonie.

Mais tordons le cou au préalable, à une idée reçue qui traîne ici et là et qui consiste à dire que la France serait ici en déclin et qu’il y aurait eu une baisse des étudiants étrangers ces dernières années. Quatrième pays d’accueil des étudiants internationaux, premier pays non anglophone, le nombre d’étudiants qui viennent en France n’a cessé d’augmenter ces dernières années [2]. Elle se situe même en 3ème position en ce qui concerne les étudiants en Master et Doctorat. Et, selon les chiffres publiés le 12 avril dernier par Campus France, l’organisme responsable de leur accueil, il y aurait encore eu un accroissement de 4,6 % en 2016-2017 des étudiants accueillis en France.

Certes, ainsi que le rappelle l’OCDE, la part de la France dans la mobilité internationale a baissé de 2,6% en 10 ans, entre 2005 et 2015, mais cela s’explique par la montée en puissance de nouveaux pays, dans ce que certains aiment à appeler « le marché des étudiants étrangers ». Avec le développement économique, l’enseignement supérieur de certains pays se développe et attire des étudiants étrangers : comment s’en plaindre et ne faut-il pas plutôt s’en réjouir ? [3]

La France est actuellement l’un des pays développés qui consacre une des parts les plus basses de sa dépense publique à l’enseignement supérieur.

Cela posé, concentrons-nous sur l’efficacité de la mesure annoncée par le Premier ministre pour accroître le nombre d’étudiants internationaux, à savoir la mise en place de frais d’inscription pour les étudiants étrangers. C’est ce que l’on appelle des « frais de scolarité (ou d’inscription) différenciés ».

Derrière l’« antilogie », trois arguments sont avancés afin d’expliquer comment une telle mesure pourrait se traduire par un accroissement de l’attractivité.

Le premier est d’ordre financier. Une telle augmentation permettrait de financer un meilleur accueil des étudiants étrangers et favoriserait donc l’attractivité de nos établissements d’enseignement supérieur. Oui, disons-le, sans même parler de l’amélioration des conditions d’enseignement en général, la simplification des procédures administratives (y compris universitaires), la mise en place de dispositifs d’accompagnement et de soutien, à la fois pour faire ces démarches et dans les cursus universitaires, l’accroissement du nombre de logements étudiants, les cours de soutien en langue, l’amélioration de la vie étudiante sur les campus, le financement des associations, tout cela est indispensable pour accroître l’attractivité de nos universités et de tous les établissements d’enseignement supérieur. D’ailleurs, tous s’efforcent de le faire depuis des années et n’ont pas attendu les déclaration du Premier ministre pour cela.

En revanche, oui la question des moyens se pose. Comme elle se pose désormais de manière générale lorsque l’on parle d’enseignement supérieur et de recherche en France. Ce secteur souffre aujourd’hui d’un sous-financement chronique, ainsi que le montrent tous les comparatifs internationaux. Rappelons ici simplement que le financement par étudiant a baissé depuis 2009 et que la France est actuellement l’un des pays développés qui consacre une des parts les plus basses de sa dépense publique à l’enseignement supérieur, alors même qu’elle a l’une des populations les plus jeunes des pays de l’OCDE. Redisons-le encore une fois, lors du dernier quinquennat, une erreur majeure a été commise ici. Mais ce n’est pas avec un budget en baisse, si l’on tient compte de l’inflation, tel que le gouvernement vient de le faire voter, que la situation pourra s’améliorer ! On doit même considérer, étant donnés ses financements, que c’est une prouesse de l’enseignement supérieur de rester à ce niveau d’attractivité.

Mais, entendons-nous bien, rien de cela ne plaide pour un mode de financement particulier plutôt que pour un autre et cet argument pour les frais d’inscription différenciés n’est donc pas recevable.

Ces étudiants étrangers nous rapportent collectivement bien davantage qu’ils ne nous coûtent !

