Que faire de la dette publique ?
Nul ne sait comment évoluera la pandémie due au virus du Covid-19 et si nous en sortirons bientôt. Cependant, dans beaucoup de pays, le nombre de personnes contaminées est en forte réduction et la part de la population ayant bénéficié d’un vaccin devient significative. L’espoir revient de sortir de la phase aiguë de cette crise, avec son cortège de restrictions d’activités, de loisirs et tout simplement de liberté.
Déjà, à Bruxelles comme à Paris, des responsables pensent que le temps est venu de refermer la parenthèse du « quoi qu’il en coûte ». Le ministre des comptes publics, Olivier Dussopt, s’est exprimé à plusieurs reprises dans ce sens. La Commission de l’Union européenne a demandé au Comité budgétaire européen d’engager une réflexion sur l’évolution des règles budgétaires à l’issue de la pandémie.
À Paris, la commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, est installée en décembre 2020, avec pour mission, selon le communiqué du gouvernement, de « proposer des scénarios de retour à l’équilibre des comptes, dans un objectif de stabilisation puis de réduction progressive de notre dette publique. Ces travaux intègreront notamment l’objectif de pérennisation des baisses de prélèvements obligatoires prévues au cours du quinquennat ».
Tout est dit en quelques mots. Les déficits publics sont une mauvaise chose imposée par les circonstances. Il faut y mettre fin au plus vite et parvenir à l’équilibre budgétaire. Mais il n’est pas question de revenir sur les avantages fiscaux accordés aux plus riches pour cela. Le rapport remis par cette commission le 18 mars 2021 respecte sans surprise le mandat qui lui a été donné.
Inutile d’avoir fait de longues études de finances publiques pour comprendre que si l’on n’augmente pas les recettes il faudra réduire les dépenses. Et contrairement à ce que l’on dit trop souvent à l’opinion publique, les sources potentielles d’économies importantes sur les dépenses publiques ne se trouvent pas dans les dépenses de fonctionnement de l’État (le nombre et la paye des fonctionnaires en particulier), car cette part de la dépense publique est restée remarquablement constante, rapportée au PIB, au cours des trente dernières années. En revanche, ce sont les dépenses consacrées à la santé, aux retraites, à la formation et à l’emploi qui ont considérablement augmenté depuis les années 1970. Pas étonnant donc qu’il soit à nouveau question de la réforme de l’indemnisation du chômage ou de celle des retraites.
Mais plutôt que de discuter des projets incessants de réforme de notre régime social, réfléchissons aux présupposés qui conduisent à présenter ces réformes comme des nécessités absolues et urgentes.
La dette publique toujours présente, toujours contestée, toujours convoitée
L’endettement public est-il condamnable ?
John Fitzgerald Kennedy déclarait à Yale en 1962, à l’occasion d’une remise de diplômes : « Les dettes publiques et privées ne sont ni bonnes, ni mauvaises ». Ce point de vue pondéré et exprimé de façon ramassée est pourtant loin d’être partagé par tous.
La dette publique est souvent condamnée au motif qu’elle ferait supporter aux générations futures le poids de nos dépenses inconsidérées d’aujourd’hui. Nous serions des cigales ayant trouvé le moyen de ne pas affronter les conséquences de notre légèreté en nous contentant de laisser à nos descendants le soin de payer les factures, sans nous exposer à la vindicte de la fourmi.
Cette fable, beaucoup moins bien écrite que celle de La Fontaine, est aussi beaucoup moins exacte. En effet, comme dans La Cigale et la Fourmi, c’est bien entre vivants que nous réglons nos comptes, et pour l’essentiel entre vivants de la même génération.
Première observation, la durée de vie moyenne des encours de la dette publique en septembre 2020 était de 8 ans et 265 jours (contre 7 ans et 38 jours en 2015). Comme nous n’avons pas tous plus de 80 ans, ce sont bien ceux qui vivent et travaillent aujourd’hui qui rembourseront la dette d’aujourd’hui et nos petits-enfants ne seront pas nécessairement appelés à le faire à notre place.
Par ailleurs, l’État ne s’endette pas auprès des générations futures, comme cela est dit trop souvent. Quand l’Agence France Trésor vend un titre de dette à dix ans en 2021, elle le vend à un acheteur d’aujourd’hui et l’État s’endette auprès des générations présentes. Si l’acheteur du bon du Trésor est vivant à l’échéance, en 2031, il touchera le remboursement du prêt qu’il a fait à l’État et s’il est mort, il aura transmis le bénéfice de ce remboursement à ses héritiers ou à celui qui aura racheté le titre de dette.
Pendant ce temps, l’État aura dépensé le montant de cet emprunt en prestations qui auront bénéficié à des vivants d’aujourd’hui et en investissements qui profiteront aux vivants d’aujourd’hui et de demain.
L’endettement de l’État s’accompagne donc d’un transfert de ressources au sein des générations présentes, entre ceux qui prêtent à l’État et ceux qui bénéficient de ses dépenses. À l’échéance des titres de dette publique, si l’État emprunte à nouveau pour rembourser – ce qu’il fait souvent et souvent et à juste raison – un nouveau prêteur trouvera intérêt à acheter de la dette d’État et les contribuables ne seront pas appelés à financer la dette d’hier.
