Société

Qu’apprendre des colos apprenantes ?

Pédagogue

Malgré un résultat décevant en 2020, le gouvernement relance cet été les « colonies apprenantes », label destiné aux séjours qui incluent des modules scolaires. Sauf que ce dispositif, d’une part, relève d’un système de marché concurrentiel qui fait perdre ses valeurs de mixité à la « colo ». D’autre part, il transforme celle-ci en simple extension de l’école alors que, dès ses origines, elle sert de creuset d’innovations pédagogiques pour imaginer de nouvelles formes de vivre-ensemble avec les citoyens de demain.

L’été arrive, le gouvernement relance la traditionnelle campagne de communication sur les colonies de vacances, ces dernières reviennent sur le devant de l’actualité, comme chaque année. Et pourtant, les « colos » sont en crise majeure : une crise économique liée à l’interdiction de faire des classes de découvertes et des séjours pendant plus d’une année et une crise lancinante d’un modèle qui conduit à l’érosion de la fréquentation et à l’éclosion des logiques marchandes. Les colos vont mal.

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C’est dans ce contexte que le gouvernement lance en 2020 les colos apprenantes dans le cadre du programme « Vacances apprenantes », première politique publique importante depuis au moins une décennie. Ces colos apprenantes sont des séjours labellisés regroupés sur une plateforme et disposant d’une aide financière importante. Le dispositif est salué et accompagné par des gros acteurs des colos. Les colos apprenantes doivent permettre au secteur de passer la crise économique et à des enfants de partir en vacances.

Le dispositif n’a pas empêché l’effondrement de la fréquentation à l’été 2020. Sans doute, le ministère de l’Éducation nationale, dont dépendent les colos, espère que l’été 2021 verra plus d’enfants partir, mais la crise est profonde : manques de personnels disponibles, de saisonniers diplômés, mais aussi de sens dans l’action, de réflexion pédagogique et d’un modèle éducatif en phase avec les enjeux du moments. Si les « colos apprenantes » est une politique publique importante en termes de moyen, elle décrit aussi une forme de séjour très traditionnel et ne permet pas de traiter en profondeur les crises de sens et humaines qui existent.

La période de la crise sanitaire met en exergue la fin des modèles économiques construits dans les années 1990-2000 ; elle met très fortement en question les liens humains qui permettent aux associations de colos et de classe de découverte de fonctionner. Les réponses proposées par les gouvernements successifs sont très largement insuffisantes sur le plan structurel et organisationnel. Les dispositifs mis en place depuis de nombreuses années ne font que renforcer un libéralisme concurrentiel. Or, envoyer son enfant en colo est un acte éducatif singulier ; le libéralisme (et ses outils habituels : contrats, assurances, méthodologie de projet, programmation, industrialisation et segmentation des offres) ne fait que renforcer la crise.

La crise des associations de colos et de classes de découverte ne date pas du confinement de mars 2020, mais d’au moins dix ans. Les choix politiques faits à ce sujet, loin de construire du commun ou du vivre-ensemble, fracturent notre société, fragilisent les jeunes et donc détruisent les associations et mouvements de jeunesse. Pourtant ceux-ci sont fondamentaux à la structuration de notre société et de ses solidarités. Les colos et classes de découverte sont un petit outil de politique publique, mais un outil malléable, efficace et utile pour la construction de la société à venir.

Et le potentiel pour réenchanter ces espaces d’apprentissage de la vie ensemble, du faire commun que sont les organisations de jeunesse est bel et bien présent. Au moment où l’école souffre, la laïcité est combattue et où le président parle de séparatisme, il est nécessaire de (re)construire des espaces de faire-ensemble. Espaces qui ne seront efficaces que dans le tissage du territoire par des organisations collectives, démocratiques, républicaines permettant à chaque jeune d’en rencontrer d’autres, des proches voisins, des plus éloignés, des différents, des plus âgés, des plus fragiles, des singuliers, des plus pauvres ou des plus riches.

Colos, camps, classes de découverte, une vieille crise qui dure

Depuis le milieu des années 1960, le nombre d’enfants en colos ne cesse de baisser. La crise s’est ensuite accrue dans les années 1980, pour laquelle on accuse tout un tas de facteurs : l’augmentation des vacances en famille, les séparations familiales, la peur de la mixité ou la pédophilie, les accidents qui se sont répétés, le prix ou le modèle désuet. Tous ces facteurs ont participé à l’érosion des colos et des classes de découverte. On peut ajouter aussi la disparition du patrimoine : lorsque les communes ou les comités d’entreprise ont connu des difficultés financières, il était facile de vendre les « châteaux du social », souvent placés dans des zones touristiques, pour équilibrer des budgets.

