Société

Covid 19 : quand les managers se cognent au réel

Historien, Médecin et écrivain

Les manageurs ont dû souffrir de l’épidémie de Covid-19 : pour la première fois, ils ont été relégués au second plan, au profit de professions « utiles » (infirmier·e·s, caissier·e·s, boulanger·e·s…). Leur retour n’en a été que plus virulent : il fallait bien maintenant qu’ils profitent de cette ère post-confinement pour en somme « manager au carré ». Pour ce faire, ils utilisent les mêmes outils, le même jargon autoréférentiel, les mêmes discours vides – un langage qui ne dit rien, en cela si différent de celui du médecin ou de l’historien.

Ce qu’on ne sait pas des manageurs est qu’ils n’aiment ni la peinture ni l’Histoire. Du moins n’apprécient-ils pas qu’on y fasse allusion, que ce soit par humour ou par désir de transmettre un savoir – humour et savoir tous deux pourtant constitutifs de cet esprit critique qui fait le sel et les délices du genre humain. À moins que, se sentant récemment mis sur la sellette à la faveur d’une crise sanitaire qui aura eu au moins cette vertu, des manageurs pensent plus avec leur épiderme qu’ils ne répliquent avec leur cerveau et ne dérapent sans réfléchir. C’est fâcheux pour tout le monde, autant pour eux – que cela discrédite –, que pour cet attribut précieux qui distingue la France de la Corée du Nord : la liberté d’expression.

Ne les blâmons pas trop non plus : en attendant d’inventer un nouveau new management, les directions se défoulent, c’est de bonne guerre. Comprenons-les. Exercer un métier mis au ban depuis plusieurs mois au profit des emplois dont on ne peut pas se passer (infirmière, conducteur de métro, éboueur, boulanger,…), ça crispe, ça rend nerveux, ça donne envie de gifler dans le vide. C’est d’ailleurs ce que fit l’un des directeurs d’un hôpital public qui, suite à la publication dans le Canard Enchaîné le 27 mai dernier d’un magnifique organigramme orientant les patients mais parfaitement incompréhensible, ne put s’empêcher d’exprimer par courriel son « mépris » envers un chirurgien de ce même hôpital.

Pourquoi donc ce mépris ? Parce que ce praticien se risqua à comparer ce bijou d’art moderne, dans les colonnes du journal satirique, à un « Miró qui [aurait] rencontré la Harvard Business School ». Si cette vétille n’éclairait que sur l’ouverture d’esprit de certains manageurs – ouverture que le sens de l’humour mesure avec justesse –, elle serait sans intérêt.

Les mots de ce courriel plein d’aigreur ne sauraient dépasser le cap de l’insignifiance si ce praticien ne s’y voyait, plus loin, qualifié de « Houellebecq hospitalier ». Compliment dans la bo


Johann Chapoutot

Historien, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris-Sorbonne

Stéphane Velut

Médecin et écrivain

Mots-clés

Covid-19