Le deuxième argument est ce que les économistes appellent « l’effet de signal ». Sans rentrer dans les détails des travaux économiques qui le portent, il consiste à dire approximativement que le prix est un signal de la qualité d’un produit. Et qu’ici un enseignement quasi-gratuit, ainsi que c’était jusqu’à présent le cas dans les universités françaises, renverrait le signal d’un produit de « mauvaise qualité ». Or, puisque nos formations sont « excellentes », il faut que leur prix le reflète. Imparable ! Sauf que rien ne vient appuyer factuellement cet argument. On peut penser qu’un tel effet existe, mais on peut penser aussi que la réputation et le rayonnement de la France, le prestige de sa recherche, sa culture, le dynamisme de son économie, tout cela joue bien plus fortement que le prix de ses diplômes ! [4] Certes oui, vous aurez toujours tel ou tel responsable politique ou administratif, tel ou tel chef d’entreprise pour vous dire que dans ses déplacements à l’international, on lui dit que… mais ce ne sont pas des faits statistiques avérés.

Le troisième argument mobilise le « bon sens », bien sûr, mais surtout la justice ! Écoutons notre Premier ministre. Ne serait-il pas effectivement « absurde et injuste » qu’un étudiant étranger « fortuné » paie le même prix qu’un étudiant français modeste « dont les parents travaillent et paient des impôts en France ». « Bon sens » et justice, main dans la main, nous inviteraient logiquement à accepter que les premiers voient leurs frais d’inscription augmenter.

Sans même parler de la curieuse et peu ragoutante odeur de préférence nationale qui plane ici, le problème est que ces étudiants étrangers nous rapportent collectivement bien davantage qu’ils ne nous coûtent ! Fin 2014, BVA dans une enquête pour Campus France avait pu montrer que les retombées économiques directes des étudiants étrangers dans nos établissements atteignaient 4,65 milliards d’euros par an, dépassant largement le coût de 3 milliards qu’ils provoquaient pour l’État ; et l’agence s’inquiétait alors des effets négatifs que pourraient avoir une hausse des droits d’inscription sur les échanges d’étudiants et du message préjudiciable qui serait ainsi envoyé aux pays partenaires.

Notons d’ailleurs que le chiffre de 3 milliards a été contesté comme étant surestimé, car, calculé à partir des dépenses par étudiant (à quoi il faut ajouter les bourses), il ne tiendrait donc pas compte du fait qu’indépendamment de leur présence, les formations qu’ils suivent auraient été ouvertes. Mais quoi qu’il en soit, il est largement inférieur à l’estimation que l’on peut faire de l’apport économique direct de la présence de ces étudiants pour notre pays. Leurs dépenses en consommation quotidienne, comme l’alimentation et le loyer, s’élèvent en effet en moyenne à environ 11 048 euros par an, sachant qu’ils restent en moyenne deux ans et trois mois sur le sol français. À cela s’ajoutent les frais d’inscription, mais également des dépenses annexes, comme les billets d’avions ou le tourisme (sans compter celui de leur famille). En outre, près de 41 % travaillent, parallèlement à leurs études, et cotisent par conséquent pour les caisses d’assurance maladie et vieillesse, dont ils sont faiblement bénéficiaires.

En Suède, au Danemark et en Nouvelle Zélande, les frais d’inscription différenciés ont eu un effet négatif sur l’attractivité.

Mais au-delà de ces retombées directes, il en est d’autres plus difficilement quantifiables, liées au fait que ces anciens étudiants, à l’issue de leur séjour, deviennent des prescripteurs favorables à la France et repartent avec une image plus positive de notre pays. Ainsi, 85% d’entre eux comptent revenir en France pour du tourisme et 87% conseilleraient la France comme destination de vacances. Et comment quantifier en outre toutes les relations commerciales qui se nouent avec d’anciens étudiants passés dans nos établissements ?

Toutefois admettons que la logique ne fasse pas tout et regardons les faits. Que nous montrent les expériences internationales dans les pays qui ont adopté un tel dispositif ?

