Architecture

Critique d’une fantasy architecturale

Historienne de l'art

La construction d’un hôtel de luxe projeté par Philippe Starck à Metz, parallélépipède surmonté de la réplique d’une maison alsacienne typique du XVIIIe siècle, est un indice du processus plus vaste de transformation des espaces urbains en fictions spectaculaires. Le projet, bien que d’initiative privée, s’insère parfaitement dans l’arsenal marketing d’une ville moyenne qui, comme beaucoup d’autres en France, mise sur le ludique pour attirer les touristes, dans un grand marché concurrentiel où chacune doit trouver de nouvelles stratégies d’auto-promotion.

L’hôtel actuellement en construction résulte de l’initiative de l’investisseur mosellan Yvon Gérard, qui invita il y a quelques années le designer Philippe Starck à concevoir un projet d’hôtel pour la ville. Il fut rejoint par d’autres investisseurs[1] réunis en un consortium finançant l’opération pour un budget de plus de 20 millions d’euros.

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En 2015, sous les auspices de la municipalité et de la communauté d’agglomération, les premières images étaient présentées publiquement au Centre Pompidou-Metz, voisin du projet puisque l’hôtel se situe dans le « quartier de l’amphithéâtre », ancien quartier industriel puis terrain vague aménagé suite à l’implantation de l’antenne du musée parisien en 2010.

L’hôtel est une tour parallélépipédique, surmontée du pastiche d’une villa très cossue sise non loin de là, avenue Foch, et que le dossier de presse publié sur le site internet de Starck présente comme « une maison à l’architecture alsacienne typique du 18e siècle ». En réalité, la maison en question est une opulente demeure dessinée en 1903 par l’architecte Hermann-Eduard Heppe dans un style jouant de tous les « néo » en vogue à l’époque (néo-gothique, néo-alsacien, etc.) et située dans un quartier construit au tout début du XXe siècle, au moment où la ville appartenait à l’Empire allemand.

L’hôtel comprendra, outre les chambres, des restaurants, des bars, une salle de sport et un espace de « co-working » ; il sera exploité par le groupe Hilton, pour sa marque de luxe Curio Collection. Starck n’étant pas architecte, il s’est associé au cabinet mosellan d’Olivier Hein (Dynamo associés) pour le réaliser.

Entre-temps, la taille du bâtiment a été revue à la baisse – de quatorze à huit étages – et la façade entièrement vitrée qui devait caractériser la tour a été remplacée par un parallélépipède en béton ajouré de fenêtres avec, au sommet, le pastiche de la maison bourgeoise, lui aussi en béton. Avec ses deux toits pointus, perché au sommet de la tour de verre, ce der


[1] Notamment Christophe Lanson, expert dans la mesure des risques financiers et dans l’investissement immobilier et Joseph Châtel, co-fondateur et ancien président du groupe DNCA Finances. Source : site internet officiel de Philippe Starck.

[2] Nicolas Zaugra, « Metz donne son feu vert au projet d’hôtel de luxe signé Philippe Starck, une première mondiale », Lorraine Actu, 22 novembre 2017

[3] Marc Augé, « Un ethnologue à Center Parcs », Le Monde diplomatique (1996), repris dans L’Impossible voyage, Paris, Payot & Rivages, 2013, p. 65.

[4] La ville de Caen fournit l’offensif exemple d’une illumination bleu électrique du château de la ville, dissolvant de façon particulièrement agressive le monument réel.

[5] Projections lumineuses sur les façades des bâtiments.

[6] Sur l’histoire de ces chroniques, voir Laurette Michaux, « Le Graoully, entre histoire et imaginaire », in Jean-Marie Privat (dir.), Dans la gueule du dragon : histoire, ethnologie, littérature, Sarreguemines, Pierron, 1999.

[7] Sur l’architecture-symbole, voir Jean-François Chevrier, « Esquiver le design », conférence donnée en 2002 à l’École d’architecture de Marseille et parue dans Chris Younès (dir.), Art et philosophie, ville et architecture, Paris, La Découverte, 2003.

[8] Sur l’histoire de l’aménagement de ce quartier, voir Françoise Fromonot, « Metz, ville générique », Criticat, no 7, mars 2011, p. 5-27.

[9] Bernard Vouilloux, « Éléments pour l’archéologie d’une notion », dans La Fantaisie post-romantique, textes réunis et présentés par Jean-Louis Cabanès et Jean-Pierre Saïdah, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003, p. 19-58.

[10] On lit ainsi dans l’Athenaum (1798-1800), no 433 (sans attribution) : « L’essence du sentiment poétique réside peut-être dans la faculté de s’affecter uniquement à partir de soi-même, de se bouleverser pour rire et de s’adonner sans motif à la Phantasie. » In Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme alle

Bénédicte Duvernay

Historienne de l'art, Professeure à l'École supérieure d'art de Lorraine

Notes

[1] Notamment Christophe Lanson, expert dans la mesure des risques financiers et dans l’investissement immobilier et Joseph Châtel, co-fondateur et ancien président du groupe DNCA Finances. Source : site internet officiel de Philippe Starck.

[2] Nicolas Zaugra, « Metz donne son feu vert au projet d’hôtel de luxe signé Philippe Starck, une première mondiale », Lorraine Actu, 22 novembre 2017

[3] Marc Augé, « Un ethnologue à Center Parcs », Le Monde diplomatique (1996), repris dans L’Impossible voyage, Paris, Payot & Rivages, 2013, p. 65.

[4] La ville de Caen fournit l’offensif exemple d’une illumination bleu électrique du château de la ville, dissolvant de façon particulièrement agressive le monument réel.

[5] Projections lumineuses sur les façades des bâtiments.

[6] Sur l’histoire de ces chroniques, voir Laurette Michaux, « Le Graoully, entre histoire et imaginaire », in Jean-Marie Privat (dir.), Dans la gueule du dragon : histoire, ethnologie, littérature, Sarreguemines, Pierron, 1999.

[7] Sur l’architecture-symbole, voir Jean-François Chevrier, « Esquiver le design », conférence donnée en 2002 à l’École d’architecture de Marseille et parue dans Chris Younès (dir.), Art et philosophie, ville et architecture, Paris, La Découverte, 2003.

[8] Sur l’histoire de l’aménagement de ce quartier, voir Françoise Fromonot, « Metz, ville générique », Criticat, no 7, mars 2011, p. 5-27.

[9] Bernard Vouilloux, « Éléments pour l’archéologie d’une notion », dans La Fantaisie post-romantique, textes réunis et présentés par Jean-Louis Cabanès et Jean-Pierre Saïdah, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003, p. 19-58.

[10] On lit ainsi dans l’Athenaum (1798-1800), no 433 (sans attribution) : « L’essence du sentiment poétique réside peut-être dans la faculté de s’affecter uniquement à partir de soi-même, de se bouleverser pour rire et de s’adonner sans motif à la Phantasie. » In Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme alle