Éducation

Quel avenir pour l’enseignement professionnel initial ?

Économiste

Après l’école, c’est l’enseignement supérieur qui devient la victime de la fibre entrepreneuriale. Destinées à valoriser la formation professionnelle, les réformes de Macron servent en réalité à répondre à la volonté des employeurs de soumettre les lycées professionnels aux besoins immédiats de leur entreprise. D’où la crainte d’une baisse de la qualité des formations dispensées et d’une perte de motivation à la fois du côté des enseignants et de celui des élèves.

Le 13 septembre dernier Emmanuel Macron présentait lors d’un déplacement au lycée professionnel Éric Tabarly des Sables-d’Olonne les grandes lignes de son projet de réforme de l’enseignement professionnel initial qui, chaque année, forme plus de 630 000 jeunes, soit un lycéen sur trois. L’ambition affichée par le président de la République serait de « rendre le lycée professionnel plus fort ». Ce projet s’inscrit dans la continuité des propos qu’il avait tenus lors de son entretien télévisé du 14 juillet dernier, où il indiquait qu’il « tenait beaucoup » à cette réforme qu’il inscrivait dans la bataille menée par son gouvernement pour atteindre le « plein emploi » fin 2027.

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Présenté comme un chantier « essentiel » de son second quinquennat, Emmanuel Macron cherche, par cette nouvelle réforme, à rompre avec la logique qui a prévalue depuis des décennies. En effet, nombreuses ont déjà été les proclamations gouvernementales qui se faisaient fort de réformer l’enseignement professionnel initial, sans pour autant parvenir à revaloriser cette filière toujours considérée comme une voie de relégation par les jeunes eux-mêmes, leurs familles ou les employeurs. Depuis la création du « bac pro » en 1985, on ne compte plus les gouvernements, de droite comme de gauche, qui ont ouvert ce chantier sans pour autant le voir aboutir.

Qu’en est-il dès lors de ces nouvelles mesures qui devraient entrer en vigueur dès la rentrée prochaine ? Peut-on espérer qu’elles seront à même de permettre aux jeunes très largement issus des milieux populaires (les enfants de cadres représentent seulement 7 % des élèves des lycées professionnels, contre 5 fois plus pour les enfants d’ouvriers) de se former aux métiers de demain ? Permettront-elles de redonner à la formation professionnelle initiale le rôle de soutien à une économie en mal de qualification, notamment aux niveaux ouvriers et employés qualifiés ?

Il est malheureusement permis d’en douter.

Portée en 2018 par Murielle Penicaud, alors ministre du travail, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » se fixait entre autres pour objectif de donner la priorité à l’apprentissage ; poursuivie en 2019 par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, la possibilité d’ouvrir des formations en apprentissage dans tous les lycées professionnels afin d’en faire des « Harvard professionnels », confirmait la volonté gouvernementale de faire la part belle à l’apprentissage au dépend de la formation professionnelle sous statut scolaire. Rappelons qu’en 2009, déjà, le gouvernement de Nicolas Sarkozy généralisait le cursus sur trois ans – contre quatre, auparavant – pour le baccalauréat professionnel, et amputait ainsi le nombre d’heures d’enseignement nécessaire pour obtenir ce diplôme.

Pour autant, alors que depuis des décennies les gouvernements successifs s’étaient fixé comme objectif d’atteindre, sans succès, 500 000 entrées annuelles en apprentissage, fin 2022 un million de jeunes devraient être formés dans les centres de formation d’apprentis (CFA) dont les modalités d’ouverture ont été libéralisées. Depuis 2018 une entreprise, ou un centre de formation, peuvent en effet librement ouvrir un centre d’apprentissage, voire créer leurs propres certifications, sans avoir besoin d’obtenir un accord préalable de la part des Régions qui jusqu’alors étaient chargées de réguler l’offre de formation.

Pour autant, cette envolée inédite des entrées en apprentissage s’explique largement par les aides financières accordées aux employeurs, sans contreparties en termes de qualité de la formation dispensée. Ainsi, depuis 2018 tous les employeurs d’apprentis préparant un diplôme allant du CAP à la licence professionnelle, bénéficient d’une aide financière dont le montant varie de 5 000 euros pour les mineurs à 8 000 euros pour les adultes. À ces aides pérennes s’ajoutent depuis juillet 2020 des aides exceptionnelles liées au plan France relance décidé à la suite de la crise sanitaire dont la durée, fixée initialement à juin 2022, a été repoussée à la fin de l’année. L’ensemble de ces aides induisent un coût du travail nul, ou réduit à seulement 20 % du salaire brut, pour l’embauche des apprentis de moins de 25 ans.

