La Californie à l’âge de l’anthropocène
Elles respirent encore. Paupières closes, bouche ouverte, leurs petits corps d’enfant têtes bêches dans le grand lit, immobiles. Il faut se pencher tout contre leurs lèvres pour sentir leur souffle. Et se rassurer. Il est deux heures du matin, ce 8 août 2018, dans le village de NorthStar, près de Truckee, au nord de la Californie. Le Mendocino Fire, qui est en train d’engloutir près de 121 000 hectares (la taille de la ville de Los Angeles, douze fois celle de Paris), est à 335 km à l’ouest : loin, très loin pensions-nous. C’est, après tout, la distance entre Paris et Nantes. Et pourtant nous sommes envahis de fumées toxiques.

Ce devait être une semaine de villégiature estivale dans l’air pur des montagnes du Lake Tahoe, un lac dont l’eau cristalline reflète d’habitude les crêtes rocheuses de la Sierra Nevada, quatre heures au nord de San Francisco. Mais nous sommes cloîtrés depuis trois jours, les yeux rivés sur l’appli de airnow.gov qui actualise l’index de qualité de l’air (AQI) toutes les heures. Sur la carte qui donne en temps réel l’avancée des nuages délétères, Truckee est dans l’orange (indice de 100 à 150) et menace de virer au rouge : le taux de présence de particules fines et de monoxyde de carbone oscille dans la zone « unhealthy for sensitive groups », dangereux pour les enfants, les séniors et les personnes qui souffrent de problèmes respiratoires. L’air est sec, râpeux. Je ne dors pas : après cinq ans de sécheresse, nous sommes au cœur d’une immense forêt de pins secs comme des allumettes. Et si un feu se déclarait ici ? Et si l’air devenait tout à fait irrespirable ?
Anxiété exagérée ? Je l’ai cru, dès que les vents deux jours plus tard ont tourné et dissipé plus loin, ailleurs, les effluves oranger qui piquaient la gorge. Pendant deux mois je tousse. On diagnostique une maladie respiratoire chronique. Et puis j’oublie.
Trois mois plus tard, un autre « méga-feu » s’est déclenché à moins de trois heures de route de San Francisco. Le 9 novembre, le «