Transcendance, totalitarisme et démocratie

La mort de Dieu ou prétendue telle – il eut fallu une proclamation urbi et orbi, réellement catholique, pour que le décès ait été authentiquement divin, et non simplement régional et humain – n’a pas fait disparaître le divin, mais en a bien plutôt multiplié les incarnations. Bertrand de Jouvenel, dans Du Pouvoir[1], avait déjà montré en quoi le retrait européen de Dieu avait ouvert la possibilité des totalitarismes, pour la simple raison que la posture laïcisée du commandement, du surplomb politique sur une société, pouvait dès lors être appréhendée en dehors de toute limite à l’agir humain, limite à laquelle l’idée de Dieu était consubstantielle.
Les prétentions à disposer d’un pouvoir qui vous place au-dessus de toute autre partie de la société, de toute instance, de toute considération possible, et donc au-dessus des normes communes, n’ont en effet pas manqué depuis lors. L’éloignement de Dieu des esprits comme de l’histoire a ainsi ménagé l’émergence de transcendances de substitution. Le communisme, le nazisme furent en ce sens des dieux ; Raymond Aron parlait quant à lui de « religions séculières[2] ».
L’impérialisme de marché, selon l’expression de Michael Walzer[3], constitue également une manière de religion séculière ; le transhumanisme pourrait en devenir une autre. Cette multiplication des expressions divines dont a accouché la modernité a fini par se fondre dans la soupe religieuse de la globalisation. Les -ismes côtoient désormais Allah, Bouddha, les divinités hindoues, le dieu des Évangéliques, etc. ; l’Islam a d’ailleurs fini par engendrer dans ce contexte global, à notre corps défendant toutefois, un -isme bien de chez nous, l’islamisme.
Ces dieux nouveaux ou rhabillés sont autant de surplombs, de transcendances présumées, à partir desquels il devient loisible de prétendre imposer un ordre dérogeant puissamment aux règles de la morale commune, laquelle renvoie à l’universalité de la règle d’or[4] : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrai