Revenir au monde à l’heure de l’époché sanitaire
La pandémie et ses conséquences inédites en santé publique nous imposent de pratiquer une action symbolique, une véritable suspension du monde qui nous plonge activement dans cette attitude de doute radical que les philosophes grecs appelaient l’époché.
Sous ce nom le philosophe allemand Husserl faisait aussi référence à sa méthode, appelée « réduction phénoménologique ». Cette méthode consiste à suspendre tout ce que l’on croit savoir (théories, réalité, résultats d’expériences, protocoles, mais aussi par exemple ce que nous avons coutume d’appeler le moi ou la personnalité) sans préjuger de son existence dans le monde réel, et à observer ce qui reste intact après cette suspension.
Cette attitude, qui peut conduire jusqu’à la suspension de la réalité du monde, ne peut évidemment pas être tenue longtemps. Observer la réalité qui revient au galop, comme mue par une force de rappel, est d’autant plus enrichissant pour l’observateur qu’il prend ainsi la mesure de ce qui jusqu’ici l’attachait au monde ambiant, monde qu’il vient de tenter de déconstruire et que malgré lui il reconstruit aussitôt. Cette méthode est, dans les suites de Descartes, une forme radicale de doute. Elle vise à suspendre toutes les théories, clichés et habitudes en cours, pour revenir aux choses elles-mêmes et les décrire telles qu’elles apparaissent (c’est ce que veut dire le mot grec « phénomène »), pour ainsi dire à l’état naissant.
Il est très étonnant de voir qu’aujourd’hui en France après les annonces à la veille du printemps du président de la République et de son Premier ministre et sous l’effet de l’épidémie, réalité majeure et prioritaire, presque tous les Français ont pratiqué sans le savoir une forme d’époché. Avec l’épidémie la réalité, la nature, les choses matérielles, notre corps, notre condition de mortels sont revenus au galop et se sont imposés à nous par une force de rappel que nous percevons comme surhumaine.
Il n’y a qu’en temps de guerre que s’effectuent ainsi des