« Les obsédé·e·s de la race et du sexe » : penser les attaques anti-minoritaires avec Colette Guillaumin
En écho à diverses controverses qui traversent l’espace public français depuis quelques mois, les questions minoritaires ont fait la une de plusieurs hebdomadaires : Marianne a consacré sa couverture à « l’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », Le Figaro Magazine au « grand noyautage des universités par le décolonialisme, l’islamo-gauchisme et la théorie du genre », Valeurs actuelles à « la nouvelle terreur féministe : actions violentes, théorie du genre, PMA, parité, écriture inclusive. Enquête sur une inquisition ».
Ces couvertures, anticipées et suivies par d’autres interventions médiatiques de la même teneur, cristallisent de plus vastes résistances contre ce que la sociologue féministe Colette Guillaumin a appelé « l’entrée des minoritaires dans la théorie ». Elles ciblent, en premier chef, l’usage de certains concepts : « race », « racisation » ou « blanchité » – que le ministre de l’Éducation nationale a qualifié de « mots les plus épouvantables du vocabulaire politique » – mais aussi « intersectionnalité » ou « genre », notion que le Vatican a caricaturé depuis la fin des années 1990.
Ces réactions, loin de venir seulement du côté d’où on les attendrait, c’est-à-dire de l’extrême droite, religieuse ou pas, concernent la manière de penser le statut de l’ordre sexuel et de l’ordre racial, et des groupes qui s’y font face. Pourquoi se manifestent-elles aujourd’hui, sous cette forme et avec une telle virulence ? La pensée de Colette Guillaumin constitue aujourd’hui un outil indispensable pour mieux saisir la nature, la logique et les enjeux de telles réactions.
L’entrée des minoritaires dans la théorie dérange l’ordre du monde
En 1981, Guillaumin publie un article intitulé « Femmes et théories de la société : remarques sur les effets théoriques de la colère des opprimés ». Comme son remarquable titre l’indique, elle y interroge les conséquences de l’émergence dans le champ du savoir de théories élaborées par celles et ce