En revanche, si l’État décide de réduire sa dette et n’a pas les moyens de faire les économies correspondantes, il devra augmenter la fiscalité, et dans ce cas une partie de la génération concernée bénéficiera du remboursement de la dette arrivée à échéance et tous les contribuables contribueront au remboursement de la dette passée. Mais encore une fois, comme l’État n’emprunte majoritairement pas sur des durées de cinquante ans ou plus, les contribuables d’aujourd’hui ont bénéficié de la dette d’un hier récent sous forme de dépenses d’éducation, de santé, d’infrastructures de toute nature.
C’est cette réalité des transferts de ressources au sein d’une génération et entre générations, en plus de la pérennité des États, qui rend parfaitement absurde la comparaison entre l’État et une entreprise et les tentatives d’établir un « bilan » de l’État comparable à celui d’une entreprise multinationale. Ces exercices, dûment certifiés par les Cours des comptes européennes n’ont aucun sens économique et ne sont qu’une entreprise de mystification idéologique. Ce ne serait pas très grave si cela ne servait pas à justifier des décisions complètement erronées en matière de politique économique et de gestion de l’État.
Et L’État dans tout cela ?
Le second motif principal de condamnation de la dette publique est qu’en empruntant sur les marchés financiers pour financer ses dépenses, l’État évincerait les entreprises et leur interdirait de financer leurs investissements.
Ce point de vue est pourtant difficile à défendre au vu du niveau extrêmement bas des taux d’intérêts actuels qui traduit plutôt l’absence de concurrence entre les États et les acteurs privés sur les marchés financiers et un excès d’épargne mondiale par rapport à l’investissement.
L’explosion de l’endettement des États consécutif à la crise dite des subprimes, à partir de 2007, s’est accompagnée d’une baisse considérable des taux d’intérêts réels. Il y a de quoi troubler les économistes. De plus, la baisse des taux d’intérêt n’est pas conjoncturelle, elle dure depuis quarante ans.
Plusieurs facteurs peuvent être invoqués pour l’expliquer : ralentissement de la croissance mondiale depuis la fin du XXe siècle qui a conduit certains économistes à parler de « stagnation séculaire » ; faible volume d’investissements privés dans le monde depuis le début des années 2000, sauf en Chine ; augmentation des inégalités et mise en cause des régimes sociaux qui obligent les populations à augmenter leur épargne de précaution ; vieillissement de la population dans les économies développées qui s’accompagne d’une augmentation du taux d’épargne. Chacun de ces facteurs mériterait des développements détaillés qui ne trouveront pas leur place ici. Mais ce qui est certain, c’est que l’endettement public n’entraine pas « d’effet d’éviction du financement des investissements privés » pour le moment.
La conception des rapports entre l’État et les marchés financiers a une histoire. Jacques Rueff [1] considérait les déficits publics comme « la gangrène du corps social » et voyait un « péché » dans l’intervention politique dans les monnaies, péché conduisant à la « satanique inflation ». Le recours au vocabulaire religieux par un l’économiste également inspecteur des finances, est symptomatique de la force de l’interdit qu’il prononçait contre le droit des États à contrôler la monnaie et derrière elle la finance. Il était un anti-Keynésien déterminé, contempteur des accords de Bretton Woods. Économiste libéral, il fut membre du groupe X-Crise entre les deux guerres et il rejoindra la « Société du Mont-Pèlerin » dès 1948, aux côtés de Friedrich Hayek et de ses fidèles.
Malheureusement pour lui, au lendemain de la guerre, les idées libérales et ceux qui les portaient n’étaient pas en bien vue. La classe dominante de l’entre-deux guerres était discréditée. En France, une nouvelle génération de hauts fonctionnaires s’est installée dans les ministères. Elle place l’État au-dessus du marché et crée le « circuit du Trésor » pour le financer. L’État se finance directement auprès du Trésor par la création de monnaie « à robinet ouvert » et les banques sont obligées de souscrire des titres du Trésor. Ce système permettra la reconstruction rapide de la France et une période de prospérité vers laquelle nous nous tournons avec nostalgie.
Dans le même temps, le système de Bretton Woods, imaginé au sortir de la deuxième guerre mondiale, avait établi des parités fixes entre les monnaies et instauré un système de coopération internationale entre les États, sous contrôle américain, leur permettant de contrôler les capitaux, ce qui décourageait la spéculation et privait les financiers de marché.
Mais les temps changent et en 1958, Jacques Rueff revient aux affaires dans les valises du Général de Gaulle, de Michel Debré et d’Antoine Pinay. Le plan de stabilisation de 1959 est son œuvre. Il repose sur le retour à l’équilibre budgétaire, la dévaluation du franc et la création du nouveau franc, le rétablissement de la convertibilité du franc, en même temps que des autres monnaies européennes et l’ouverture des échanges commerciaux. Il s’agissait de mettre la France en état d’intégrer la communauté économique européenne après la signature du traité de Rome.
