Société

« Les obsédé·e·s de la race et du sexe » : penser les attaques anti-minoritaires avec Colette Guillaumin

Sociologue et féministe

Les dénonciations souvent vives de la soi-disant terreur féministe décoloniale, qui ont récemment envahi les Unes de divers journaux à tendance conservatrice, démontrent une résistance à ce que la sociologue Colette Guillaumin appelait « l’entrée des minorités en politique. » Face au malaise persistant autour des questions de genre et de race, la pensée de Guillaumin, près de cinquante ans plus tard, demeure d’une étonnante actualité pour penser cette dénégation des rapports de pouvoir.

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En écho à diverses controverses qui traversent l’espace public français depuis quelques mois, les questions minoritaires ont fait la une de plusieurs hebdomadaires : Marianne a consacré sa couverture à « l’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », Le Figaro Magazine au « grand noyautage des universités par le décolonialisme, l’islamo-gauchisme et la théorie du genre », Valeurs actuelles à « la nouvelle terreur féministe : actions violentes, théorie du genre, PMA, parité, écriture inclusive. Enquête sur une inquisition ».

Ces couvertures, anticipées et suivies par d’autres interventions médiatiques de la même teneur, cristallisent de plus vastes résistances contre ce que la sociologue féministe Colette Guillaumin a appelé « l’entrée des minoritaires dans la théorie ». Elles ciblent, en premier chef, l’usage de certains concepts : « race », « racisation » ou « blanchité » – que le ministre de l’Éducation nationale a qualifié de « mots les plus épouvantables du vocabulaire politique » – mais aussi « intersectionnalité » ou « genre », notion que le Vatican a caricaturé depuis la fin des années 1990.

Ces réactions, loin de venir seulement du côté d’où on les attendrait, c’est-à-dire de l’extrême droite, religieuse ou pas, concernent la manière de penser le statut de l’ordre sexuel et de l’ordre racial, et des groupes qui s’y font face. Pourquoi se manifestent-elles aujourd’hui, sous cette forme et avec une telle virulence ? La pensée de Colette Guillaumin constitue aujourd’hui un outil indispensable pour mieux saisir la nature, la logique et les enjeux de telles réactions.

L’entrée des minoritaires dans la théorie dérange l’ordre du monde

En 1981, Guillaumin publie un article intitulé « Femmes et théories de la société : remarques sur les effets théoriques de la colère des opprimés ». Comme son remarquable titre l’indique, elle y interroge les conséquences de l’émergence dans le champ du savoir de théories élaborées par celles et ce


[1] Sara Garbagnoli et Massimo Prearo, La Croisade “anti-genre” : du Vatican aux manifs pour tous, Textuel, 2017, et Roman Kuhar et David Paternotte (dir.), Campagnes anti-genre en Europe. Des mobilisations contre l’égalité, Presses universitaires de Lyon, 2018.

[2] Éric Fassin, « Le mot race – cela existe », AOC, 10 avril 2019 ; « Le mot race – le mot et la chose », AOC, 11 avril 2019.

Sara Garbagnoli

Sociologue et féministe, Chercheuse rattachée au Laboratoire d'Études de Genre et de Sexualité - LEGS (C.N.R.S., Université Paris 8, Université Paris Nanterre)

Notes

[1] Sara Garbagnoli et Massimo Prearo, La Croisade “anti-genre” : du Vatican aux manifs pour tous, Textuel, 2017, et Roman Kuhar et David Paternotte (dir.), Campagnes anti-genre en Europe. Des mobilisations contre l’égalité, Presses universitaires de Lyon, 2018.

[2] Éric Fassin, « Le mot race – cela existe », AOC, 10 avril 2019 ; « Le mot race – le mot et la chose », AOC, 11 avril 2019.