Les associations ou les communes ont régulièrement essayé d’adapter leurs propositions de colos pour les renouveler et les faire vivre. À partir du milieu des années 1980 et avec l’appui des politiques de gauche au gouvernement, les associations ont basculé dans un modèle marchand et commercial. Il fallait gagner son indépendance financière « en affichant une forte plus-value commerciale » comme l’affirme André Henry, ministre du Temps libre de François Mitterrand [1]. Chacun y va alors de la création de catalogue, de segmentation d’offres, de marketing commercial, de thématisation et autres communications permettant de vendre – de vendre des séjours de vacances comme les vend le Club Med : les associations vendent directement aux personnes riches et aux collectivités et comités d’entreprises pour les personnes ne pouvant s’offrir directement ces colos de plus en plus chères et de plus en plus segmentées.

Les colos d’hier disparaissent progressivement pour se transformer en villages de vacances pour enfants et adolescents. L’animateur, chef d’équipe bienveillant et autoritaire, laisse place à l’animateur fun et sportif. Les colos vendent du fun, du farniente, du voyage, des sports extrêmes, du Harry Potter et même de l’humanitaire. Les colos montent en gamme.

Toujours plus chères, toujours plus fun, toujours plus… et toujours moins de mixité, toujours moins de rencontres entre enfants et adolescents différents, toujours moins de finalités éducatives, ne restent que l’enveloppe du vivre-ensemble et une séparation des publics organisée.

La crise des colos est une crise lente d’un modèle qui s’est oublié et qui a vu dans le commerce sa bouée de sauvetage. Les colos n’ont jamais été du tourisme, elles ont toujours été des initiatives philanthropiques soutenues par des politiques publiques [2]. En plongeant dans le grand bain du commerce, les colos se sont normalisées et connaissent aujourd’hui la même crise que toute l’industrie du commerce – avec une énorme nuance : les colos et classes de découverte n’existent que par la rencontre entre différents enfants. Lorsque, pour des raisons sanitaires, cette possibilité n’existe plus, le sens même des colos disparaît. Dans la crise des colonies, leur survie n’était possible que parce que des enfants et des jeunes avaient envie de vivre une expérience hors de la présence d’adultes/des parents, de vivre un temps hors du temps des adultes. Quelles que soient les colos, ce temps suspendu est la seule finalité commune.

Depuis leur création à la fin du XIXe siècle, les colos ont porté des finalités fortes : sanitaires, scolaires, sociales puis éducatives. Ces finalités ont construit le champ dans sa globalité. Même si les associations et communes organisatrices étaient fortement traversées par les pensées politiques et religieuses, chaque courant de pensée a utilisé les mêmes pédagogies pour défendre ses idées : un modèle appuyé sur ce qui est désigné par les besoins de l’enfance, qui est centré sur l’adulte, lequel organise pour les enfants et les jeunes encadrés par des pairs peu ou pas formés, sur la base d’un engagement bénévole fort pour la cause de l’enfance fragile, pauvre ou vulnérable.

Progressivement, les colos sont devenues une « école du loisir » pour les enfants, mais surtout un parcours de formation important pour beaucoup de jeunes, en tant que formation hors de l’école, permettant à beaucoup de personnes de se construire, de développer des savoirs théorico-pratiques, de s’outiller politiquement et de se dessiner un avenir professionnel. Combien d’éducateur·ice·s, d’assistant·e·s social·e·s, d’instituteur·ice·s, d’infirmier·e·s, de professeur·e·s, de politiques sont passés par les colos pour se former à la rencontre, à la gestion de groupe ?

Structurée et hiérarchisée, cette formation a construit progressivement des filières de formations de militants. La Ligue de l’enseignement et la Fédération Léo Lagrange ont fourni des militants et des élus au Parti socialiste pendant des décennies ; le mouvement des Francs et franches camarades (FFC) devenu la Fédération nationale des Francas a fait de même pour les partis communiste et socialiste ; l’Institut de formation, d’animation et de conseil (Ifac) s’est construite sur une dissidence de l’Union française des centres de vacances (UFCV) par des militants centristes ; l’UFCV quant à elle a structuré les chrétiens jusqu’à sa laïcisation,  etc.

