Écologie

Vers la fin des stations de ski

Sociologue

Le modèle de la station de ski est en péril face à de nouveaux enjeux, notamment celui lié au réchauffement climatique. C’est la fin de l’or blanc et le temps est venu de penser autrement l’avenir de la montagne en hiver. Le passage de « stations en résistance » vers des « stations en résilience » s’impose, en ayant bien à l’esprit que ce n’est plus la station qui fera demain le territoire mais le territoire qui fera la station.

Si hier la mono-industrie de la neige et du ski a sauvé les territoires de montagne frappés par l’exode rural et contribué à leur développement en privilégiant le modèle de la station, il semblerait que ce dernier soit aujourd’hui de plus en plus en difficulté face aux mutations environnementales, économiques et socio-culturelles.

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C’est la fin de l’or blanc et le temps est venu de penser autrement l’avenir de la moyenne montagne en hiver. Cependant, malgré ce constat de plus en plus partagé notamment lors des États généraux de la transition touristique en montagne en 2021, la réponse majoritairement apportée aujourd’hui par les acteurs en responsabilité s’inscrit le plus souvent dans une simple stratégie d’adaptation qui repose essentiellement sur un mythe et un contre-sens.

Un mythe techno-économique

Penser que le solutionnisme technologique résoudra comme par miracle tous les problèmes relève d’une douce illusion, d’une vision à court terme, et s’apparente de plus à une impasse faisant fi des travaux scientifiques sur l’augmentation des températures en altitude liée au dérèglement climatique. Les rapports du GIEC sont sans appel et prévoient une augmentation de 1 à 1,5 degrés d’ici vingt ans, ce qui va entraîner une diminution inéluctable des surfaces et durées d’enneigement (moins de 100 jours aujourd’hui contre 150 il y a 50 ans).

À altitude égale, les Pyrénées sont encore plus sensibles à cette raréfaction de la neige en raison de leur position géographique et de leur particularité climatique (effet de foehn en provenance d’Espagne). De plus, le coût économique de ces machines, de plus en plus sophistiquées, est exorbitant et contribue à augmenter le déficit d’exploitation des stations en dépit des retombées économiques indéniables pour le territoire, notamment en matière d’emplois. Il s’agit bien d’un mythe qui repose sur la rationalité technique de la station et la rentabilité économique de la neige, grâce à une perfusion permanente d’argent publique !

Un contre sens socio-environnemental

Cette façon de penser va à l’encontre également de la demande des clients à la recherche de toujours plus de sensations mais aussi de ressourcement et d’authenticité. Combien de temps encore ces derniers vont-ils trouver du sens à skier à des tarifs prohibitifs, sur des rubans blancs et étroits de neige verglacée au milieu d’une montagne pelée ?

De même, les fortes tensions actuelles sur l’eau et l’énergie ne nous encouragent-elles pas à faire preuve de davantage de sobriété. La construction de retenus collinaires toujours plus grandes pour alimenter en eau, des canons toujours plus nombreux contribue à défigurer les paysages et perturber les écosystèmes. Le récent aménagement du Grand-Bornand en Haute-Savoie qui a défrayé la chronique et fait se déplacer les forces de l’ordre, en est un bon exemple. Toute réponse qui retarde les transformations structurelles nécessaires est un non-sens socio-environnemental car les stations ne sont ni en apesanteur territoriale, ni étanches aux évolutions sociétales, ni étrangères aux enjeux écologiques. Les enneigeurs ne sont en fait aujourd’hui que de simples rustines, visant à panser les plaies d’une montagne malade.

Et ce ne sont pas les performances toujours meilleures des dameuses dans le travail de la neige ou encore les snow farming qui vont régler le problème. Dans le même sens, réaliser des travaux pharaoniques et très dispendieux pour remonter en altitude le front de neige en espérant gagner un peu de températures négatives, ou pour reconfigurer les pistes en boulevard, ou encore créer de nouvelles remontées mécaniques pour aller toujours plus haut, relèvent d’une gabegie hypermoderne d’une autre époque.

Vouloir dominer ainsi la nature, exploiter sans fin ses ressources et en planifier les usages coûte que coûte, indépendamment du contexte actuel, relève d’une hérésie écologique, d’un manque de discernement socio-culturel et d’une forme d’irresponsabilité politique.

D’une logique de station à une logique de destination

Dans cette optique il est crucial de sortir du modèle de la station qui polarise en période hivernale et sur un périmètre limité, la très grande majorité des flux de visiteurs. De nombreuses productions scientifiques remettent en cause cette entité touristique unipolaire et endocentrée et alertent aussi sur sa vulnérabilité grandissante face aux aléas climatiques, énergétiques et économiques actuels. Le temps est donc venu de ne plus envisager la station et les activités économiques qu’elle génère comme la seule et principale ressource mais comme une parmi d’autres, sur un territoire plus vaste. Ce dernier est alors valorisé touristiquement comme une destination qui repose sur un positionnement en lien avec l’identité et le projet de territoire, mais aussi sur une déclinaison de l’offre proposée autour des pratiques récréatives de nature, du bien-être et du patrimoine, afin de mettre en désir les différents lieux. Il s’agit donc de changer d’échelle en travaillant l’offre sur un périmètre élargi, en améliorant les liaisons entre les différents sites et en renforçant les projets à l’échelle valléenne, inter-valléenne et transfrontalière.

En fait, l’objectif est de ne plus considérer la montagne comme un simple terrain de jeux structuré autour de la station mais comme une destination touristique comprenant de multiples portes d’entrée symbolisées par différents aménagements (sentiers, refuges, voie verte, train d’altitude, itinérances sensorielles et récréatives, centre de balnéothérapie, station trail, espace sports loisirs de nature, équipements sportifs et culturels variés, …) des hébergements innovants et des animations attractives (événements, expositions…). En fait l’idée est d’imaginer la montagne l’hiver comme elle est pensée l’été en multipliant les attracteurs et en facilitant des modes d’entrée diversifiés, afin de capter un nouveau public.

