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Malgré la tentative de reprise du championnat de football allemand, dans des stades vides, la pandémie aura stoppé net une année 2020 qui s’annonçait exceptionnelle pour le sport. Les amateurs en manque se sont tournés vers les multiples rediffusions. Il existe pourtant un formidable moyen de revivre les plus grandes épopées, sans que la connaissance du résultat n’affecte en rien la charge émotionnelle de la compétition : le livre, ce drôle d’objet de papier qui a le pouvoir magique de stimuler l’imagination.

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19 n’était encore que la date de ce dimanche de janvier. Nous nous trouvions à Bilbao, ville résiliente parmi toutes. La journée avait débuté par d’ancestrales courses d’aviron sous le pont transbordeur de Portugalete et puis, sur les coups de midi, devant un verre de Rioja et une assiette de tapas, la Liga, le championnat espagnol de football, référence mondiale, avait, comme chaque semaine, envahi les écrans. C’est qu’on ne plaisante pas avec le ballon rond en Espagne. Encore moins au Pays Basque, où l’Athletic Club sert d’étendard régionaliste depuis 1898.

Nous étions impatients de découvrir en fin d’après-midi le flambant neuf stade San Mames, version 2.0 de la mythique catedral, qui devait accueillir les trois matches de l’équipe nationale – quel symbole ! – lors du prochain Euro, au mois de juin. Mais d’Euro il n’y aura point cette année, pas plus qu’il n’y aura de Jeux Olympiques au Japon, décidément pas verni après le passage du typhon Hagibis sur la Coupe du Monde de rugby.

La France a peur. Serait-elle après le feuilleton des masques privée de Tour ? Jusqu’à présent, seules les deux Guerres mondiales lui ont fait manquer cette « crise annuelle de bonne humeur qui fait oublier les amertumes du moment et nous évite de nous prendre trop au sérieux », comme l’a si joliment définie Régis Debray. Il fut d’abord envisagé que la Grande Boucle se déroule sans spectateurs mais tout de même devant les caméras de la télévision, sans doute pour occuper les après-midis de nos aînés priés de ne pas bouger, et par ailleurs pas à l’abri d’un été caniculaire. Mais avait-on besoin d’un convoi mortuaire supplémentaire ? Option a finalement été prise de tenter le coup en septembre, en misant sur la vaccination collective et joyeuse d’un Hexagone qui aurait vaincu le malin.

Comprenez, pour les bouffeurs de sport, 2020 c’était un peu comme l’annonce d’un crû d’exception pour les buveurs de vin. On attendait les Bleus de Didier Deschamps à leur sommet, deux ans après une campagne de Russie certes victorieuse mais ayant laissé les amateurs de beau jeu sur leur faim ; la revanche de Thibaut Pinot sur les pétroleurs d’Ineos, pas encore recyclés en fabricants de gel hydroalcoolique ; et Tokyo nous promettait un feu d’artifice digne de celui de 1964.

Au lieu de ça, jour après jour, il a fallu se résoudre à vider une à une dans l’évier les bouteilles de ce vrai-faux millésime rendu à l’état de vulgaire piquette alors que les tableaux d’affichage de la planète ne comptaient plus que les morts. Les plus superstitieux argueront que la disparition tragique, au début de l’année, de la star du basket-ball Kobe Bryant et d’une de ses filles, n’augurait rien de bon, même si, avec quatre mois de recul, on peut s’étonner que sur l’instant ce drame suscita plus d’émoi que la catastrophe sanitaire qui était en train de se nouer en Chine.

Entre les retransmissions télévisées non-stop et la multiplication des émissions du type Café des Sports, le nouvel « opium du peuple » atteignait ces derniers temps un pic de consommation.

Nous avancerons pour notre part que l’inhabituelle qualification du PSG pour les quarts de finale de la Champions League aurait dû nous mettre la puce à l’oreille – passons sur le pathétique embrasement qui s’en suivit autour du Parc des Princes, lequel a sans doute marqué à jamais le club qatari et ses supporters au fer rouge du ridicule.