Cette forte inflexion de la politique économique française montre au passage toutes les ambiguïtés de la politique gaullienne, trop vite résumée en une affirmation de l’indépendance nationale et planification de l’économie. Le général de Gaulle prolongera les programmes industriels engagés sous la IVe République en matière de défense, d’énergie, de politique spatiale et aéronautique, mais il aura aussi le souci de réduire l’inflation et de préparer l’économie française au marché commun.
Ensuite viendra l’éclatement du système de Bretton Woods : le 15 août 1971, Richard Nixon déclare la non-convertibilité du dollar en or et nous fait entrer dans le nouveau monde des changes flottants et du grand marché des monnaies, pour le plus grand bonheur des « marchés financiers ».
On voit donc que sur cette courte période de 1945 à nos jours, le rôle des États dans la création monétaire et la situation de la « finance », que François Hollande désignait comme son ennemie avant de se raviser, a beaucoup évolué.
Plus les dirigeants veulent réduire la dette, plus elle augmente
Avec la contre-révolution libérale initiée dans les années 1980 par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, s’est ouverte une période de hausse continue et vertigineuse de l’endettement public, ce qui peut paraître paradoxal car ces nouveaux responsables politiques et les partis qui les soutenaient avaient fait de la réduction de la place de l’État dans l’économie leur l’objectif principal.
Durant les deux mandats de Ronald Reagan, la dette publique des États-Unis est passée de 988 milliards de dollars le 30 septembre 1980 à 2 602 milliards de dollars le 30 septembre 1988, soit quasiment le triple. Cette tendance s’est prolongée après lui puisque la dette publique américaine a atteint 132 % du PIB fin 2020 selon le Fonds monétaire international, le FMI. Rappelons qu’elle n’était « que » de 119 % en 1945, après une période singulièrement plus difficile que celle que nous avons traversée depuis 1945. Margaret Thatcher réussit, elle, à réduire la dette publique au prix d’un chômage de masse et de l’explosion de la pauvreté au Royaume-Uni, mais au Japon, la dette publique atteint 250 % du PIB.
En Europe, le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993, devait assurer la convergence des économies européennes grâce à la liberté de circulation des capitaux, des parités monétaires irréversibles, des déficits budgétaires faibles et limités à 3 % du PIB et l’indépendance de la Banque centrale européenne, la BCE.
En réalité, alors que les économies européennes, avant la création de l’euro, convergeaient, elles divergent depuis qu’il existe. Au début des années 1990, le revenu par habitant était le même en Allemagne, en France et en Italie. Aujourd’hui, celui d’un Français est inférieur de 15 % à celui d’un Allemand et la différence avec celui d’un Italien est de 30 %.
Pour préparer son entrée dans l’euro, la France s’est accrochée désespérément au Deutsche Mark, de 1992 à 1997, au nom du « sérieux économique ». Ce faisant, elle s’est enfoncée dans la récession, avec une monnaie surévaluée et une dette française passée de 40 % à 62 % du PIB en cinq ans.
Comme si cela ne suffisait pas, après la crise des subprimes de 2008-2012, l’Allemagne a imposé au reste de la zone euro, en même temps qu’un contrôle renforcé sur les politiques budgétaires des États par la Commission européenne, sa « règle d’or » : l’inscription dans les constitutions nationales de l’interdiction de voter des budgets en déficit sauf circonstances exceptionnelles et l’interdiction d’un déficit structurel supérieur à 0,5 % du PIB.
Une bonne partie des économistes considère aujourd’hui que la priorité donnée à la réduction des déficits budgétaires après l’effondrement des économies européennes entre 2008 et 2012 a empêché l’Union de retrouver le chemin de la croissance – à l’exception de l’Allemagne qui a compensé la faiblesse de sa demande interne par des excédents commerciaux et de sa balance des paiements « excessifs », mais non sanctionnés par le système européen.
Nous pouvons mesurer chaque jour l’inefficacité de cette tentative de corseter la réalité des divergences de situations économiques dans un carcan idéologique et juridique. Notons que les représentants français, fonctionnaires et politiques, non seulement n’ont rien fait pour s’opposer à tout cela mais en furent des zélateurs, depuis Jacques Delors, président de la Commission européenne, jusqu’à Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières. Mais leur foi n’a pas suffi à déplacer les montagnes. Les dettes ont continué à augmenter dans les pays du sud de l’Europe et les excédents à s’accumuler en Allemagne.
Du coup, alors que les accords de Maastricht puis le traité de Lisbonne interdisaient le financement monétaire de la dette publique, la BCE a contourné les traités, au grand soulagement des gouvernements de toute l’UE, pour monétiser cette dette en rachetant massivement des titres publics sur le marché secondaire, en créant une quantité correspondante de monnaie, afin d’éviter l’effondrement des économies européennes, allemande comprise. Le rapport de la commission sur l’avenir des finances publiques le rappelle :
« La BCE a ainsi racheté 54 % des titres de dettes émis en 2020 et elle détient désormais plus de 25 % du stock de dette publique française. En ajoutant l’action des banques centrales étrangères (24 % de l’achat des titres émis en 2020), 78 % des montants de dette émise par la France en 2020 ont été rachetées par des banques centrales. »
Il faudra tout de même expliquer un jour pourquoi la réalité se rebelle à ce point contre les politiques mises en œuvre depuis le début des années 1980.