Selon une étude du CSA publiée fin 2019 : « un vacancier sur deux qui fréquente une station ne skie pas, 56% des Français viendront toujours à la montagne l’hiver même s’ils ne peuvent pas faire de ski et pour 48% d’entre eux, le choix du lieu est déterminé par les activités hors ski ». Selon une autre étude réalisée par G2A Consulting  en 2019, ils sont de plus en plus sensibles au respect de l’environnement et estiment « que le ski est condamné car il coûte trop cher et pollue beaucoup trop. Pour 35% d’entre-eux les stations ne sont pas respectueuses de l’environnement avec une image négative des enneigeurs, des remontées mécaniques et du transport ».

D’une logique touristique à une logique de diversification et d’habitabilité

Dans cette nouvelle vision, la montagne est envisagée comme un lieu vivant, habité et capable de maintenir lorsque c’est encore possible l’activité ski à moindre frais, de renforcer les activités déjà existantes (agriculture, sylviculture, pastoralisme…) mais aussi de développer de nouvelles filières en lien avec l’environnement, les nouvelles technologies et la culture. L’objectif dans ce scénario prospectif est de diversifier les économies présentes sur le territoire en sortant de la mono-culture du ski et du tourisme et en privilégiant une montagne à vivre car porteuse d’emplois, d’équipements structurants et d’animations plurielles. La montagne ne serait plus seulement visitée et consommée de temps en temps mais habitée en permanence, en pleine conscience et en responsabilité.

Cette nouvelle stratégie de développement concerne « les migrations d’agrément » à savoir des personnes qui viennent habiter à la montagne, que ce soit à la retraite ou en continuant à travailler à la ville. Mais elle doit aussi arriver à motiver une nouvelle population, et notamment des jeunes, à s’installer en montagne afin de travailler et d’habiter au même endroit grâce au développement de la pluriactivités et de tous les services attendus en matière d’éducation, de soins et de loisirs.

Habiter les territoires de montagne est l’avenir mais cela n’est possible que si ces derniers entrent en résilience. Nous entendons par là leur capacité à se transformer par le développement d’innovations territoriales favorisant une gouvernance partenariale au sein de l’écosystème d’acteurs et générant une vraie valeur ajoutée, afin de mieux s’adapter aux crises actuelles et mieux affronter celles de demain.

La création de tiers lieux comme le développement du télétravail apparaissent comme des voies prometteuses à encourager. N’est-ce pas la meilleure façon d’envisager le futur et d’enrayer la baisse démographique et la déprise économique observables sur ces territoires ? Un modèle qui dépeuple ces territoires ne me paraît pas souhaitable et encore moins responsable. Mais pour éviter cela il est nécessaire de ne pas procéder de manière isolée par petites touches sans liens entre elles mais au contraire de transformer ces territoires en laboratoire de recherche et de créativité mobilisant des formes d’intelligence collective.

Il n’est jamais aisé de changer de modèle de référence, d’accepter la « destruction créatrice » provoquée par le développement d’innovations et de composer avec des injonctions contradictoires. Les résistances au changement sont donc compréhensibles car tout changement de paradigme prend du temps et nécessite une bascule culturelle se heurtant à des représentations historiquement construites.

Cependant, les territoires de montagne sont confrontés à un défi économique, environnemental, culturel mais aussi et avant tout politique. Il devient urgent d’anticiper la fin du modèle de la station car en 2030, il ne sera plus soutenable ni écologiquement, ni économiquement, ni culturellement. Le passage de « stations en résistance » vers des « stations en résilience » s’impose manifestement afin d’envisager autrement l’avenir de la montagne et de tracer de nouveaux horizons en ayant bien à l’esprit que ce n’est plus la station qui fera demain le territoire mais le territoire qui fera la station.

D’une transition d’adaptation à une transition territoriale responsable

Il est devenu vital de dépasser les simples adaptations technologique, marketing et environnementales pour davantage entrer en transition en exploitant mieux la diversité des ressources locales et en inventant un nouveau rapport à la montagne plus en résonance avec la beauté de ses paysages et plus en phase avec les besoins de ses habitants. Reste que toute transition s’accompagne de controverses et de conflits entre acteurs composant le système territorial et qu’il faut arriver à les dépasser. Ce n’est en rien une utopie, mais ce changement ne se décrète pas, il se programme politiquement et se construit en partageant de manière plus efficace une ingénierie de la transition et en réfléchissant sérieusement aux changements de pratiques, ainsi qu’aux reconversions et relocalisations nécessaires.

Les acteurs locaux en responsabilité ne peuvent plus ignorer les connaissances scientifiques sur la question et outrepasser la nécessité de créer une instance de concertation et de réflexion en mobilisant autour d’experts, l’ensemble des acteurs concernés. L’enjeu au final est de mieux éclairer les prises de décision, de faire les bons choix et de réorienter les investissements afin d’inventer un nouveau modèle de développement territorial. Entendre et accompagner ceux et celles qui sont sur le point de tout perdre aujourd’hui, n’a jamais signifié qu’il faille verser dans la démagogie du court-termisme. Mais au contraire nous oblige tous à retrousser les manches car l’inaction est le meilleur moyen de dépeupler encore plus les territoires de montagne. Ce sont les choix d’aujourd’hui qui conditionnent les réussites de demain. « Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue » écrivait Victor Hugo. En espérant que cette citation inspire les décideurs locaux.


Olivier Bessy

Sociologue, Professeur émérite au Collège Sciences Sociales et Humanités de l’Université de Pau