Intelligences superficielles

Journaliste

Chaque jour, 55 000 nouvelles chansons apparaissent sur les plateformes de streaming. Des blogs aux podcasts, on a de plus en plus en besoin de prescripteurs, de filtres. Car les algorithmes ignorent tout de la passion, de la culture personnelle et de la mauvaise foi. Avant ces intelligences artificielles, qui étaient les passeurs ?

Gérald Guignot. Gérard Bouvier. Pete Burns. Geoff Davies. Nigel House. Philippe Marie. Marc Zermati. Stéphane David. Chris Volume. Ivan Smagghe. Anne & Eric Pétry. Geoff Travis. Jérôme Mestre. Josh Madell. John Berry. Philippa Jarman…

Je les dénonce publiquement : pour mon plus grand plaisir, ils m’ont extorqué mon argent de poche puis mes salaires.

publicité

Les Anglo-Saxons ont une expression merveilleuse pour décrire ces oubliés fondamentaux : Unsung Heroes. Littéralement : les héros dont personne ne chante les louanges. Elles et eux pourtant chantaient, à tue-tête, toute la journée. Des chansons et des louanges. Ils formaient ou restent pour certains miraculés une caste noble, un puits de science adoré, craint ou respecté (souvent les trois à la fois) de la chaîne musicale : les disquaires. Dans leurs magasins, quelques-uns des noms cités m’ont donc fait les poches. Ils m’ont surtout fait, de toutes pièces : avec des ronds en plastique de 33 cm, de 25 cm ou de 18 cm. Ce n’est pas étonnant, quand on voit tel empilement hasardeux de disques, de bric et de broc, que l’on soit devenu si instable. Mais je suis riche de milliers de chansons que ces passeurs bourrus, grognons, parfois même récalcitrants m’ont quasiment forcé à acheter.

Avec d’autres victimes consentantes, nous leur devons des discothèques, des légendes, des mensonges. Ils nous ont fourni les clés : à nous de faire prospérer ce gai savoir et ces chansons souvent tristes. De cette érudition, certains ont fait un musée. Ils se sont recroquevillés sur leur objets de culte, ne partagent aucune information, touchent à peine leurs vinyles sacrés : la musique n’est pas pour eux une joie, une célébration mais un catalogue sinistre de références, de noms, de chiffres. Éduqués pourtant dans le bordel indiscipliné des magasins de disques, ils ont minutieusement rangé leurs achats dans un institut médico-légal. Ils dissèquent, ils chipotent mais à l’arrivée, ils sentent le formol. Ne pas compter sur eux pour le pa


JD Beauvallet

Journaliste, Critique