L’euro a créé à la fois la maladie et le remède. Il a contribué à mettre en difficulté une majorité des pays qui en ont fait leur monnaie mais qui n’ont pas pu s’adapter à la concurrence interne à la zone euro, car il aurait fallu pour cela mettre à genoux leur propre peuple pour complètement démanteler le système social. Et, en même temps, l’Eurosystème (la BCE et les banques centrales des États membres de l’euro) a permis aux États de s’endetter à moindre coût et de ne pas subir, tout de suite, une crise de la dette en plus d’une crise économique.
Pourquoi s’inquiéter de la dette publique et pas de la dette privée
L’endettement privé est élevé et supérieur à l’endettement public, sans que personne ne s’en émeuve.
Au troisième trimestre 2020, l’endettement privé en France représentait 152,8 % du PIB selon la Banque de France (contre 112,5 % du PIB en 2010). En 2019, la dette des ménages a augmenté trois fois plus rapidement que leurs revenus pour atteindre 1 170 milliards d’euros. Aux États-Unis, la dette des ménages est un peu supérieure à 14 000 milliards de dollars. La dette des agents non financiers privés représente, fin 2020, 167 % du PIB au Japon, 160 % du PIB au États-Unis, 152 % en France, 150 % au Royaume-Uni etc.
Cette augmentation de l’endettement privé en Europe a été rendue possible en partie grâce au soutien de l’État, réclamé par tous, notamment face aux pertes engendrées par la crise sanitaire. Il s’explique aussi par la politique monétaire de la BCE sur laquelle nous reviendrons.
Mais la dette privée n’est pas sans risques. La crise économique espagnole de 2008-2015 fut d’abord une crise de la dette privée, provoquée par l’incapacité des ménages à rembourser leurs crédits immobiliers garantis par des actifs surévalués, qui a entrainé la faillite des banques créditrices puis celle de l’État.
Pourtant, aucune commission n’a été chargée par le gouvernement de réfléchir aux moyens de réduire la dette des entreprises et des ménages.
La dette serait-elle comme le cholestérol, la dette privée serait la bonne, la dette publique la mauvaise ? L’histoire nous enseigne qu’il n’en est rien.
Et maintenant, qu’allons-nous faire ?
La charge de la dette diminue grâce à la baisse des taux d’intérêts
L’augmentation de la dette publique est un phénomène mondial. Selon le FMI, la dette publique mondiale accumulée en 2020, rapportée au PIB mondial, a dépassé le plus haut point atteint pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant, la charge de la dette diminue ; comment un tel miracle est-il possible ?
Lorsqu’un État emprunte pour 10 ans 100 € portant 5 % d’intérêt par an, son coût pour les finances publiques sera de 5 € par an pendant 9 ans et de 105 € la 10e année, l’année du remboursement au prêteur, soit au total 150 €.
Mais si l’État emprunte à nouveau 100 € à l’échéance du prêt précédent pour le rembourser, le coût supporté par les finances publiques pendant 10 ans n’aura été que de 50 € (la charge des intérêts), et si les taux d’intérêt ont diminué de moitié au cours des 10 années précédentes, la charge de la dette au cours des 10 années qui suivent diminuera dans les mêmes proportions. C’est exactement ce qui se passe en France depuis quelques années, et qui se poursuivra en raison de la poursuite de la baisse du taux apparent (c’est à dire du taux moyen de l’ensemble des prêts en cours) de la dette française. Le taux moyen de la dette française baisse parce que la dette contractée par l’État pour financer le déficit budgétaire et rembourser la dette venue à échéance porte un intérêt inférieur à la dette qu’il rembourse.
C’est ainsi que la dette publique de la France est passée de 40 % du PIB en 1991 à 120 % en 2020. Dans le même temps, la charge d’intérêts sur la dette publique en France rapportée au PIB est passée de 2,5 % en 1990 (3,5 % en 1996) à 1,5 % en 2020, et même à 1 % si l’on sort du total de la dette française la part détenue par l’Eurosystème. C’est le résultat de la baisse continue des taux d’intérêts pendant cette période et de la croissance du PIB.
Les faibles taux d’intérêts nominaux accordés aux prêteurs ne sont pas un phénomène conjoncturel, la baisse est continue depuis 40 ans. Les taux d’intérêts portés par les emprunts publics sont maintenant négatifs jusqu’à des maturités de 20 ans. Le taux apparent de la dette publique française, c’est-à-dire celui qui prend en compte tous les emprunts passés et leur date de maturité, est passé de près de 7 % en 1996 à un peu plus de 1 % en 2021 et le taux des nouvelles émissions est négatif.
En d’autres termes, la charge de la dette va continuer à diminuer dans les prochaines années à mesure que l’État remboursera des emprunts souscrits lorsque les taux d’intérêt étaient plus élevés.
Elle diminue aussi grâce à la politique de la BCE et des banques centrales
L’intervention massive de la BCE et des banques centrales des États de l’UE pour racheter des titres de public a beaucoup allégé la charge de la dette publique.
