International

Occuper la ville : physique et politique du Carnaval de Rio

Philosophe et écrivain

Depuis l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil, le Carnaval de Rio a choisi son camp. Les défilés des écoles de samba ont en effet rarement été aussi ouvertement politisés qu’après 2018. Cette politisation récente ne doit cependant pas occulter le caractère politique du Carnaval depuis ses origines au milieu du XIXe siècle. Après l’annulation en 2021 et une édition 2022 reportée en avril et privée de ses cortèges de rue, les blocos et les écoles de samba ont pu défiler cette année aux dates prévues. Quelques mois après la victoire de Lula, la fête a repris ses droits sans cesser de déranger.

Vendredi 17 février, veille de l’ouverture officielle du Carnaval, cinq jours avant le Quarta-feira de Cinzas (Mercredi des Cendres), le rendez-vous était donné à 18 h à l’angle de la rue Gonçalves Ledo et de la place Tiradentes, dans le centre historique de Rio. 18 h est l’heure de la concentration. Le bloco ne se mettra en marche que deux heures plus tard. Mille et Une Nuits (Mil e Uma Noites) est un petit bloco. Ce soir-là, nous n’étions guère plus de cinq cents défilants. La place Tiradentes est à l’orée du Saara, le quartier-marché de la ville. Le jour, il grouille de touristes et de Cariocas venus faire leurs emplettes pour le Carnaval. Mais à partir de 17 h, les commerces ferment et les promeneurs disparaissent.

publicité

Au moment où la bateria commence à jouer, il pleut doucement et le quartier est désert. Le chef de Balancia Mas Não Cai (On se balance mais on ne tombe pas) – l’ensemble de percussions amateur qui accompagne Mille et Une Nuits – allume la lampe d’Aladin et la lève au-dessus de sa tête. Une fumée brune en sort sous les vivats des défilants. Le bloco est lancé. Quatre heures durant, nous avons marché et dansé dans les rues du Saara, longue série de tours et de détours qui nous ont finalement ramené à notre point de départ. Nous avons été pendant tout ce temps le seul public de cette parade faite de chants, de danses, de cuivres, de percussions, et de costumes au raffinement et à la complexité variés.

Le cours de cette marche fut cependant loin d’être constant et uniforme. Un peu plus de deux heures après s’être élancée, la batterie cessa de jouer. Après plusieurs faux-départs, le silence se fit. Quelque chose s’était rompu ou épuisé. Cela aurait pu, et aurait sans doute dû, signifier la fin du défilé mais personne n’était résolu à partir. Il apparut assez vite, toutefois, que le bloco ne pouvait être relancé depuis son centre. D’où alors ? Et comment ? Nous étions au bord d’une petite place que les défilants avaient peu à peu envahie. Dans un coin de cette place, un petit cercle s’était formé. Impossible de savoir quand. Un joueur de cavaquinho, trois chanteuses munies de maracas, une caisse claire et un tambourin. Une roda do samba minimale. Mais leur enthousiasme était tel qu’un cercle se fit autour du cercle, on reprit les chants, des musiciens du bloco les rejoignirent, un trombone, un surdo (grosse caisse), des maracas, le cercle devint un groupe, le groupe grossit, etc.

Ce moment dura presque une heure. Peu à peu, ligne après ligne, autour de ce cercle, la batterie se reconstitua. Quand elle fut complète, les musiciens qui avaient formé le cercle s’effacèrent et le bloco s’élança à nouveau et boucla son parcours dans les rues du Saara.

Cet évènement n’a rien d’exceptionnel – même s’il prend rarement une forme aussi pure – mais il mérite qu’on s’y attarde un peu. Une roda do samba (ronde de samba) est une réunion de musiciens qui, le plus souvent autour d’une table disposée à l’intérieur ou en plein air, jouent des choros et des sambas. C’est une forme de concert puisqu’un public y assiste, groupé autour de la table, mais c’est surtout l’occasion de jouer ensemble sans programme formellement établi. Il arrive que plusieurs générations de musiciens soient présentes, ce qui fait alors de la roda un lieu de transmission – moins d’un répertoire que tout le monde connaît plus ou moins que de manières de l’interpréter, de styles de jeu.

Ce que le carnaval exprime et célèbre, c’est le caractère hybride, originellement mélangé, de la culture brésilienne.

