Politique

L’agitation de la chimère « wokisme » ou l’empêchement du débat

Philosophe

Wokisme est un néologisme malin : employé comme nom, il suggère l’existence d’un mouvement homogène et cohérent, constitué autour d’une prétendue « idéologie woke ». Ou comment stigmatiser des courants politiques progressistes pour mieux détourner le regard des discriminations que ceux-ci dénoncent. D’un point de vue rhétorique, le terme produit une version totalement caricaturée d’un adversaire fantasmé.

Alors que je commence à écrire ce texte, je suis presque surpris de voir mon correcteur automatique – qui est pourtant aux avant-postes des évolutions de notre langue – souligner en rouge le terme même sur lequel porte mon propos : wokisme. Ce refus d’obstacle informatique met immédiatement le doigt sur un trait essentiel des controverses liées à cette pseudo-notion : il s’agit d’un néologisme récent et à peine français visant à court-circuiter les termes classiques du débat public sur les questions liées à l’immigration et aux discriminations que subissent les différentes minorités.

Nous avons assisté à un véritable blitzkrieg sémantique : on a échafaudé de toutes pièces un mot pour le diffuser massivement dans le débat public, avant même d’avoir laissé quiconque s’interroger sur sa pertinence ou tenter de l’expliquer. D’où la situation que nous constatons aujourd’hui : la gauche, visée par ce terme quant à ses revendications dites « sociétales », est prise de vitesse, à tel point que certains de ses représentants politiques finissent même par reprendre le mot à leur compte, ajoutant un ferment de discorde supplémentaire à une constellation partisane déjà sinistrée.

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Tout se passe alors comme si la droite conservatrice et l’extrême droite avaient gagné une bataille de plus dans la guerre des idées. Il resterait alors simplement à prouver que le « wokisme » correspond véritablement à une « idée » politique. Or il n’en est rien : c’est un artifice purement rhétorique auquel il est bien difficile de trouver un contenu déterminé, et dont l’omniprésence médiatique, mais plus généralement publique (au double sens du terme, puisque le terme est maintenant repris par de nombreux hauts responsables), condamne une part croissante des débats à l’inanité. Il conviendrait donc, pour le bien de ceux qu’il vise comme pour celui de ceux qui l’utilisent, de le ranger définitivement dans le tiroir des inventions lexicales sans lendemain.

Le paralogisme élémentaire sur leque


[1] Il existe certes le mot wokeness, mais il s’agit alors de tout autre chose : le suffixe anglais -ness désigne plutôt un état, au fond ici « l’éveil », « l’état éveillé », alors que le suffixe français -isme, dans un tel contexte, suggère l’existence d’un mouvement, d’un courant, d’une école de pensée, etc.

[2] Voici un exemple, parmi bien d’autres possibles, de ce genre de confrontations : Interdit d’interdire, « Qu’est-se cache derrière le “wokisme” ? », émission du 20 octobre 2021 avec Albin Wagener et Pierre Valentin.

[3] Olivier Christin, « Duel au soleil des médias : Zemmour et Mélenchon », AOC, 23 septembre 2021.

[4] Certains observateurs états-uniens font eux aussi état d’un remplacement de la critique du political correctness par celle des woke, comme le linguiste John McWhorter : « How Woke Became an Insult », New York Times, 17 août 2021

Valentin Denis

Philosophe, Agrégé de philosophie, élève à l'ENS Ulm

Mots-clés

Cancel Culture

Notes

[1] Il existe certes le mot wokeness, mais il s’agit alors de tout autre chose : le suffixe anglais -ness désigne plutôt un état, au fond ici « l’éveil », « l’état éveillé », alors que le suffixe français -isme, dans un tel contexte, suggère l’existence d’un mouvement, d’un courant, d’une école de pensée, etc.

[2] Voici un exemple, parmi bien d’autres possibles, de ce genre de confrontations : Interdit d’interdire, « Qu’est-se cache derrière le “wokisme” ? », émission du 20 octobre 2021 avec Albin Wagener et Pierre Valentin.

[3] Olivier Christin, « Duel au soleil des médias : Zemmour et Mélenchon », AOC, 23 septembre 2021.

[4] Certains observateurs états-uniens font eux aussi état d’un remplacement de la critique du political correctness par celle des woke, comme le linguiste John McWhorter : « How Woke Became an Insult », New York Times, 17 août 2021