L’Union européenne a interdit le financement monétaire des déficits publics et obligé les États membres à financer la totalité de leur dette sur le marché financier. L’Agence France Trésor vend chaque mois ses titres à quinze spécialistes en valeur du trésor (SVT) ; il s’agit notamment de BNP Paribas, du Crédit Agricole, de Natixis, de la Société Générale, de Goldman Sachs, de City Group, de JP Morgan ou d’UBS.
En 2020, à peine ces « spécialistes » avaient-ils acheté les bons du Trésor que la Banque centrale les leur a rachetés, non sans payer au passage une commission aux banques en question. En période « normale », les SVT revendent ces valeurs du Trésor à leurs propres clients (d’autres banques et intermédiaires financiers) qui les revendront à leur tour sur le marché secondaire. À chaque étape, les intermédiaires se font rémunérer.
L’interdiction du financement monétaire direct de la dette publique dans la situation actuelle n’a aucun sens. Elle renchérit le coût global du financement public, pour le plus grand profit des acteurs du marché financier mais sans bénéfice pour les autres acteurs économiques.
Une fois détenus par les banques centrales, les titres de dette publique ne coûtent plus rien aux États jusqu’à leur éventuel remboursement. Les intérêts payés par l’État à la banque centrale reviennent dans les caisses publiques sous forme de dividendes et d’impôt sur les bénéfices des sociétés payés par les banques centrales, dont le capital est détenu à 100 % par les États.
L’Eurosystème a racheté, en 2020, 70 % de la dette publique émise par les pays de la zone euro. La BCE est devenue l’actrice principale du système européen, la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européens ne jouant qu’un rôle de figuration. Est-ce la réalisation de la prophétie de Jacques Rueff (encore lui) qui disait que « l’Europe se fera par la monnaie » ? Ou bien le signe d’une crise institutionnelle européenne dont les conséquences apparaîtront plus nettement bientôt ?
Le plan de relance européen, adopté à grand peine en juillet 2020 par le Conseil européen et qui n’est toujours pas mis en œuvre, fait bien pâle figure à côté du rachat de 1 000 milliards d’euros de dette des États de la zone euro en quelques mois, auxquels il faut ajouter un plan d’urgence au début de la pandémie, en mars 2020, de 750 milliards d’euros de prêts aux banques de la zone. Pourquoi, dans ces conditions, perdre son temps avec la bureaucratie européenne pour obtenir une part des 390 milliards de subvention répartis entre les 27 États membres et emprunter auprès de la Commission européenne à des taux plus élevés que ceux qu’obtiennent le Trésor français ou allemand sur les marchés ? Il faudra être mal avisé pour le faire.
L’autonomie de la Banque centrale européenne a été si bien garantie que c’est elle qui exerce l’essentiel du pouvoir effectif au sein de l’UE, les instances politiques animant un théâtre d’ombres dans lequel on fait semblant de décider.
À propos du plan de relance européen, le rapport de la commission Arthuis donne l’information suivante :
« Afin de financer cette dette [contractée par la Commission pour financer le plan de relance], deux scénarios, qui pourraient être combinés, sont envisagés :
Scénario 1 : financement par des recettes fiscales européennes nouvelles. La Commission européenne doit faire des propositions sur le sujet d’ici juin 2021 – en mettant en place, par exemple, la taxe numérique ou la taxe carbone aux frontières ou marché des quotas (SCEQE).
Scénario 2 : financement par les contributions classiques des États Membres au budget de l’UE. L’impact financier net pour la France serait d’environ 26 milliards d’euros. En effet, compte tenu de la grille de contribution financière, elle paierait environ 17 % des subventions du plan de relance européen (soit environ 66 milliards d’euros) tandis qu’elle recevrait environ 40 milliards du plan de relance européen. »
Jean Arthuis confirme ainsi ce que nous avions écrit dès le mois de juillet. Ce n’est pas l’UE qui va financer la relance en France mais l’inverse. Cette grande victoire française est une victoire pour le compte du roi de Prusse.
Que faut-il faire ? Puisque nous avons écrit que la dette n’était ni bonne ni mauvaise, constaté que la charge de la dette diminuait et restait supportable pour les finances publiques, que la BCE assurait l’urgence et allégeait la charge supportée par les États, peut-on conclure que tout va bien et que la question de la dette n’en est pas une ?
La dette est-elle soutenable ?
Même si jusque-là ça va, chacun est bien conscient que la dette, publique et privée, ne peut pas augmenter indéfiniment. Nous avons connu au cours de notre histoire d’autres moments de fort endettement ; les solutions ayant permis de le réduire ont été à chaque fois différentes. La banqueroute a rarement été utilisée, sauf celle, fameuse, du Directoire en 1797. La croissance et l’inflation ont souvent permis de réduire la dette.
Personne n’est capable de dire quel est le niveau de dette soutenable par un État. Le Japon vit depuis des années avec un niveau de dette qui nous paraît inimaginable. La barre des 60 % de dette sur PIB avait été fixée comme infranchissable par le traité de Maastricht ; le taux moyen de dette publique rapportée au PIB dans la zone euro est supérieur à 100 % et la zone euro vit avec.