Ce n’est pas la première fois que le sport doit faire face à une pandémie mais la situation actuelle est inédite. La grippe espagnole, qui, entre 1918 et 1919, fit, selon les estimations, entre 50 et 100 millions de morts, dont environ 400 000 en France, n’affecta guère les compétitions dans la mesure où la plupart d’entre elles – à commencer par la Grande Boucle – avaient été suspendues dès 1914, année de la déclaration de la Première Guerre mondiale. La seule conséquence notable de cette crise sanitaire fut la non-attribution en 1919 de la Stanley Cup – cas unique au 20e siècle dans l’histoire de la ligue professionnelle américaine de hockey-sur-glace –, faute de combattants en finale, cinq joueurs du Canadien de Montréal ayant contaminés (l’un d’entre eux, Joe Hall, décédera).

De même, la grippe asiatique, qui elle aussi frappa durement la France (peut-être 100 000 morts), sur la période 1957-1958, n’empêcha pas pour autant le grand Stade de Reims de faire le doublé coupe-championnat pas plus qu’elle n’entraîna l’annulation de la Coupe du Monde en Suède. Dix ans plus tard, la grippe de Hong Kong, qui fera 80 000 morts en Angleterre et au moins 40 000 en France, n’empêchera pas elle non plus la planète sport de tourner. La vague d’annulations qui a déferlé cette année est donc sans précédent.

Il convient malgré tout de la relativiser et de laisser le sport à sa juste place au regard d’une crise majeure qui n’en fait qu’un dommage collatéral. Dans quelques mois, une année peut-être, le spectacle d’avant reprendra sans doute ses droits dans les stades et les arénas comme dans les salles de concert et les théâtres. Nonobstant, un aspect de ce régime sans selle n’apparaît pas sans impact sur la population : entre les retransmissions télévisées non-stop, la multiplication des émissions du type Café des Sports et les paris en ligne, le nouvel « opium du peuple » atteignait ces derniers temps un pic de consommation. Quelle que soit l’addiction, une petite cure de désintoxication ne peut pas faire de mal, mais force est de reconnaître qu’une bonne saison NBA aurait pu donner un coup de main à notre Premier ministre, obligé pour retenir ses compatriotes à la maison d’expliquer qu’un confinement ce ne sont pas des vacances.

Quid de ce sevrage ? « C’est compliqué, surtout la nuit », me confirme un ami dont je ne saurais dire s’il est plus « accro » à la clope, au café ou au « sportwatching ». Le sport étant un virus universel, cette disette a au moins le mérite d’unir les peuples, tout le monde étant pour le coup logé à la même enseigne. Avec une bonne dose d’autodérision, une avocate iranienne de mes connaissances me fait savoir que la privation de football européen est « sans conteste l’une des choses les plus difficiles qui soit » dans un pays déjà sous embargo.

Le sport, tel un soufflé au fromage, se mange chaud, brûlant, sortant du four et ni la retransmission en direct d’un tournoi de e-sport ni une série Netflix n’ont cette saveur inimitable.

Sans tarder, les collectionneurs et autres archivistes ont donc ressorti des placards leurs vieilles cassettes VHS, pour nous faire partager sur les réseaux sociaux qui un but du grand Football Club de Nantes de Coco Suaudeau, qui l’arrivée d’un Paris-Roubaix remporté par un Français, nous parlant d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Les chaînes thématiques ont quant à elles joué à plein du replay. Profiter de ce temps de pénurie pour montrer à ses enfants Séville 82 ou l’étape des Champs-Élysées du Tour 89, pourquoi pas, il en va de leur culture générale. Mais admettez qu’imposer un Lorient-Ajaccio en différé à toute la famille confinée frise la maltraitance. Le sport, tel un soufflé au fromage, se mange chaud, brûlant, sortant du four et ni la retransmission en direct d’un tournoi de e-sport ni une série Netflix bien ficelée n’ont cette saveur inimitable.

Il est en revanche un formidable moyen d’en revivre les plus grandes épopées, sans que la connaissance du résultat n’affecte en rien la charge émotionnelle de la compétition : le livre, ce drôle d’objet de papier qui a le pouvoir magique de stimuler l’imagination. Au détour de son discours anaphorique du 16 mars, le Président de la République, lui-même grand amateur de sport en général et de football en particulier, nous a délivré ce conseil : « Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel ». Cela tombe bien, la littérature sportive regorge de petits chefs-d’œuvre.