Chacune de ces fédérations s’est construite à l’après-guerre sur les colos, les patronages et les classes de découverte, à côté et avec l’école publique ou l’enseignement catholique. Même pédagogie, même méthode, même production de militants et de cadres politiques. On devenait militant politique ou syndical en étant passé par les colos, les mouvements de jeunesse ou le scoutisme.

En vendant du séjour, les organisateurs ont lâché les finalités, ont gardé la coquille et ont sauté dans la crise. Crise de fréquentation, mais aussi crise de modèle et de finalité de l’action. Sans doute pensaient-ils vendre pour être plus indépendants ; ils sont devenus prisonniers des logiques commerciales, des segmentations des offres et de la montée en gamme qui conduisent à perdre ses valeurs d’origine.

En utilisant les outils du marché, ceux du libéralisme économique, les colos ont cru qu’elles arriveraient à survivre et qu’elles arriveraient à s’adapter, peut-être même à changer une partie de la société. La crise actuelle montre que c’est le contraire qui s’est passé. Et pourtant, le gouvernement, pour aider les colos de l’été 2020, a construit un dispositif à nouveau exclusivement basé sur des outils du marché, du libéralisme économique et sur la normalisation des organisateurs.

Les marchés causent la crise, alors on remet encore plus de marchés

Avril 2020, confinement, les colos et les stages de formation ont fermé, les classes de découverte sont annulées, les organisateurs ont peur : certains arrêtent pour l’année, d’autres se battent, mais l’été s’annonce compliqué.

Le ministre de l’Éducation nationale, dont dépendent les colos, annonce début juin la création d’un dispositif d’aide pour les « colos apprenantes ». Il s’agit d’une labellisation de colonie avec un « contenu éducatif renforcé », notamment avec des modules scolaires. Le dispositif est simple : les organisateurs s’engagent à ajouter à leurs projets de séjour des modules scolaires. En échange, les enfants qui n’auraient pas les moyens bénéficient d’une aide importante pour s’y inscrire.

Progressivement et devant le mécontentement ou l’incompréhension de nombreux organisateurs de colos de cette injonction à faire école en vacances, le dispositif sera assoupli et chaque organisateur qui en fera la demande sera labellisé. Pour le cahier des charges 2021, le gouvernement indique que, pour être labellisée, une colo doit avoir « une présence significative et explicitée de temps de renforcement des apprentissages » et le séjour doit proposer «  une thématique d’activité dominante » (développement durable, art, sciences, etc.). Pour justifier que ces colos relèvent bien d’une politique publique éducative, les colos apprenantes sont adossées à l’école, elles en deviennent une prolongation.

Malgré la volonté politique du ministre Jean-Michel Blanquer, cette politique publique, la première d’envergure depuis au moins 15 ans (au regard des montants et de la volonté de changer la finalité des colos), est un échec en 2020. Le nombre de colos labellisées est resté sous les 250 000 places attendues et le nombre d’enfants réellement partis se situe autour de 65 000. L’aide au départ et la labellisation ne fonctionnent donc pas pour relancer les départs en colos.

L’idée de faire un label « colo » sûr et sécurisant pour les familles est une idée qui court depuis longtemps dans la tête des acteurs commerciaux des colos. Elle a failli voir le jour sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem, les acteurs du tourisme social organisateurs de colos l’ont défendu fortement lors d’un colloque en comparant le marché des colos au marché du vin et à ses labels. D’autres tentatives privées ont cours via les fédérations : agrément qualité UFCV ou le label UNOSEL.

Rien n’y fait, les colos ont du mal à reprendre de la vigueur, et un label ne remplacera jamais la confiance qu’un parent peut ou doit avoir dans l’organisateur pour lui confier son enfant. La peur de confier son enfant existait déjà dans les années fastes, mais les parents connaissaient les personnes qui emmenaient les enfants en colos. Cette confiance, parfois aveugle, a conduit aux pires crimes (violences sexuelles ou physiques, accidents graves). Ce n’est ni la confiance, ni la relation qui sont à remettre en cause dans ces dérives, mais la présence de personnes agresseures, la structure systémique et la pédagogie centrée sur l’adulte.