Ici encore, une étude de l’OCDE consacrée à ces frais de scolarité différenciés est édifiante et sans appel. Elle indique que dans 38 pays de l’OCDE (pour lesquels les données sont disponibles), 20 ont mis en place des frais de scolarité différenciés. En étudiant le cas de trois pays ayant mené des réformes sur le sujet entre 2004 et 2014 – la Suède, le Danemark et la Nouvelle Zélande – à chaque fois, les frais d’inscription différenciés ont eu un effet négatif sur l’attractivité.

Ainsi en 2006, la Nouvelle Zélande a diminué les frais de scolarité des étudiants doctoraux pour les mettre au même niveau que ceux des étudiants nationaux, tout en accroissant les bourses et en assouplissant les conditions de travail : le nombre de nouveaux étudiants étrangers inscrits en troisième cycle a alors doublé cette année-là et depuis 2007, le nombre de ces nouveaux entrants augmente régulièrement (quand, nous y reviendrons, il baisse en France). En 2006, le Danemark a introduit des frais pour les étudiants étrangers, dans certaines formations : le nombre de nouveaux entrants étrangers dans ces niveaux d’étude, issus de pays hors de l’EEE (espace économique européen) a alors diminué d’un cinquième (tandis que le nombre d’étudiants venant de l’EEE, et non affectés par la réforme, a presque doublé sur la même période). Enfin, la Suède qui a instauré en 2011 le même type de réforme que le Danemark a vu ses effectifs d’étudiants étrangers hors EEE chuter de presque 80 % (alors que les effectifs étudiants européens augmentaient de 28 %).

Les étudiants des pays les plus en difficulté économique verront donc les portes des universités françaises se fermer.

Mais n’est-ce pas finalement ce qui, en dépit des grandes déclarations, pourrait être souhaité dans un moment où l’État ne parvient pas à faire face à l’afflux des étudiants en raison du choc démographique qui se traduit depuis quelques années par une arrivée massive de jeunes sur les bancs de l’université? Procès d’intention direz-vous ! Quelle preuve avez-vous de ce que vous avancez ? Si nous n’avons aucune preuve effectivement de la volonté de l’État de fermer la porte à une grande partie des étudiants étrangers (sauf à ceux qui pourront payer ou à ceux qui bénéficieront des bourses), nous constatons en tout état de cause qu’il ne se donne pas les moyens de faire face financièrement à la situation démographique du pays.

Certains disent d’ailleurs clairement les choses. Écoutons l’un de ces « briseurs de tabou » : cette annonce du gouvernement, nous dit-il, était attendue avec impatience, « de manière encore plus inavouable » admet-il (on reconnaît là le bruit du tabou qui se brise !), « pour faire le ménage dans les formations de master. Le secret de Polichinelle est que certains masters ne subsistent que grâce à une forte proportion d’étrangers de niveau médiocre. En effet, afin de justifier l’existence de formations très spécialisées (en particulier dans de petits établissements), les responsables de certaines formations sont peu regardants sur le niveau des étudiants à l’entrée »… Allez, taillons à la serpe… pour ne garder que « l’excellence » bien sûr !

Car, et c’est là l’un des effets que produira cette réforme, les étudiants des pays les plus en difficulté économique – on pense en particulier aux pays d’Afrique subsaharienne et du Nord n’ayant pas les moyens de développer des bourses – verront donc les portes des universités françaises se fermer pour la majeure partie de leurs ressortissants. Et ce n’est pas l’accroissement des bourses annoncé à grands coups de clairon par le Premier ministre qui changera quoi que ce soit à l’affaire. En effet, elles passeront de 7 000 à 21 000, ce qui est certes une multiplication par trois (financée par les frais d’inscription générées par la mesure) mais, au regard des 320 000 étudiants étrangers actuels, reste une goutte d’eau dans un océan de misère. Si aujourd’hui près de la moitié des étudiants internationaux viennent d’Afrique francophone (45%), qu’en sera-t-il demain ? Le Premier ministre l’annonce d’ailleurs clairement, « sans tabou », oserions-nous dire : « Les étudiants indiens, russes, chinois seront plus nombreux et devront l’être… la campagne de communication ciblera davantage les pays émergents (Chine, Inde, Vietnam, Indonésie) et les pays non francophones d’Afrique subsaharienne. »

L’effet sur le dynamisme de la recherche risque d’être là encore terrible.

