Souveraineté d’État ou solidarité commune
Puisque la mort est aujourd’hui partout, on s’en remet avec espoir à l’État. En 1978-79, Foucault parlait de biopolitique : à partir du XVIIIe siècle l’État moderne se veut garant de la vie, il fait vivre et laisse mourir, à la différence du vieux souverain investi du droit terrible de faire mourir. Pouvoir de gestion de la vie plutôt que pouvoir de disposer de la vie. Or la population s’aperçoit aujourd’hui avec effroi de l’imprévoyance criminelle des autorités publiques qui, pour faire des économies de bouts de chandelle sous la pression de Bercy et de la Cour des comptes, vestales sourcilleuses des normes européennes, ont délibérément ignoré les avertissements des chercheurs sur le risque pandémique.

L’État a d’abord exposé à l’infection les soignants, les travailleurs du quotidien et tous ceux qui sont contraints d’aller sans masques « au front de la production », avant d’exposer toute la population en prétendant que le port des masques ne s’imposait que pour les soignants et les porteurs du virus. L’État néolibéral de ces trente ou quarante dernières années révèle ainsi violemment son envers nécropolitique, pour le dire avec Achille Mbembe. On découvre qu’il incarne une nouvelle forme du pouvoir souverain de disposer de la vie. On est fondé à parler d’une exposition calculée à la mort de pans entiers de la population, cyniquement sacrifiés à la logique du profit maximal et de la réduction des coûts.
Dans un entretien au Monde publié le 24 mars, Georgio Agamben s’est abrité derrière la notion de « conspirations pour ainsi dire objectives », allant jusqu’à se référer à Foucault pour mieux se justifier d’avoir parlé fin février de l’« invention » d’une épidémie. On doit bien à ce dernier l’idée d’une stratégie « sans sujet » ou « sans stratège », mais c’est sombrer dans la confusion la plus extrême que d’assimiler cette idée à celle d’une conspiration objective. Ce conspirationnisme affligeant manque l’essentiel : les gouvernants ont tout fait non pour grossir ar