Une partie du travail a été faite, celle sur les questions de pédophilie et la vigilance sur les personnes embauchées, mais l’organisation institutionnelle des colos reste encore à travailler. La forme pédagogique, l’organisation globale du champ et le rapport aux parents et aux enfants sont aujourd’hui toujours et encore les éléments qui expliquent que même pratiquement gratuites, les colos n’attirent pas. Et un label n’y fera rien.

Pour rappel, un label est une marque distinctive créée par des acteurs pour faire valoir la qualité du produit vendu. Le label guide l’achat. Pour les colos apprenantes, le cahier des charges a été rédigé par le ministère et quelques acteurs présents lors de réunions. Ce sont les services de l’État qui devaient agréer les séjours puis les mettre à disposition des consommateurs sur le site dédié. Bref, cela place l’administration en même temps comme bureau certificateur, organe de contrôle et financeur. Est-ce vraiment le rôle de l’État ? Il y a là une dérive dans l’action du service public qui pose question. L’État crée une marque « colos apprenantes », définit ce qui en fait sa singularité, sa qualité et ensuite tente de la vendre. Résultat : 65 000 enfants qui partent. L’échec.

Est-ce à l’État de mettre en place un système de vente permettant l’accès à tous ? Quel en serait alors le coût ? la communication ? les méthodes ? Permettre à des enfants de tous milieux de partir en vacances ne relève pas d’un marché comme les autres, même piloté par une administration d’État. On ne régule pas cette égalité en utilisant les outils du marché libéral…

Dans les colos apprenantes, l’idée de faire des colos scolaires a été abandonnée. Il reste tout de même la notion de « renforcement des apprentissages » : la colonie de vacances doit être une prolongation de l’école, avec des outils communs et des activités pédagogiques plus ludiques mais identiques : lectures collectives, ateliers d’écriture, concours d’éloquence, chorale, etc. Il s’agissait-là pour le ministre Blanquer de changer les finalités des colos, de passer de colos touristico-éducatives à des colos scolaro-ludiques. L’idée des colos scolaires est loin d’être nouvelle : elle date de la fin du XIXe siècle. Edmond Cottinet, journaliste, homme de lettres et philanthrope, aidé par les courants laïcs, va créer des colonies adossées à la Caisse des écoles du IXe arrondissement de Paris, dès 1883.

Il invente une forme scolaire : des groupes d’enfants choisis « les plus pauvres entre les plus débiles, les plus méritants entre les plus pauvres », non-mixtes (comme à l’école), un nombre d’enfants important, un emploi du temps minuté, organisé et avec devoirs de vacances et des leçons de choses qui y apparaissent nombreuses. Les colos scolaires deviennent complémentaires de l’école, au sens qu’elles viennent renforcer l’école, sur la forme, sur le fond.

Le parallèle est étonnant avec les déclarations ministérielles : dans son intervention du 30 mai 2020 à Kombini, le ministre Blanquer donne aux vacances apprenantes une « dimension éducative renforcée », explique que l’encadrement peut être assuré par des professeurs volontaires. À l’Assemblée Nationale, le même ministre indique le public ciblé, « les enfants des milieux les plus défavorisés » : il espère de la mixité. Le secrétaire d’État à la Jeunesse Gabriel Attal, lui, parle précisément des enfants issus des quartiers de politique de la ville.

Au début du XXe siècle, cette forme de colonie scolaire sera abandonnée rapidement. Les autres pays européens font le choix de placements familiaux, de mouvement de jeunesse et surtout les travaux de l’éducation nouvelle viennent mettre fin à ces errements pédagogiques. Le Front Populaire, avec Jean Zay et Léo Lagrange, a d’autres ambitions pour les colos : en faire un outil de politique publique fort, un outil sanitaire et social, un outil à côté de l’école. Il faut dire que les bilans faits des expériences de Cottinet seront assez violents. Le pasteur Bion (inventeur des colos en Suisse) écrit en 1903 : « Dans les colonies municipales de Paris, la préoccupation d’enseignement conduit à des puérilités niaises et encombrantes : herbiers, collections d’insectes, de papillons, de minéraux , c’est le triomphe de l’enseignement intuitif. Et l’enfant ne trouve plus le temps pour exercer la spontanéité de son jeune esprit, pour admirer dans son ensemble l’auguste et magnifique nature, pour se laisser aller au sentiment de la vie mystérieuse des choses… »

Le militant socialiste anarchiste suisse James Guillaume explique, lui, que « le système du placement dans les familles donne à l’enfant plus de liberté, tandis que dans les “colonies”, il se trouve constamment sous la contrainte de la discipline scolaire ».

