La chanson du mal élu
« Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir »
Guillaume Apollinaire, 1913
45,3 % (1965), 37,5 % (1969), 43,8 % (1974), 43,2 % (1981), 43,8 % (1988), 39,4 % (1995), 62 % (2002), 42,7 % (2007), 39,1 % (2012), 43,6 % (2017).
Cette énumération austère retrace le pourcentage des voix, au regard des électeurs inscrits, que chaque président, élu sous la Ve République, a obtenu. C’est en effet l’indicateur le plus robuste, qui approche le plus le sens d’une élection : quelle proportion du corps électoral total celui qui prétend incarner l’institution présidentielle recueille-t-il au second tour ? Certes, si l’on pouvait inclure dans le calcul les non-inscrits, le total serait encore plus faible, mais, s’appuyer sur les inscrits (ce qui est rarement fait dans les commentaires politologiques) permet déjà d’y voir plus clair.

De Gaulle (1965) est au-dessus du lot ; quant aux autres, ils émargent entre 37,5 % (Pompidou 1969 : le PCF, alors à plus de 20 %, avait appelé à l’abstention) et plus de 43 % (Mitterrand 1988 et Macron 2017) ; mais 1988 et 2017 n’ont pas la même signification, tout comme les 62 % de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, qui n’ont rien d’un plébiscite (contrairement aux 65,9 % du referendum constitutionnel de 1958).
Derrière la rassurante similitude des chiffres – un président bien élu, ou assez bien élu – se cachent pourtant des réalités assez différentes, et les deux autres indicateurs, également fondés sur les rapports aux inscrits, donnent une coloration plus nuancée.
D’abord, le nombre de voix recueillies au premier tour par le futur élu dénote un affaissement de la confiance faite en première intention, à un homme.
De Gaulle est encore une nouvelle fois largement devant : 37,4 % des électeurs inscrits votent pour lui au premier tour. Quant aux autres, ils sont loin derrière, parfois très loin : Pompidou (34,6 %), VGE (27,2 %), Mitterr