Face à cette transformation profonde du cadre de la formation professionnelle initiale, l’ensemble des organisations syndicales de l’enseignement professionnel, hormis la CFDT, ont appelé 18 septembre dernier à une mobilisation contre « la baisse du volume des enseignements et un projet « adéquationniste » pour l’orientation des jeunes ». L’un des enjeux gouvernementaux est en effet de caler l’enseignement professionnel sur les besoins immédiats des employeurs, et de parvenir ainsi à une meilleure adéquation entre les certifications proposées par la carte des formations et les offres d’emploi non pourvues. Cette réforme répond en fait à une demande récurrente du patronat, que ce soit pour l’enseignement professionnel initial que pour les formations dispensées aux adultes dans le cadre de la formation continueC’est d’ailleurs ce qu’indique Pierre Burban, de l’Union des entreprises de proximité, qui note qu’une telle réforme s’avère indispensable « surtout dans une période où les tensions de recrutement s’accentuent et touchent quasiment l’ensemble de nos adhérents, des commerces de bouche à l’hôtellerie-restauration en passant par le bâtiment. »[1]

Derrière un discours supposé valoriser la formation professionnelle sous statut scolaire, se cache en réalité la volonté de soumettre les lycées professionnels aux besoins immédiats des employeurs. Le fait d’avoir mis pour la première fois le ministère délégué à l’enseignement professionnel (confié à Carole Grandjean) sous la double tutelle d’Olivier Dussopt ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion et de Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, symbolise cette nouvelle orientation.

Éric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) s’en félicite d’ailleurs lorsqu’il indique que : « Si l’éducation nationale et les lycées professionnels s’adaptent à la demande des chefs d’entreprise dans les bassins d’emplois, nous ne pouvons que nous en réjouir ». Pour autant, ce dirigeant patronal appelle à surmonter « une forme de défiance culturelle » de la part des enseignants qui considèreraient (à tort selon lui) que : « leur rôle est tout autant de former des citoyens que de placer les jeunes au service des patrons. »[2] Cette orientation adéquationniste entre formation et emploi est d’autant plus regrettable qu’il faut remonter à 2001 pour trouver, en la personne de Jean-Luc Mélenchon, un ministre délégué chargé uniquement de la formation professionnelle initiale, ce qui constitue un geste fort de la part de l’exécutif actuel, mais qui malheureusement se traduira concrètement par une baisse de la qualité des formations dispensées.

Sous prétexte de favoriser les synergies entre la voie scolaire et le monde de l’apprentissage, « pour que les deux systèmes jouent la carte de la complémentarité », on peut en effet penser que les effets de la future réforme seront plutôt ceux d’une mise en concurrence forcée entre ces deux types de formation, voire une remise en cause de l’enseignement professionnel initial sous statut scolaire. La formation professionnelle initiale, pensé à l’origine comme devant allier étroitement enseignement technique et général, est largement percutée par le choix de l’exécutif de réduire le nombre d’heures d’enseignement au profit des stages en entreprises (dont la durée pourra augmenter de moitié)[3].

Une telle décision risque fort d’aller à l’encontre des besoins d’éducation des jeunes les moins dotés culturellement et socialement. La population active, et les jeunes notamment, seront en effet amenés dans les années à venir à aborder de nouveaux métiers, ou à changer plusieurs fois de métiers au cours de leur carrière professionnelle, ce qui supposera une capacité à maitriser les savoirs fondamentaux permettant ces évolutions professionnelles. De plus, une telle orientation apparait contradictoire avec les besoins futurs de l’économie, notamment dans certains secteurs comme l’aéronautique, les énergies renouvelables, l’industrie agro-alimentaire ou le bâtiment qui, sous l’impact de la crise environnementale et de la révolution numérique, vont être amenés à faire évoluer en profondeur la qualification de leurs salariés, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte d’une nécessaire relocalisation de la production.

