Enseignement supérieur

Le mythe de la continuité pédagogique

Historien

L’épidémie de Covid-19 et le confinement ont renforcé dans les universités européennes ce qu’on pourrait appeler « le mythe de la continuité pédagogique », particulièrement dans les facultés de lettres et sciences humaines. Pourtant, derrière la volonté d’innover et de proposer un enseignement tout numérique, se cache en réalité la même logique d’évaluation et de commercialisation des savoirs déjà à l’œuvre. On est encore loin de l’idéal d’une université émancipatrice !

Ces derniers mois, dans les universités françaises et européennes bouleversées par la pandémie de Covid-19, la « continuité pédagogique » est devenue le nouveau mantra à la mode. L’injonction a pris des formes diverses, mais ministères et présidences d’université sont tombés d’accord sur la nécessité de terminer le semestre et de maintenir coûte que coûte les sacro-saints examens, ceci sans tenir suffisamment compte ni des répercussions très concrètes du confinement sur la vie et les conditions de travail des étudiant·e·s et des enseignant·e·s, ni des questions d’éthique académique que soulevait et soulève encore l’incitation à continuer de travailler « comme c’était prévu, mais en ligne[1]».

Il y eut d’abord des problèmes pratiques, en France comme ailleurs. Contrairement aux déclarations incantatoires qui ont rapidement inondé l’espace médiatique, rien n’était prêt. Et pour cause, à l’inverse des virologues, épidémiologistes et autres spécialistes de santé, l’université n’a jamais eu pour mission de préparer les réponses à une pandémie. La plupart des cours ont été pensés et écrits pour être prononcés dans un amphithéâtre, devant un public qui réagit. Les séminaires et les travaux dirigés supposent un travail en commun, un échange permanent entre l’enseignant et les étudiant·e·s ; les infrastructures numériques n’étaient pas prévues pour supporter du jour au lendemain et sans accroc une augmentation exponentielle du trafic de données, obligeant à recourir à des opérateurs privés, sans garantie de protection des données personnelles.

Ces problèmes, je les observe depuis la mi-mars en échangeant avec mes collègues français, allemands et suisses. J’y ai été directement confronté lorsque j’ai dû adapter aux contraintes de l’enseignement à distance mon séminaire à l’université de Lucerne (Suisse) sur les relations entre foi et science chez les jésuites au XVIIe siècle ; douce-amère ironie du sort, les réflexions d’Athanase Kircher sur la transmission de la peste par d


[1] Voir Éric Berr, « L’université au temps du COVID-19 et l’illusion de l’évaluation », Mediapart, 8 avril 2020, ou Christelle Rabier, « Bon baisers de Marseille. Faire comme si de rien n’était, vraiment ? À propos de la continuité pédagogique en période de confinement. », academia.hypotheses.org, 17 mars 2020

[2] Sur l’inscription du processus de Bologne dans une logique de transformation néolibérale de l’université, voir Christophe Granger, La destruction de l’université française, La Fabrique, 2015 et Yves Dupont, L’université en miettes. Servitude volontaire, lutte des places et sorcellerie, L’Échappée, 2014

[3] Interview « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », Le Monde, 29 février 2020

[4] Le fonctionnement des crédits ECTS sur le site de la Commission européenne

[5] Voir Fanny Bugeja-Bloch, Leïla Frouillou, Alexandra Oeser et Florence Joshua, « M. Macron, la rupture d’égalité que pose la continuité pédagogique concerne aussi les étudiants, l’aviez-vous oublié ? », HuffPost, 14 avril 2020

Fabrice Flückiger

Historien, Chercheur postdoctoral à la Ludwig-Maximilian-Universität München et chercheur associé au CEDRE PSL

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Voir Éric Berr, « L’université au temps du COVID-19 et l’illusion de l’évaluation », Mediapart, 8 avril 2020, ou Christelle Rabier, « Bon baisers de Marseille. Faire comme si de rien n’était, vraiment ? À propos de la continuité pédagogique en période de confinement. », academia.hypotheses.org, 17 mars 2020

[2] Sur l’inscription du processus de Bologne dans une logique de transformation néolibérale de l’université, voir Christophe Granger, La destruction de l’université française, La Fabrique, 2015 et Yves Dupont, L’université en miettes. Servitude volontaire, lutte des places et sorcellerie, L’Échappée, 2014

[3] Interview « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », Le Monde, 29 février 2020

[4] Le fonctionnement des crédits ECTS sur le site de la Commission européenne

[5] Voir Fanny Bugeja-Bloch, Leïla Frouillou, Alexandra Oeser et Florence Joshua, « M. Macron, la rupture d’égalité que pose la continuité pédagogique concerne aussi les étudiants, l’aviez-vous oublié ? », HuffPost, 14 avril 2020