Mais la dette coûte cher, même si sa charge a diminué au cours des dernières années, comme nous l’avons vu. Le cumul des intérêts payés aux détenteurs de titres du Trésor de 1973 à 2019 atteint 1 500 milliards d’euros, que l’on peut rapprocher d’une dette cumulée de 2 400 milliards d’euros en 2019. Le maintien du « circuit de financement Trésor » de la dette publique, tel qu’il existait jusqu’à la fin des années 1970, nous aurait-il permis de n’avoir aujourd’hui qu’une dette de 900 milliards d’euros et d’économiser 1 500 milliards ? La question mérite d’être posée, même si le circuit Trésor comportait aussi des inconvénients et avait d’autres effets sur l’économie.
En 2012, l’État a payé 56,1 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers, et ce n’est que parce que les taux d’intérêts ont baissé depuis que la charge de la dette est restée soutenable.
La possibilité offerte aux États d’emprunter à taux négatifs ne durera peut-être pas aussi longtemps que les contributions. C’est une situation anormale qui témoigne d’un déséquilibre entre l’épargne et l’investissement résultant d’une faible croissance mondiale. Ce déséquilibre devra se résorber un jour, soit par une reprise de la croissance, soit par un ajustement de la valeur des actifs détenus par les épargnants. Si les États-Unis s’engagent dans une politique conduisant à une remontée progressive des prix et des salaires, en même temps que celle des taux d’intérêts, la charge de la dette pourrait bien alors, avec un décalage résultant de la maturité de la dette, reprendre un chemin ascendant.
Il n’est pas complètement rassurant de constater que la dette publique a atteint des niveaux qui dépassent ceux de la seconde guerre mondiale, alors que nous ne vivons rien de comparable.
Le financement massif de la dette publique par les banques centrales injecte des quantités de liquidités dans l’économie qui ne s’orientent pas vers les secteurs productifs, faute d’opportunités. De ce fait, elles contribuent à l’inflation de la valeur des actifs financiers – les bourses se portent bien même quand tout le monde est confiné – et à la création d’une bulle immobilière. Le niveau des transactions immobilières atteint des sommets en pleine pandémie et la croissance des prix du mètre carré dans les agglomérations urbaines est plus vive que jamais, interdisant aux jeunes et aux pauvres de se loger et les renvoyant toujours plus loin vers la périphérie des villes. Il est infiniment plus rentable d’investir son argent dans l’immobilier à Paris que dans une entreprise.
La situation actuelle est donc tout sauf idéale.
Il faudra vivre avec une dette publique élevée pendant longtemps
« Ce n’est pas comme si on pouvait la rembourser », fut la réponse concise et pleine de bon sens que me fit un de mes fils que j’interrogeais sur ce qu’on pouvait faire de notre dette publique.
En effet, nous ne sommes pas près de pouvoir la rembourser sans aggraver une situation économique déjà déprimée. Même la commission Arthuis considère qu’il n’est pas possible de réduire la dette avant 2025 sans faire disparaître les espoirs de reprise économique. Alors ne faisons pas semblant de croire que cela est ne serait-ce qu’envisageable.
À court terme, on peut espérer que les restrictions liées au Covid toucheront à leur fin et que le rebond d’activités qui suivra permettra à la fois d’emprunter un peu plus et de réduire le ratio dette/PIB, tout en bénéficiant de la poursuite de la baisse du taux apparent de la dette, donc de la charge de cette dernière. Il n’y a donc pas de risque d’insoutenabilité de la dette à court terme.
Cela ne signifie pas que la dette n’est pas un problème. Bien sûr, l’utilité des dépenses publiques doit être évaluée en permanence, mais il faut regarder toutes les dépenses, pas simplement celles dont bénéficient les plus démunis. Ce qui nous distingue du reste de l’Europe, selon la commission Arthuis, c’est l’importance des sommes consacrées à la protection sociale (invalidité, vieillesse, chômage, logement, famille), supérieures de près de 5% à la moyenne européenne, puis les dépenses de soutien à l’économie et les dépenses de santé.
Un examen scrupuleux de leur efficacité est nécessaire avant de les réduire ou d’en réduire d’autres. Et en tout état de cause, il existe un consensus pour affirmer que, dans l’immédiat, il se trouve d’autres urgences que de tailler dans ces budgets.
Des investissements sont nécessaires
La crise a révélé combien le crédo libre-échangiste de l’Europe l’avait affaiblie sur le plan de la recherche et de la santé aussi bien que de ses capacités industrielles et agricoles. Que l’UE soit incapable de produire un vaccin contre le Covid, alors que le Royaume-Uni, objet de tous nos quolibets sur l’impasse dans laquelle il se serait placé en quittant l’UE, la Russie, dont le PIB en dollars est inférieur à celui de la France, et d’autres pays moins avancés en ont produit un ou plusieurs signe notre échec collectif. Que nous en soyons encore à acheter hors d’Europe non seulement les vaccins, mais les masques et le matériel sanitaire, un an après le début de la crise, devrait être un électrochoc. La seule solution dont dispose l’UE, c’est le confinement, comme au Moyen Âge !
Ce qui vaut pour l’Union Européenne vaut pour la France.