Dans le même esprit, une des premières mesures proposées par le Président Macron consiste à introduire, dès la classe de cinquième, des séquences d’une durée d’une demi-journée ou d’une journée appelées « Avenir professionnel ». L’idée est d’informer les jeunes élèves sur la réalité du monde du travail et sur les besoins des entreprises des bassins d’emploi dont ils dépendent. En réalité, par ce biais, les employeurs entrent de pleins pieds au collège. Cette mesure qui pourrait paraître anodine, constitue en fait un premier pas vers l’introduction du patronat dans la construction des référentiels de formation au sein de l’enseignement public. C’est bien le sens des propos tenus par Emmanuel Macron lors de son déplacement en Vendée, lorsqu’il indiquait que dans les mois à venir la carte des formations devrait être révisée localement, bassin d’emploi par bassin d’emploi, ce qui impliquera notamment de fermer les sections qui ne répondraient pas aux attentes des employeurs locaux. De même le chef de l’État prévoit, afin de « rapprocher » l’école et l’entreprise, que des professionnels puissent directement dispenser des cours dans les lycées professionnels en lieu et place des enseignants.

Une vision erronée du rapport entre formation initiale sous statut scolaire et apprentissage

Alors que jusqu’à la fin des années 1980 les lycées professionnels formaient les ouvriers qualifiés dont avaient besoin les entreprises, aujourd’hui les meilleurs élèves des collèges désireux de s’orienter vers des métiers manuels se tournent vers l’apprentissage, tandis que les lycées professionnels accueillent les jeunes en grande difficulté scolaire, ou ceux refusés par les employeurs. Une telle logique accentue le phénomène d’orientation scolaire davantage subie que choisie, approfondissant encore le fossé entre ces deux filières.

Cette volonté de privilégier l’apprentissage par rapport à l’enseignement sous statut scolaire s’explique essentiellement par le postulat que l’apprentissage serait la « voie royale » vers l’emploi, alors que l’enseignement professionnel initial n’ouvrirait que rarement vers les métiers appris au lycée. Selon les chiffres donnés par le chef de l’État, deux ans après l’obtention de leur diplôme, seuls 41% des titulaires d’un CAP, et 53% de ceux sortis avec un baccalauréat professionnel en poche sont en emploi. Ce qui constituerait « un gâchis, d’autant que les entreprises ont besoin de jeunes professionnels bien formés dans les métiers manuels et techniques ».

Mais ce qu’oublient de dire les tenants du tout apprentissage, c’est que si le taux de sortie vers l’emploi des jeunes issus de cette filière de formation est supérieur à celui des élèves sortis des lycées professionnels, ce différentiel est avant tout le résultat d’un double processus. D’un côté, les taux indiqués ne prennent pas en compte les ruptures de contrat qui restent particulièrement élevées (autour de 30 %). De l’autre, ils ne s’intéressent pas à la sélection opérée par les employeurs qui, lors de l’entretien d’embauche, renvoient vers les lycées professionnels les jeunes les plus en difficulté, établissant ainsi une hiérarchie entre CFA et lycées professionnels. Une étude publiée en 2022 par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) confirme ce diagnostic. Elle indique en effet que : « 30 % des élèves des lycées professionnels sont des jeunes évincés de l’apprentissage. » Les auteures de l’étude concluent que l’apprentissage introduit de fait, en amont de la formation, un nouveau sas de sélection qui évince : « Les filles, la jeunesse paupérisée, ainsi que ceux et celles dont l’histoire est marquée par un passé migratoire »[4].

Comme le relève cette même étude : « loin de se concentrer sur le premier niveau de qualification, sur les jeunes les plus fragilisés face à l’emploi, l’apprentissage favorise ceux et celles les plus armé(e)s pour obtenir un diplôme et s’insérer sur le marché du travail ». Il n’est donc pas surprenant que les employeurs puissent se targuer de bons résultats en matière d’emploi, et que le Président Macron utilise ces résultats pour critiquer le système de formation professionnelle par la voie scolaire.

