Société

Le ministère de l’e-Éducation nationale

Journaliste

Fervent promoteur des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement, Jean-Michel Blanquer a contribué à la prise de pouvoir rampante des GAFAM et des industriels de la tech sur la politique éducative nationale. Cette technologisation de l’éducation cible en premier lieu le travail quotidien des personnels, enseignants et administratifs, mais aussi désormais les cerveaux des élèves, nouveaux « cobayes » de la neuropédagogie.

Depuis quelques années, les industriels (équipementiers, sociétés de services informatiques et de télécommunication) et les marchands du numérique, GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) en tête, sont montés à l’assaut de l’éducation nationale et de l’école publique, jusqu’alors considérées comme des biens communs inaliénables. Leur objectif ? Numériser, pour les marchandiser, des pans entiers du champ éducatif et de l’activité pédagogique (cours, exercices, correction, notation, aide aux devoirs…), transformant radicalement le métier d’enseignant et dépossédant dans le même temps les professeurs et la communauté éducative de leurs savoirs et de leurs savoir-faire.

Progressivement abandonné depuis une quarantaine d’années par les gouvernements successifs et les pouvoirs publics, l’enseignement – de la maternelle au lycée, et jusqu’à l’université[1] – tend aujourd’hui à devenir un vaste marché laissé à la voracité et à la cupidité des géants du numérique et d’Internet, et de la myriade de start-up de la « EdTech »[2].

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En France, Jean-Michel Blanquer, qui a réussi l’exploit de demeurer ministre de l’Éducation nationale durant tout le quinquennat d’Emmanuel Macron, est un partisan convaincu et un fervent promoteur des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE)[3]. En janvier 2018, pour la première fois dans l’histoire du ministère de l’Éducation nationale, le ministre a créé le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN)[4], plaçant à sa tête le neuropsychologue Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France et expert en apprentissages par le numérique.

Premier ministre de l’Éducation nationale à inaugurer, en novembre 2017, un fonds d’investissement dédié au secteur de l’éducation numérique (Educapital)[5], Jean-Michel Blanquer est également l’instigateur du « lab 110 bis », un « laboratoire d’innovation » créé en juin 2018 et logé au sein même du ministère, offrant « à tous les acteurs de l’Édu


[1]Thomas Bouchet et François Jarrige, « L’université sous hypnose numérique », Sciences Critiques, 17 octobre 2015.

[2]L’anglicisme « EdTech », né de la contraction d’« éducation » et de « technologie » (Educational Technology), est apparu au début des années 2010. Selon le cabinet d’audit EY (ex-Ernst & Young), les 500 start-up de la filière EdTech française ont « battu tous les records » en 2021, en atteignant un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros. Lire par ailleurs Charles de Laubier, « Les milliards affluent vers les EdTech », Le Monde, 2 septembre 2018.

[3]En décembre 2018, lors des « Assises pour l’IA à l’école », organisées par les entrepreneurs de la EdTech, Jean-Michel Blanquer a déclaré : « Nous avons au travers de l’intelligence artificielle l’opportunité de passer à une tout autre vision de l’évaluation pour la compréhension et la maîtrise des compétences étudiées aussi bien en termes de savoirs et de savoir-faire et de savoir-être, pour la mémorisation des compétences, par l’utilisation des techniques d’ancrage mémoriel différencié et là aussi le potentiel est considérable […]. La capacité à compiler les erreurs les plus courantes et les réponses à y apporter permet d’envisager la création d’un compagnon numérique de l’élève. Nous nous sommes résolument engagés dans les recherches en ce sens en vue de la diffusion de l’intelligence artificielle à l’école, partenaire et conseiller tout au long de sa scolarité, en complément du professeur. »

[4]La lettre de cadrage du ministère indique que le CSEN a pour mission de mettre en œuvre « le meilleur du savoir théorique établi par la communauté scientifique » en ayant recours aux « outils pédagogiques les plus adaptés de notre temps ».

[5]À l’occasion de cette inauguration, le ministre a prononcé un discours, dont voici un extrait : « Vous aurez au cours des années qui viennent une équipe gouvernementale qui va aller évidemment dans le sens du développement de ces EdTech. Pour des raisons évidemment hu

Anthony Laurent

Journaliste, Rédacteur en chef du site Sciences Critiques et Maître de conférences associé à l’Université Paris Cité

Notes

[1]Thomas Bouchet et François Jarrige, « L’université sous hypnose numérique », Sciences Critiques, 17 octobre 2015.

[2]L’anglicisme « EdTech », né de la contraction d’« éducation » et de « technologie » (Educational Technology), est apparu au début des années 2010. Selon le cabinet d’audit EY (ex-Ernst & Young), les 500 start-up de la filière EdTech française ont « battu tous les records » en 2021, en atteignant un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros. Lire par ailleurs Charles de Laubier, « Les milliards affluent vers les EdTech », Le Monde, 2 septembre 2018.

[3]En décembre 2018, lors des « Assises pour l’IA à l’école », organisées par les entrepreneurs de la EdTech, Jean-Michel Blanquer a déclaré : « Nous avons au travers de l’intelligence artificielle l’opportunité de passer à une tout autre vision de l’évaluation pour la compréhension et la maîtrise des compétences étudiées aussi bien en termes de savoirs et de savoir-faire et de savoir-être, pour la mémorisation des compétences, par l’utilisation des techniques d’ancrage mémoriel différencié et là aussi le potentiel est considérable […]. La capacité à compiler les erreurs les plus courantes et les réponses à y apporter permet d’envisager la création d’un compagnon numérique de l’élève. Nous nous sommes résolument engagés dans les recherches en ce sens en vue de la diffusion de l’intelligence artificielle à l’école, partenaire et conseiller tout au long de sa scolarité, en complément du professeur. »

[4]La lettre de cadrage du ministère indique que le CSEN a pour mission de mettre en œuvre « le meilleur du savoir théorique établi par la communauté scientifique » en ayant recours aux « outils pédagogiques les plus adaptés de notre temps ».

[5]À l’occasion de cette inauguration, le ministre a prononcé un discours, dont voici un extrait : « Vous aurez au cours des années qui viennent une équipe gouvernementale qui va aller évidemment dans le sens du développement de ces EdTech. Pour des raisons évidemment hu