Il est plus que temps de se ressaisir. L’Europe doit cesser de faire des plans de relance pour le bénéfice de l’industrie chinoise. Il faut passer des déclarations d’intentions aux actes. Le projet de taxation du carbone aux frontières en cours de discussion est beaucoup trop faible et complexe pour être efficace. L’Europe doit mettre en place des mécanismes simples et efficaces de protection de son marché, comme le font les États-Unis ou les pays asiatiques. Elle ne le fera que si elle met en place en même temps une politique déterminée de relocalisation de la production en Europe et la fin à sa course à la signature d’accords de libre-échange qui ne profitent qu’à nos partenaires et concurrents.
Quant à la France, il est temps qu’elle se demande où sont ses intérêts nationaux, si ces mots ont encore un sens dans notre République, et qu’elle les défende. Il faut cesser de croire que la multiplication des start-ups développant des applications plus ou moins utiles et rachetées par une des cinq entreprises états-uniennes des GAFAM, lorsqu’elles sont susceptibles de rapporter de l’argent, constitue un modèle de développement économique.
Ne nous laissons pas aveugler par les États-Unis. La capitalisation boursière de la bande des six (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et Tesla) est supérieure à 50 % de la capitalisation du Nasdaq (principal indice boursier américain) et représente plus de 30 % du SP500 (les 500 plus grosses sociétés américaines). L’inflation de la valeur boursière de ces entreprises résulte en grande partie de la spéculation alimentée par les flots d’argent déversés par la banque centrale américaine (Federal Reserve, FED), et par la BCE. Cette survalorisation de ces quelques entreprises inquiète aux États-Unis même. Elle témoigne à sa façon du faux-semblant de la croissance américaine.
Enfin, si l’on compare les 390 milliards d’euros de subventions du plan de relance européen répartis entre les 27 États de l’UE dans les trois ans qui viennent au plan de relance américain de 1 700 milliards de dollars que Joe Biden vient de faire adopter, on mesure à quel point les moyens mis en œuvre en Europe ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Pas de solution sans croissance économique
Le seul intérêt du ratio dette/PIB, c’est qu’il met en rapport la dette et une image approximative de ce qui peut servir de base d’imposition pour la rembourser. Ce ratio peut diminuer en réduisant le numérateur, donc en remboursant la dette, mais aussi en augmentant le dénominateur, le PIB.
L’exemple grec, après d’autres, a montré qu’en cherchant d’abord à réduire la dette quitte à étrangler l’économie du pays, on aggravait l’importance relative de la dette comparée au PIB, tout en interdisant au pays de trouver dans la croissance économique les ressources lui permettant de se dégager progressivement de la contrainte. C’est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire.
La croissance économique est étouffée par la pression exercée sur le pouvoir d’achat des ménages. La classe moyenne a été écrasée depuis 30 ans, en France et en Europe ; sa situation s’est dégradée. Il faut inverser la tendance en organisant une augmentation de son pouvoir d’achat au long de la prochaine décennie, d’abord par une augmentation des salaires qui ne sera possible qu’en protégeant un peu plus le marché européen.
Les pays européens doivent donc sérieusement se mettre d’accord sur un objectif de croissance et sur le contenu de celle-ci, aujourd’hui euphémisé par les mots « croissance verte », « transition écologique » ou « sobriété heureuse ». Ils doivent aussi définir les moyens permettant de réaliser ces objectifs.
Pas de solution sans correction des inégalités
Des efforts ne peuvent être demandés aux populations qu’à deux conditions :
Premièrement, la contribution demandée doit être équitable : elle doit être proportionnellement plus élevée pour ceux qui ont des revenus et un patrimoine élevés que pour ceux qui n’ont rien ou peu. Cela peut paraître trivial, mais la politique fiscale française fait exactement l’inverse. La principale ressource fiscale du budget de l’État, la TVA est un impôt qui frappe proportionnellement plus les bas revenus que les hauts revenus. La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sont rigoureusement proportionnelles aux revenus et n’en modifient pas les écarts.
La fraude et l’évasion fiscale sont massives chez les riches et les entreprises. Une remise à plat de la fiscalité assurant plus de justice est nécessaire et si elle est plus juste, elle assurera de meilleures ressources fiscales. Il n’y a pas de ressources infinies dans les poches des Français, mêmes riches, mais une élévation modérée de la pression fiscale sur les couches aisées est possible si elle est justifiée moralement et employée au financement de la croissance. La commission Arthuis écarte la piste de l’augmentation des prélèvements obligatoires, comme le lui avait suggéré le gouvernement en l’installant, mais cela n’est pas recevable. Nous traversons une situation sans précédent ; des moyens sans précédent doivent être mobilisés.
Le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) portant sur le patrimoine mobilier est justifié. Il ne réglera pas le problème de la dette, mais les détenteurs de valeurs mobilières profitent autant que les propriétaires immobiliers de la flambée des actifs. La suppression de l’ISF sur les valeurs mobilières avait privé l’État de 3 milliards de ressources ; son rétablissement pourrait lui rapporter un peu plus tant le patrimoine des riches a augmenté. Bruno Le Maire veut faire l’inverse et exonérer les transmissions de patrimoine après les avoir détaxés une première fois.