De fait, si réussite il doit y avoir en matière d’apprentissage, elle est avant tout quantitative, comme le montre les chiffres sur les entrées en apprentissage cités plus haut. Pour autant, comme le pointe un récent rapport de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE) sur le bilan de la politique de l’emploi du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, il y a fort à parier que la fin programmée des aides financières à l’apprentissage se traduise par une baisse significative des embauches, suivant la logique bien connues des effets d’aubaine. Ce rapport conclue également sur le fait que les jeunes les moins qualifiés sont les premiers perdant de la réforme de l’apprentissage, et qu’elle n’a eu aucun effet positif pour ces publics. En 2020, soit deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, le nombre d’entrants sans diplôme a en effet augmenté de moins de 6 %, alors que le total des entrées en apprentissage a bondi de près de 64 % ». L’OFCE conclue dès lors que : « L’apprentissage est massivement utilisé pour insérer dans l’emploi des jeunes qui ne rencontrent pas ou peu de problèmes ; de ce point de vue, l’apprentissage n’a guère de valeur ajoutée pour ces personnes » [5]

Cette politique du tout apprentissage n’est pas non plus sans effets négatifs sur la situation financière de l’ensemble du système de formation professionnelle en France. Concrètement, le budget de France Compétences, organisme public en charge de la gestion de l’ensemble du système de formation professionnelle des jeunes et des salariés, se trouve aujourd’hui dans une situation particulièrement critique, puisqu’il est en déficit cumulé de quelques 13 milliards d’euros. Sachant que la part de l’apprentissage dans ce déficit est particulièrement important (environ les deux tiers), on voit concrètement en quoi cette politique met directement en cause l’ensemble de l’édifice construit depuis plus de 50 ans.

C’est d’ailleurs ce que regrette un récent rapport de la Cour des comptes qui note que l’étude d’impact de la loi de 2018 ne proposait pas d’analyse de la soutenabilité financière de la politique du tout apprentissage[6]. Plus fondamentalement, la Cour s’étonne du fait que la réforme « ne corresponde pas aux objectifs historiquement associés à la politique de l’apprentissage, qui jusqu’à présent visait à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes présentant les plus bas niveaux de qualification […], ceux qui rencontrent le plus de difficulté à s’insérer sur le marché du travail ».

En conclusion il y a fort à craindre que la course à l’échalote engagée entre l’apprentissage et la formation professionnelle sous statut scolaire, instaurée sous la houlette des pouvoirs publics et la pression du patronat, se traduise par une baisse de la qualité des formations dispensées dans ces deux secteurs, au dépend des jeunes les moins qualifiés. L’instauration d’une telle concurrence en faveur de l’apprentissage risque également d’accentuer la perte de sens ressentie par les enseignants des lycées professionnels qui se fixent encore comme objectif de former des travailleurs qualifiés permettant de répondre aux besoins de l’économie, mais aussi des citoyens capables de décider de leur propre destin.


[1]  et , « Comment la réforme du lycée professionnel se prépare », le Monde, 30 juillet 2022.

[2] Idem.

[3] Actuellement les périodes de formation en milieu professionnelle durent de 12 à 16 semaines en CAP selon les spécialités. En bac professionnel elles sont de 22 semaines réparties sur trois ans.

[4] Prisca Kergoat, Dominique Maillard (coordination), Garçons et filles en apprentissage, représentations, transformations, variations, Collections le travail en débat, Octares 2022.

[5] « Le marché du travail au cours du dernier quinquennat », OFCE, Policy Brief N° 103, 17 mars 2022.

[6] Cour des comptes, « Entités et politiques publiques, la formation en alternance, une voie en plein essor, un financement à définir », Juin 2022.

Didier Gelot

Économiste, Membre de la fondation Copernic

Notes

[1]  et , « Comment la réforme du lycée professionnel se prépare », le Monde, 30 juillet 2022.

[2] Idem.

[3] Actuellement les périodes de formation en milieu professionnelle durent de 12 à 16 semaines en CAP selon les spécialités. En bac professionnel elles sont de 22 semaines réparties sur trois ans.

[4] Prisca Kergoat, Dominique Maillard (coordination), Garçons et filles en apprentissage, représentations, transformations, variations, Collections le travail en débat, Octares 2022.

[5] « Le marché du travail au cours du dernier quinquennat », OFCE, Policy Brief N° 103, 17 mars 2022.

[6] Cour des comptes, « Entités et politiques publiques, la formation en alternance, une voie en plein essor, un financement à définir », Juin 2022.