On pense en premier lieu à Antoine Blondin, bien sûr, à ses chroniques du Tour de France, qu’on peut relire à l’infini comme on revoit les grands classiques du cinéma. « Un homme s’avance le long du Rhône, au pied des remparts d’Avignon. Son torse est ceint des couleurs de l’arc-en-ciel, lumière patiemment appelée sur sa personne et où l’univers le reflète parce qu’elle le désigne pour le champion du monde. Deux centaures, bardés de cuir et d’acier, aux arrière-trains en forme de motocyclette, lui ouvrent un chemin à travers les foules massées à sa rencontre. Derrière lui, un second homme se tient debout dans une voiture rouge et lui fait une escorte attentive et tutélaire. Ensuite, c’est le vide palpitant d’impatience, la marge de respect où la meute, lancée à la poursuite de cette proie privilégiée, qui est en même temps pour elle un modèle et un maître, ne peut parvenir à la rejoindre. Placé sur la sellette, réduite à la condition de cible dans la solitude exposée à quoi l’oblige son talent, Louison Bobet, cet après-midi-là, est exact au rendez-vous qu’il avait assigné à la victoire et des milliers de voix clament qu’il faut lui remettre les clés de la cité. » Nous mettons au défi la télévision de mieux relater la réalité.

Pour calmer la frustration de n’avoir vu le Tournoi des VI Nations jusqu’à son terme aller, Le grand combat du XV de France du regretté Denis Lalanne fera une excellente prescription. Et à défaut d’un été olympique, pourquoi ne pas se replonger dans le marathon victorieux d’Abebe Bikila, le coureur aux pieds nus, en 1960, magnifiquement reconstitué par Sylvain Coher dans Vaincre à Rome ?

Mais on pourra aussi ressortir des étagères de la bibliothèque le Euthymos, vainqueur olympique de Maurice Genevoix, suivre Les tribulations d’un journaliste sportif nommé Gaston Meyer, embarquer sur le voilier de Bernard Moitessier pour 14216 milles sans escale, faire entrer par la fenêtre (Les) rayons de soleil de Louis Nucéra, percer l’intimité du Tour de France avec Philippe Brunel, prendre la roue des Forcenés de Philippe Bordas, s’appliquer à Jouer juste avec François Bégaudeau et même – tenez ! – se rêver en Premier de cordée dans la peau de Roger Frison-Roche. Bref, de quoi passer un été « culturel et apprenant » en attendant qu’un jour, des matches de football puissent à nouveau se dérouler sans être frappés d’un huis clos mal assorti, même si Jean-Paul Sartre ne dédaignait pas les rebonds du cuir.

Retrouver le sens de l’essentiel c’est aussi par contraste s’affranchir du superflu. À ce propos, il n’est pas certain que l’offre pléthorique des chaînes dédiées serve le sport. Comme chacun sait, tout ce qui est excessif devient insignifiant. Trop de sport ne risquait-il pas in fine de tuer le sport ? À tout le moins d’en étouffer la dimension épique. Il est fort probable que la crise actuelle opère un tri.

Il faut se souvenir de ce qui se passa aux États-Unis en 1994. Comme cette année, le championnat de base-ball, la grande passion des Américains, fut annulé. Pas à cause d’une pandémie mais d’une grève des joueurs qui réclamaient une plus grande part des recettes. Il fallut l’intervention de Bill Clinton himself pour mettre fin au conflit. Mais les conséquences furent inattendues. Au lieu de se ruer à nouveau dans les stades, les fans, qui s’étaient trouvé entre-temps d’autres occupations, les désertèrent, les audiences TV chutant de concert. Et la discipline, bien que toujours populaire, n’a jamais totalement remonté la pente. « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. » Certes, le chat apparut bien maigre lorsque l’été fut venu. Mais celui-ci avait appris à ne plus avaler n’importe quoi.


Nicolas Guillon

Journaliste

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