Il serait également justifié de supprimer le prélèvement forfaitaire unique de 30% sur l’ensemble des revenus et plus-values des valeurs mobilières. Le Conseil d’analyse économique placé auprès du Premier ministre estime que 70 % de l’épargne supplémentaire engrangée pendant la crise du Covid a été faite par 20 % des ménages les plus riches. Serait-il anormal, dans une situation exceptionnelle comme celle que nous traversons, d’instaurer une taxe exceptionnelle sur certains produits d’épargne préférés des ménages les plus aisés, comme l’assurance-vie ?
Deuxièmement, il faut que la population voie concrètement le résultat des efforts demandés en termes d’investissements, d’emplois et de revenu ; or, nous avons une classe dirigeante championne du monde des délocalisations et de l’expatriation des revenus et des profits, comme l’attestait encore une récente enquête sur les patrimoines détenus au Luxembourg.
Ces comportements doivent cesser en utilisant aussi bien la pression morale que le contrôle et les sanctions. Le maintien de l’activité en France et la relocalisation des activités de production doivent être une priorité de l’action publique. Nous pouvons mesurer chaque jour la fragilité d’un modèle économique fondé sur le tourisme et les services qui fait de la France un pays de seconde catégorie.
Un grand emprunt pour financer les investissements nécessaires
Des investissements très importants sont nécessaires pour financer la transformation de l’économie, la construction de moyens de production moins émetteurs de CO2 et l’adaptation du pays au dérèglement climatique en cours, notamment dans trois secteurs : l’enseignement et la recherche dans le sciences fondamentales et appliquées dans les secteurs où nous décrochons : mathématiques (affaiblissement du niveau moyen constaté année après année), physique, chimie, biologie ; la santé pour une remise à niveau des équipements et des salaires dont le « Ségur de la santé » ne représente qu’un premier petit pas ; la réindustrialisation du pays et les investissements nécessaires à ce qui est désigné comme « transition écologique ».
La souscription à ces emprunts pourrait être obligatoire pour les détenteurs d’un patrimoine et de revenus d’une certaine importance, ce qui serait une façon de les appeler à contribuer au redressement national. Cet emprunt serait géré par une caisse d’amortissement spécifique et un organisme de gestion propre permettant d’en suivre l’emploi et les résultats.
Rembourser ou pas la dette publique détenue par les banques centrales ?
Il s’agit d’une décision qui ne pourrait pas être prise par la France seule et seulement pour elle. Un accord européen serait nécessaire et il est inutile d’entretenir des illusions, comme cela a été fait trop de fois : un accord européen sur une annulation partielle ou totale de la dette souveraine détenue par la BCE est inatteignable, sauf si survenait une crise financière majeure et le défaut d’un ou plusieurs grands États membres de l’Union européenne.
La France fait partie des États très endettés de l’UE, avec d’autres comme l’Italie ou l’Espagne, mais ses intérêts sont antagoniques à ceux de l’Allemagne, des Pays-Bas ou d’autres pays du Nord.
À supposer qu’un accord puisse être obtenu, il ne le serait qu’au prix de concessions qui pourraient rendre le système monétaire européen encore plus défavorable qu’il ne l’est aujourd’hui à nos intérêts.
Plutôt que demander une annulation de dette inatteignable, et qui pourrait être payée cher par la France, serait-il plus intéressant de négocier la possibilité d’un financement monétaire partiel directement par les banques centrales de la dette souveraine des États de l’UE, de façon à retirer aux marchés financiers une partie de leur pouvoir. Après tout, si les politiques veulent reprendre le pouvoir en Europe, comme ils le réclament depuis le début de la crise sanitaire, ce serait le meilleur moyen d’y parvenir et de limiter la puissance de la BCE.
Enfin, les règles budgétaires de l’UE sont caduques. Même le rapport Arthuis en convient : « Un aménagement de certaines règles apparaît inéluctable, notamment les règles de désendettement [dont la nécessité de réduire de 1/20e par an l’écart entre le niveau de dette et la cible de 60 % d’endettement], qui paraissent inadaptées car hors de portée. En France, cette règle supposerait désormais de baisser la dette de 3 points de PIB chaque année pendant 20 ans à partir du rétablissement des règles européennes. » Difficile d’y parvenir sans crise sociale majeure en effet.
Il faudra donc que l’UE abandonne cette règle, ainsi que celle des 3 % de déficit annuel, pour accepter enfin des objectifs différents par pays, prenant en compte les réalités de leurs économies et de leurs trajectoires de croissance et de finances publiques.
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Nul doute que le dossier de la dette fait partie des enjeux des prochaines élections générales en France. Il ne doit pas être confisqué par les spécialistes ni par le pouvoir et la commission Arthuis, qui propose des mesures visant exclusivement à stabiliser et réduire la dette, sans toucher à la fiscalité.
Le mandat donné à cette commission ne lui laisse pas d’autre choix que de proposer des mesures de réduction des dépenses publiques. Elles ne sont pas toutes à exclure, mais elles ne constituent qu’une petite partie du sujet et n’aborder la question de la dette publique que sous cet angle est l’assurance de combiner les « réformes » de l’État social, c’est-à-dire son démantèlement sans cesse remis sur le métier et l’échec de la réduction de la dette.