Cent ans plus tard, Jean Houssaye explique que la discipline reste celle de l’école, parlant même de véritable déviation scolaire et d’ajouter : « Il s’agit de subordonner la colonie à l’école et le bien de l’enfant à la réalité scolaire, en choisissant les colons dans la seule population scolaire, en ne voyant en eux que des écoliers prolongés, en érigeant en principe que le directeur soit un instituteur, en refusant la mixité tant chez les enfants que pour l’encadrement, en choisissant de préférence une implantation dans des écoles, en donnant la primauté à des activités scolaires ou proches de l’école. »

Si le ministre a pu penser que la forme scolaire pouvait permettre de relancer le marché des colos, il ne devait pas savoir que ce type avait suscité il y a plus d’un siècle un tel bilan catastrophique. De cette forme, il reste les séjours linguistiques, chers et souvent segmentés, pour accueillir les ados des classes favorisées. On peut aussi rappeler, pour qui a fait ce type de séjour, que le côté « apprenant » ne consiste pas vraiment dans les apprentissages délivrés dans les cours, mais bien plus dans les rencontres faites et les temps informels.

La création d’un label « colos apprenantes » ne permet pas de « mieux vendre » les colonies de vacances, l’appellation « apprenant » ne permet pas de réinventer des colos qui donnent envie aux parents d’y envoyer leurs enfants. L’idée à garder, parce qu’elle est inscrite dans l’histoire ancienne des colonies de vacances, est que les colos relèvent de politiques publiques et constituent un outil d’expérimentation pédagogique. Les colos sont nées de finalités fortes pour construire demain, elles ont inventé des pédagogies innovantes et singulières pendant le XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui où des organisateurs construisent des colos basées sur des formes singulières et différentes de la forme scolaire traditionnelle.

Construire des pédagogies pour penser la société de demain

Initiées par le pasteur suisse Bion à la fin du XIXe, les colos avaient à leur origine des finalités sanitaires. Il fallait permettre aux enfants des villes de se refaire une santé à la campagne. Il fallait coloniser les enfants des villes avec le bon air et les bonnes valeurs de la campagne ou des montagnes. Chacun imaginait, à l’époque, que la nature et la campagne permettaient de remettre sur pieds les enfants chétifs des quartiers ouvriers. Ces idées hygiénistes seront reprises par les militants socialistes, chrétiens, protestants. Chacun enverra « ses » enfants dans « ses » colos pour qu’ils se refassent une santé pendant l’été.

Les colos deviennent sociales avec le Front Populaire, elles reprennent une vision sanitaire juste à l’après-guerre, puis l’éducation nouvelle et les mouvements pédagogiques vont utiliser les colos comme lieu d’expérimentation, notamment avec la psychopédagogie, des modèles pédagogiques visant à la construction du citoyen, de l’adulte de demain. Parce que c’est en éduquant les enfants que le monde de demain sera meilleur, les colos sont utilisées (en complément / à côté de l’école) pour penser et faire vivre des expériences de société meilleures, plus démocratiques, plus mixtes, plus libres, etc.

Au cours des années 1960 et 1970, les enfants auront vécu des pédagogies Freinet, institutionnelles, Montessori, libertaires, non-directives, etc. Jean Houssaye inventera les pédagogies de la décision et la Maison de Courcelles la pédagogie de la liberté dans les années 1990 ; les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMÉA), les pédagogies par l’activité et/ou le jeu ; le mouvement de jeunesse belge les Faucons Rouges, les républiques d’enfants ; la colonie du village suisse d’Evolène, en 1973, donnera à voir et à lire ce que produit le refus de toute intervention des adultes, etc.

Lorsqu’au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, il a fallu imaginer et essayer ce que pourrait être une société différente, les colos ont été mobilisées : les communistes allaient au Centre international pour enfants Artek en Crimée, Pierre Mauroy a adapté l’éducation populaire à la société du loisir en créant la Fédération Léo Lagrange, les catholiques ont développé les patronages et les colos, le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) envoyait ses jeunes camper au Larzac. Plus récemment en 1982, Mitterrand créera les opérations anti-été chaud pour envoyer les jeunes des banlieues en colos et ainsi « éviter les flambées de violence ». Dans un article qui reprend ces expérimentations, les sociologues François Dubet, Adil Jazouli et Didier Lapeyronnie décrivent notamment comment l’une des colos organisées dans le cadre des opérations anti-été chaud a été un échec par absence de mixité et de lien avec le territoire d’arrivée.

