Sciences sociales

Limites et dangers de l’antiracisme « politique » – Une réponse à Eric Fassin

Politiste

Au début du mois, nous avons publié une analyse en deux volets d’Eric Fassin dont le point de départ était le vote à l’unanimité des députés de la suppression du mot « race » dans la Constitution. Si Alain Policar partage cette prémisse, il exprime dans cette opinion ses craintes vis-à-vis d’un antiracisme qui annihile le principe d’universalisme et glisse vers l’indigénisme en s’enfermant dans le paradoxe d’un discours de lutte contre l’essentialisation… par une méthode essentialisante.

Depuis quelques années, sous l’influence des intellectuels dits « décoloniaux », on oppose un antiracisme moral, lequel serait aveugle à la question centrale des discriminations, à un antiracisme politique, seul capable d’en prendre la mesure. L’article d’Eric Fassin est, malgré ses incontestables qualités, paradigmatique de ce point de vue autobaptisé « critique ».

Afin que ma propre analyse ne soit pas caricaturée, je voudrais énoncer d’abord les points d’accord avec celle d’Eric Fassin. Conformément à l’apport canonique de Colette Guillaumin, l’auteur insiste sur la réalité sociale de la race.

Aussi, même si des générations d’anthropologues physiques ont échoué à définir les races humaines (« toute classification est affaire de convenance », écrivait Jean Gayon), la stratégie d’éradication lexicale est-elle vouée à l’échec.

Les pratiques discriminatoires se passent fort bien d’une catégorisation biologique, la « race » n’étant pas une « donnée spontanée de la perception et de la connaissance » (Colette Guillaumin). Catégorie d’exclusion et de meurtre, elle est incontestablement une production sociale dont la réalité se situe bien sur le terrain du symbolique. On ajoutera que les « races » appartiennent à ce que John Stuart Mill appelait des « genres superficiels » (dont « les composantes n’ont de commun que les marqueurs qui nous les font ranger dans la même catégorie »). Bien que chassée du discours de la biologie, la race est donc toujours présente comme un présupposé de la pensée ordinaire. Si, pour reprendre les mots de Colette Guillaumin, « elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est », elle est pourtant « la plus tangible, réelle, brutale, des réalités ».

Je rejoins également Eric Fassin sur l’inanité de la notion de racisme anti-Blancs. Rejeter celle-ci, ce n’est pas nier que des populations désignées comme blanches puissent être victimes d’injures ou de violences à caractère raciste. C’est, en revanche, penser que ces populations ne subissent pas de phénomèn


Alain Policar

Politiste, Chercheur associé au Cevipof

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