Politique

Dépasser les fractures de l’identité

Politiste

La réduction du débat sur l’immigration à ses chiffres empêche trop souvent de voir que derrière le terme générique de « migrants » il y a des individus, des proches que la politique migratoire continue de renvoyer au statut d’« autre ». Cela témoigne du succès avec lequel l’extrême droite a réussi à imposer son discours à l’agenda politique. Or, enfermer la vision politique dans les limites des frontières nationales, c’est s’interdire de pouvoir répondre à de grands défis comme l’écologie. Un article publié à l’occasion de la Nuit des idées 2021 dont le thème est « Proches ».

C’est un débat qui a fait couler beaucoup d’encre, diffusé en février sur France 2, et qui opposait Marine Le Pen au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Du débat, on a surtout retenu cette course à l’échalote dans laquelle le ministre reconnaît à son adversaire qu’elle est « républicaine », mais « trop molle », « branlante », sur les questions liées à l’islam, tandis que celle-ci déclare qu’elle « aurait pu écrire » le livre signé par le ministre sur le séparatisme islamiste.

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Du débat, je retiendrai plutôt une autre séquence, qui a ravi les détracteurs de Madame Le Pen. Dans cette séquence, Marine Le Pen affirme qu’en 2019, la France a délivré 461 000 permis de séjour à des étrangers. Elle est immédiatement reprise par le ministre et par les deux journalistes, Léa Salamé et Thomas Sotto, qui s’empressent de dégainer un graphique qu’ils avaient sous la main et qui montre que la France, cette année-là, n’en a en fait accordé « que » 277 000. Et chacun de jubiler que Marine Le Pen ait ainsi été prise en défaut.

Mais que se serait-il passé si Marine Le Pen s’était trompée dans l’autre sens ? Si elle avait sous-estimé le nombre de permis de séjour ? Il y a fort à parier que personne ne l’aurait corrigée, ou alors discrètement. Et la présidente du Rassemblement National aurait eu beau jeu de s’horrifier d’être en dessous de la réalité. Comme si une politique migratoire efficace était forcément une politique restrictive. Comme s’il fallait absolument montrer « qu’on n’accorde pas tant de titres de séjour que ça ». Qu’on ne s’y trompe pas : l’objectif pour le Rassemblement National, c’était que ce graphe soit montré à l’antenne, sans explications. Car c’est bien cela, l’image qui reste pour le téléspectateur : que ce soient 277 000 ou 461 000, c’est beaucoup, c’est trop, et ça augmente sans cesse.

Pourtant on parle ici de l’immigration régulière, mais on ne dit jamais qui sont ces gens. Ce sont des étudiants (33 %), des conjoints qui se retrouvent, ou des enf


[1] Selon les données du Ministère de l’Intérieur, 2020.

[2] François De Smet, La Marche des ombres. Réflexions sur les enjeux de la migration, Bruxelles, CAL, 2015.

[3] Dans son rapport de 2020, Discriminations et origines : l’urgence d’agir, le Défenseur des droits relevait ainsi que 11 % de la population, en France métropolitaine, avaient vécu une ou plusieurs discriminations en raison de leur origine ou de leur couleur de peau sur les cinq dernières années.

François Gemenne

Politiste, Chercheur qualifié du FNRS à l’Université de Liège, enseigne les politiques du climat et les migrations internationales à Sciences Po Paris et à l’Université Libre de Bruxelles

Notes

[1] Selon les données du Ministère de l’Intérieur, 2020.

[2] François De Smet, La Marche des ombres. Réflexions sur les enjeux de la migration, Bruxelles, CAL, 2015.

[3] Dans son rapport de 2020, Discriminations et origines : l’urgence d’agir, le Défenseur des droits relevait ainsi que 11 % de la population, en France métropolitaine, avaient vécu une ou plusieurs discriminations en raison de leur origine ou de leur couleur de peau sur les cinq dernières années.