Les colos ont toujours été à la pointe des combats politiques et pédagogiques jusqu’à la moitié des années 1980, que ce soit en France ou dans le monde. C’est près de New York, à Camp Jened en 1951 qu’apparaît le mouvement pour les droits des handicapé·e·s (récemment médiatisé par un documentaire de 2020, Crip Camp), c’est durant les colos médicales que naît l’éducation thérapeutique et dans les colos et orphelinats du pédiatre polonais Janusz Korczak que naissent, dans les années 1930, les organisations démocratiques pour et par les enfants.

Depuis, le monde de la colonie de vacances se limite à une évolution commerciale, ayant perdu ses finalités et sa volonté de changer la société. Il reste bien des militants, des associations et des organisateurs qui cherchent à faire vivre d’autres choses, d’autres enjeux, d’autres manières de « faire colo » ensemble. Les personnes qui pensent qu’emmener des enfants en colo peut changer la société sont largement minoritaires, peu (voire pas) soutenues par des politiques publiques, disséminées voire isolées, en difficulté financière, sans patrimoine utilisable, etc. La crise actuelle renforce encore un peu plus le risque de disparition de ces visions des colos. Pourtant il existe des leviers puissants qui permettraient de relancer ces réflexions.

Faire de la pédagogie

La pédagogie se définit par la mise au travail concomitante, par les mêmes personnes, dans un même lieu et dans un même temps des savoirs, des valeurs et des pratiques. En colo, la pédagogie se traduit par des idées fortes qui trouveront une traduction dans une organisation, des activités, des rituels, des manières d’être en relation entre enfants et avec les adultes encadrants. Il s’agit dans un premier temps de savoir pourquoi des adultes (les organisateurs relevant de l’association, collectivité, société, Conseil supérieur de l’éducation – CSE) souhaitent déplacer des enfants en groupe sans leurs parents pour « faire quelque chose ». Ce quelque chose devrait alors avoir un lien avec la raison du déplacement.

À cette question, Jean-Michel Blanquer répond en plusieurs points essentiellement centrés sur l’école : pour les enfants des villes, il explique qu’il faut qu’ils puissent vivre une expérience de campagne ; pour les enfants pauvres, il explique qu’ils puissent avoir accès aux loisirs et au voyage ; pour tous les enfants en difficulté scolaire, assurer une prolongation de l’école pour qu’ils ne perdent pas les acquis, etc.

Pour construire ces objectifs éducatifs, il va proposer des outils et une organisation traditionnelle où la colo et ses activités sont pensées pour et par l’adulte. On retrouve dans ce projet les sept caractéristiques de cette forme pédagogique décrite par Jean Houssaye : le maître central, la relation pédagogique impersonnelle, le besoin du maître ressenti par l’élève, la transmission d’un savoir coupé de la vie, un modèle normatif, un modèle bureaucratique, un modèle charismatique.

Dans le contexte des colos, cela devient le modèle colonial : l’adulte au centre définit tout avant même d’avoir rencontré les enfants ; la gestion de la vie collective passe toujours et exclusivement par les adultes ; les activités sont construites et mises en place pour les enfants par les adultes ; les règles de vie sont identiques et faiblement négociables par les enfants ; la bureaucratie règne et l’animateur drôle, joueur, ayant de l’autorité et de l’organisation est plébiscité.

Ce modèle pédagogique des années 1950 s’est enrichi au cours des décennies suivantes, il a vu apparaître l’individualisation (des levés, des repas), le temps calme nécessaire en lieu et place de la sieste obligatoire, les temps d’activités à la carte à la place des jeux imposés ; mais la place des encadrants, les manières de faire-ensemble n’ont pas été remises en cause, la scansion du temps en périodes prédéfinies et orchestrées est rarement questionnée, la libre circulation est uniquement possible sur certaine périodes de la journée, la décision est toujours une propriété des adultes.

