Ecologie

De l’usage des fictions devant les effondrements

Professeur de littérature comparée

Dans un récent article publié dans AOC, Jean-Pierre Dupuy revendiquait un « catastrophisme éclairé », manière d’annoncer une catastrophe à venir pour mieux la contrecarrer. Mais peut-on s’arrêter là ? En fait, la catastrophe ne se situe pas seulement dans l’avenir, mais aussi dans le présent et le passé, selon un processus lent et pluriel. Ce que donne à voir, peut-être, la bien mal nommée littérature « post-apocalyptique ». Sous couvert d’imaginer l’avenir, elle rend visible le présent et précieux les germes de vie que nous devons préserver.

Dans ces mêmes colonnes, Jean-Pierre Dupuy a récemment publié un article pour « réaffirmer le catastrophisme éclairé », dans lequel il cite la nouvelle de Philip K. Dick « Minority Report », rendue fameuse par l’adaptation qu’en a faite Steven Spielberg avec Tom Cruise. Sa démonstration renvoie dos à dos les collapsologues, qu’il accuse de discréditer la cause qu’ils entendent servir, et les anti-catastrophistes, « optimistes béats » qui, par haine de l’écologie, nient l’évidence du changement climatique.

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Les deux adversaires se répondraient dans un jeu de miroir, leur opposition s’appuyant sur trois accords à la fois fondamentaux et tacites. D’abord, ils s’entendent pour ne considérer qu’une seule forme de catastrophisme, la collapsologie, écartant ainsi du débat toute forme de « catastrophisme rationnel », le « catastrophisme éclairé » de Dupuy par exemple. Ensuite, ils méconnaissent la condition tragique du prophète de malheur et s’ils citent Hans Jonas et Günther Anders, c’est sans comprendre ou « respecter » leur pensée. Enfin, « tant les catastrophistes mortifères que les aveugles satisfaits d’eux-mêmes accélèrent la marche vers l’abîme », les premiers en excluant qu’on puisse l’arrêter, les seconds en tournant la tête ailleurs.

Pour sortir de cet affrontement stérile, Jean-Pierre Dupuy propose de se pencher sur la parole du prophète : la prophétie de malheur, telle qu’elle s’exerce dans l’Ancien Testament, peut être dite « auto-invalidante », comme d’autres sont autoréalisatrices. Le prophète n’annonce la catastrophe que pour la prévenir : sa prédiction ne doit pas se réaliser, elle doit au contraire inciter ses destinataires à agir pour qu’elle ne se réalise pas. Autrement dit, la prophétie n’est pas un discours de vérité valant par un contenu de savoir, mais une parole qui se tient tout entière dans sa dimension pragmatique[1]. Mais pour convaincre ses auditeurs, elle doit se présenter comme certaine.

Le paradoxe, et le tragique de la condition p


[1] La dimension pragmatique de la parole prophétique est très bien exposée dans l’ouvrage de Hicham-Stéphane Afeissa, La Fin du monde et de l’humanité, PUF, 2014, p. 160-164.

[2] François Gemenne et Aleksandar Rankovic, Atlas de l’anthropocène, Presses de Sciences-Po, 2019, p. 42-57.

[3] Cormac MacCarthy, La Route (2006), Seuil, 2008, p. 170.

[4] Yves Citton et Jacopo Rasmi, Générations collapsonautes, Seuil, 2020, p. 48.

[5] José Saramago, L’Aveuglement (1995), Seuil, 1997, p. 286.

Jean-Paul Engélibert

Professeur de littérature comparée

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Écologie

Notes

[1] La dimension pragmatique de la parole prophétique est très bien exposée dans l’ouvrage de Hicham-Stéphane Afeissa, La Fin du monde et de l’humanité, PUF, 2014, p. 160-164.

[2] François Gemenne et Aleksandar Rankovic, Atlas de l’anthropocène, Presses de Sciences-Po, 2019, p. 42-57.

[3] Cormac MacCarthy, La Route (2006), Seuil, 2008, p. 170.

[4] Yves Citton et Jacopo Rasmi, Générations collapsonautes, Seuil, 2020, p. 48.

[5] José Saramago, L’Aveuglement (1995), Seuil, 1997, p. 286.