Pour les autres : on « offrir(a) à la jeunesse de nos pays partenaires la possibilité de suivre des formations proposées par des établissements français sans avoir à quitter leur propre pays ». Fermez les portes et les fenêtres et si en plus certaines peuvent y trouver des avantages financiers, pourquoi se priver ? Et tant pis pour la francophonie ! Quant aux politiques de soutien au développement…

Par ailleurs deux autres effets indirects seront inéluctablement générés par cette réforme.

En premier lieu, l’effet sur le dynamisme de la recherche risque d’être là encore terrible. Certes, on peut toujours espérer que de nouvelles collaborations et coopérations scientifiques se développeront et qu’elles viendront se substituer aux anciennes, mais l’effet de la probable diminution du nombre d’étudiants internationaux risque d’être terrible lorsque l’on connaît le poids de ce dernier dans les effectifs des doctorants. Ils représentent en effet aujourd’hui 40 % des doctorants, selon les chiffres donnés par le ministère. Et le cri du cœur sur Twitter de Valérie Delmotte-Masson, co-présidente du GIEC, face à cette annonce en témoigne : « Je partage surprise et consternation ! Jamais les brillants jeunes scientifiques étrangers de familles modestes que j’ai eu la chance de superviser lors de thèses en France ne seraient venus se former par la recherche et contribuer à la recherche française dans ces conditions. » Prendre une telle mesure, alors même que le nombre global des doctorants ne cesse de baisser (-9 % en 2016) semble un pari pour le moins « risqué ».

En second lieu, cette réforme, et c’est probablement souhaité par certains, aura comme effet un accroissement de la différenciation entre établissements. Les dits « meilleurs » ou d’ « excellence » attireront les meilleurs étudiants étrangers, notamment les plus favorisés, et mécaniquement elles auront donc plus de ressources ! C’est bien normal, elles sont excellentes, diront certains ! Et encore une fois toute la mécanique auto-réalisatrice de l’« excellence » jouera à plein avec son cortège de mauvaises nouvelles pour l’aménagement du territoire et pour la démocratisation de l’enseignement supérieur et au plus grand profit du rôle de l’enseignement supérieur dans la reproduction sociale !

Comment ne pas penser qu’après les étrangers viendra le tour de tous les étudiants ?

Derrière cette annonce qui se veut de « bon sens », faite en pleine crise des gilets jaunes et le jour de l’annonce du retour du service national pour sans doute passer inaperçue, – à moins et rien n’est à exclure qu’il ne s’agisse d’une provocation – comment ne pas penser qu’avance masquée une réforme plus radicale pour le service public de l’Enseignement Supérieur ? Comment ne pas penser qu’après les étrangers viendra le tour de tous les étudiants, avec pour conséquence à terme le renoncement aux études supérieures pour les plus démunis ou un surendettement massif pour ceux qui persisteraient ?

Tous ceux qui depuis des années y travaillent n’ont nullement l’intention de renoncer à ce qu’ils considèrent comme une mesure nécessaire. Nous en voulons pour preuve le rapport de la Cour des omptes à paraître, Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur, qui plaide pour une telle mesure qui générerait 420 millions par an. Et si l’on suit les arguments que le Premier ministre avance pour justifier les frais d’inscription différenciés, ils conduisent tout logiquement à les étendre à tous les étudiants : i- que cela soit en termes de financement des universités, ii- d’effet de « signal » ou iii- de « justice sociale ». N’est-il pas effectivement « absurde et injuste », diront les partisans d’une telle mesure, paraphrasant le Premier ministre, qu’un étudiant « fortuné » paie le même prix qu’un étudiant français modeste « dont les parents travaillent et paient des impôts » qui financent l’enseignement supérieur, alors que les enfants des milieux modestes sont moins nombreux sur les bancs de l’université ?