Les éléments ne sont pas questionnés ou mis au travail dans les colos apprenantes, voire même, elles amplifient la forme coloniale. Là où les enfants cherchent davantage de liberté, des formes différentes de l’école pour apprendre autrement, les colos apprenantes proposent une extension de la forme scolaire. Les jeunes (animateurs et animatrices) et les parents cherchent des lieux où il possible de vivre ce que pourrait être une société post-crise sanitaire : attentive aux plus vulnérables, égale entre hommes et femmes, inclusive quelles que soient les situations, prenant soin de la terre, permettant de vivre ensemble et construisant des mixités. Les organisateurs qui expérimentent ce type de séjour soit sont hors des colos apprenantes, soit y sont par opportunité car permettant aux familles de recevoir des aides.

Les parents qui refusent ces finalités tout à fait républicaines ont déjà créé et depuis longtemps les lieux de repli. Les colos communautaires existent, les colos religieuses fonctionnent depuis plus d’un siècle, les voyages ou les activités hors de prix permettent aux riches de vivre entre eux. Les colos apprenantes viennent d’ailleurs renforcer ces séparations puisqu’elle n’impose ni mixité, ni forme ouverte, ni pédagogie de la rencontre, ni d’exclure des activités typiquement séparatrices ou genrées.

Une politique publique des colos devraient s’appuyer sur des finalités co-construites, consensuelles et républicaines et devraient permettre à chaque enfant, quelle que soit sa situation (handicap, pathologie, richesse, foi ou idées politiques, etc.) quel que soit son lieu d’origine ou d’habitation, quel que soit son sexe ou son genre, quelle que soit sa richesse, de partir en groupe mélangé pour vivre une expérience de vie collective et démocratique.

Une politique publique des colos ne peut être faite sans ce travail et avec l’ensemble des acteurs. Une telle politique ne peut se construire qu’hors d’une démarche d’appel à projet ou de label qualité qui lissent et norment les propositions de séjours. Si l’état souhaite travailler sur les rencontres et le mélange entre enfants, il est alors possible de partir de structures existantes et des communes et de définir des formes pédagogiques permettant la rencontre autour de moments de faire-ensemble : repas, cuisine, installation et construction du camp, rénovation, créations artistiques, etc., et de l’attention portée à tous, du care.

Un tel projet permettrait de séparer ce qui relève des colonies de vacances, donc de politiques publiques éducatives, de loisirs ou de vacances et ce qui relève du tourisme et de son industrie, donc du marché et du libre choix des consommateurs (parents et/ou enfants). L’État peut créer des agréments, comme par exemple l’agrément Jeunesse et éducation populaire (JEP) : il s’agit alors d’une manière pour l’État d’autoriser un organisateur à recevoir des aides pour travailler dans l’intérêt général. Pour rappel, le label est une marque qui atteste que le produit a été construit en respectant des normes. Reconnaître et autoriser n’est pas labelliser pour vendre. L’état n’est pas un labellisateur permettant d’orienter les clients vers les « bons » produits dans marché éducatif libéralisé et concurrentiel.

À l’image du tournant des années 1980, il semble nécessaire aujourd’hui de regarder les colos comme un outil permettant de construire les manières de faire société. Il convient aussi de ne pas refaire les mêmes erreurs qu’au cours du XXe siècle comme séparer les enfants en fonction des appartenances politiques ou religieuses de leurs parents. Il convient aussi d’être particulièrement vigilant aux dérives des logiques de marchés qui laissent croire que le client est libre, alors qu’il est soumis aux offres et marketing publicitaires et à la segmentation (donc aux séparations) des publics.

À l’exemple du Front Populaire, il semble nécessaire de considérer les colonies de vacances comme un outil indispensable à la construction d’une République libre, égale et solidaire où chacun peut vivre librement ses croyances avec les autres, c’est-à-dire laïque.

 


[1] André Henry, Serviteurs d’idéal. Les bâtisseurs, t.2, Fédération nationale d’éducation, 1987.

[2] Julien Fuchs, Le Temps des jolies colonies de vacances. Au cœur de la construction d’un service public, 1944-1960, Presses universitaires du Septentrion, 2020.

Jean-Michel Bocquet

Pédagogue, Enseignant à l'université Sorbonne Paris Nord, directeur du Mouvement rural de jeunesse chrétienne

Notes

[1] André Henry, Serviteurs d’idéal. Les bâtisseurs, t.2, Fédération nationale d’éducation, 1987.

[2] Julien Fuchs, Le Temps des jolies colonies de vacances. Au cœur de la construction d’un service public, 1944-1960, Presses universitaires du Septentrion, 2020.