Soulèvements / Égarements
Cher Georges Didi-Huberman,
J’ai lu votre article dans AOC, écrit en forme de lettre ouverte, avec les mêmes sentiments qui vous ont inspiré : un mélange d’amitié, de gratitude et d’irritation. Les observations critiques que j’adresse dans mon dernier livre à l’exposition que vous avez dirigée en 2016 au Jeu de Paume, Soulèvements, à savoir qu’elle « privilégiait les aspects esthétiques des soulèvements au point d’en estomper la nature politique[1] », vous semblent injustes et injustifiées, car fondées sur une incompréhension de ses visées et, plus en général, de votre démarche méthodologique. Dit plus simplement, je devrais apprendre à lire les images, en prenant le temps de les regarder.

Vous évoquez le positionnement politique qui nous rapproche, celui de deux personnes qui se situent « du même côté, comme on dit, de la barricade », et soulignez les affinités entre mon histoire culturelle des révolutions et vos propres « tentatives issues de la Kulturwissenschaft d’Aby Warburg ». Vous me reprochez cependant une incapacité de « regarder dialectiquement » les images, en parvenant en dernière analyse à une histoire culturelle boiteuse, car dépourvue de « temporalisation dialectique[2] ». Je ne doute pas du sentiment « fraternel » qui vous anime et que je partage, mais je ne suis pas convaincu par vos critiques.
Au contraire, elles me semblent intéressantes précisément car elles révèlent deux conceptions différentes de la dialectique des images et de la place qu’elles peuvent occuper dans une histoire culturelle de la révolte et des révolutions ou, comme vous dites, des « soulèvements ». Je ne suis pas un historien des images, mais dans plusieurs de mes livres, les derniers en particulier, je travaille aussi avec des « images de pensée » en m’appuyant sur votre œuvre lorsque cela me semble utile, mais en m’éloignant aussi de certains de ses postulats. Votre critique m’offre l’occasion d’expliciter cet écart.
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Je commencerai, avant d’aborder toute question