Et bien des exemples internationaux nous montrent qu’un tel mouvement est quasi mécanique. À commencer par la Grande-Bretagne, où l’idée de faire payer les étrangers a été initiée dès 1980 par M. Thatcher puis amplifiée par T. Blair et les gouvernements successifs. Elle a permis d’installer dans les esprits l’idée que l’accès au savoir n’était pas un droit pour tous mais un service comme un autre, et qu’à ce titre l’usager, devait payer. C’est ainsi que les frais d’inscription qui étaient quasi nuls en 1980 ont vu, après cette réforme réservée initialement aux étrangers, leur augmentation s’étendre progressivement à tous les étudiants et ils s’élèvent aujourd’hui en moyenne à plus de 10 000 £.

Alors, certes, le Premier ministre a, lors des questions gouvernementales à l’Assemblée Nationale hier, annoncé qu’il ne suivra pas les préconisations de la Cour des comptes quant à une augmentation des frais d’inscription pour tous les étudiants et non simplement les étrangers. Cela n’est-il pas un excellent moyen d’apparaître comme modéré et, en brandissant une mesure encore plus scandaleuse, en l’écartant, de faire passer la sienne pour acceptable « finalement » ? Cela ne lui permet-il pas aussi de répondre implicitement à tous ceux qui dénoncent cette mesure du gouvernement en expliquant qu’à terme c’est à une hausse générale des frais d’inscription que cela conduit, qu’ils sont de mauvaise foi ? Aveuglés par leur idéologie. L’histoire nous le dira. Puissions-nous avoir tort !

 


[1] En 2010 par exemple, le président de la Conférence des Grandes Écoles de l’époque portait une telle revendication : « D’abord, il nous faut obtenir le droit de fixer les frais de scolarité pour les étudiants étrangers, explique Pierre Tapie, nous l’avons déjà demandé plusieurs fois à la ministre Valérie Pécresse. En vain. Nous allons le redemander. »

[2] Seule exception, l’année qui a suivi une circulaire honteuse mise en place par Nicolas Sarkozy, la « circulaire Guéant », supprimée par la gauche dès son arrivée au pouvoir.

[3] On trouve aussi parfois le chiffre d’une baisse de 8,1% du nombre d’étudiants internationaux en France entre 2010 et 2015. En réalité, il est lié à un changement de méthode de comptabilisation adopté en 2013 par l’Unesco afin d’uniformiser ses données, ainsi que le rappelle Camille Stromboni, journaliste au Monde, dans un tweet du 20 novembre 2015.

[4] Pour une critique théorique, voir « Faut-il (vraiment) augmenter les frais d’inscription à l’université ? » H. Harari-Kermadec, D. Flacher et L. Moulin, Revue française d’économie, 2012/3 (XXVII), pp. 145 à 183.

Isabelle This Saint-Jean

économiste, Professeure à l'université Sorbonne Paris-Nord

Notes

[1] En 2010 par exemple, le président de la Conférence des Grandes Écoles de l’époque portait une telle revendication : « D’abord, il nous faut obtenir le droit de fixer les frais de scolarité pour les étudiants étrangers, explique Pierre Tapie, nous l’avons déjà demandé plusieurs fois à la ministre Valérie Pécresse. En vain. Nous allons le redemander. »

[2] Seule exception, l’année qui a suivi une circulaire honteuse mise en place par Nicolas Sarkozy, la « circulaire Guéant », supprimée par la gauche dès son arrivée au pouvoir.

[3] On trouve aussi parfois le chiffre d’une baisse de 8,1% du nombre d’étudiants internationaux en France entre 2010 et 2015. En réalité, il est lié à un changement de méthode de comptabilisation adopté en 2013 par l’Unesco afin d’uniformiser ses données, ainsi que le rappelle Camille Stromboni, journaliste au Monde, dans un tweet du 20 novembre 2015.

[4] Pour une critique théorique, voir « Faut-il (vraiment) augmenter les frais d’inscription à l’université ? » H. Harari-Kermadec, D. Flacher et L. Moulin, Revue française d’économie, 2012/3 (XXVII), pp. 145 à 183.