Cette forme largement improvisée serait née à la fin du XIXe siècle au sein des populations afro-brésiliennes et bahianaises de Rio. Les musiciens se réunissaient pour jouer ensemble dans les maisons et les arrière-cours les musiques du moment, particulièrement les danses européennes et cubaines qui envahissaient la ville. Choro et samba seraient nés dans ces rondes. Avant d’être des genres musicaux, ils furent des manières de jouer la musique, d’interpréter les rythmes, de phraser les mélodies[1]. « Pelo Telefone », le célèbre morceau de Donga et Sinhô, première samba à avoir été enregistrée (en 1917), aurait été composée ainsi, collectivement, dans une arrière-cour de la maison de Tia Ciata, célèbre « tante » bahianaise, place Onze.

L’origine de la roda n’est pas claire. Elle vint sans doute resignifier des formes musicales africaines que les populations d’esclaves étaient parvenues à préserver malgré la violence des acculturations qu’elles avaient subies. Mais l’on trouve des formations similaires au sein de la culture amérindienne. Dans son Tratado descriptive do Brasil em 1587, le voyageur portugais Gabriel Soares de Sousa décrit un cercle musical étonnamment proche de notre roda du Saara. Dans un chapitre consacré à la nostalgie (saudade) des Tupinambas qu’il a rencontrés dans la région de Bahia, il décrit un chœur d’Amérindiens qui chantent et dansent en cercle. La forme est responsoriale : l’un chante et les autres répondent en reprenant à chaque fois le dernier son de sa phrase. Ils dansent en battant la terre d’un pied, au rythme de trois percussions : un tambourin, une calebasse et une maraca[2].

C’est le premier enseignement de l’évènement. Le carnaval est la célébration d’un passé ancestral qui, dans le cas qui nous occupe, est celui, double, de l’Amérique précolombienne et de l’Afrique d’avant la traite. Mais également des danses européennes dont la samba est en partie issue. Ce que le carnaval exprime et célèbre, c’est par conséquent le caractère hybride, originellement mélangé, de la culture brésilienne.

Mais cette roda du Saara a également un autre sens. Elle dit la plasticité d’un bloco de carnaval, sa capacité à passer par différents états, à se dissiper avant de se reconstituer ailleurs sans rien perdre de l’énergie qui le portait. Une physique des blocos serait à faire, une physique des qualités, pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze à propos de François Châtelet, mais aussi une physique du désir. Elle décrirait la dislocation de ces blocos trop grands et trop vifs qui égrènent derrière eux une multitude de sous-groupes qui continuent de chanter et de danser loin de la batterie et du système-son, inventant à distance leur propre carnaval. Elle décrirait ce qui arrive lorsque deux blocos se rencontrent et fusionnent, ce qui se négocie à ce moment-là sans que la musique s’interrompe et sans qu’aucun mot soit prononcé. Elle décrirait ces épuisement-renaissances où un fil minimal d’énergie est maintenu vivant, couvé à l’écart par un groupe autonome jusqu’à ce que le bloco soit en mesure (ou pas) de s’en ressaisir.

Le désir est pour beaucoup dans cette plasticité où, quoi qu’il arrive, il faut continuer de danser, chanter, avancer. Un désir collectif, qui prend la forme de costumes, d’étendards et d’oriflammes ; qui s’exprime par la danse, la musique et le chant ; qui s’approprie l’espace urbain en défilant dans ses rues, drapeaux au vent ; qui assez vite n’appartient plus aux défilants mais au groupe tout entier. On a tous connu ce moment pendant le carnaval où l’on cesse de désirer quoi que ce soit, où l’on veut seulement continuer d’être là, sentir la manière dont tous les désirs se composent et s’oublient au sein du groupe en mouvement. Cette objectivation des désirs dans la matérialité du bloco, qui explique la qualité des émotions qu’on peut y éprouver et la durée de certains défilés (plus de 12 heures pour certains groupes), est une des raisons d’être du carnaval.

Il a, me semble-t-il, trois conditions : la promiscuité bienveillante des corps, cet érotisme diffus si frappant à Rio qui permet à des milliers de personnes de se toucher et de se frotter sans se connaître ; le double mouvement de la marche et de la danse, conquête douce et sans traces de la ville, mouvement induit des percussions qui nourrissent et mettent en branle les corps ; le devenir-autre que le travestissement et la scénographie mobile rend possible, l’imagination créatrice à l’œuvre dans les costumes et les chars, qui prend la forme, dans les défilés des écoles de samba, de complexes récits allégoriques.

Le Carnaval de Rio a deux faces qui ne sont pas aussi opposées qu’on pourrait le croire : les écoles de samba et les blocos de rue. Les premières défilent dans le Sambodrome, les seconds un peu partout dans la ville, du nord au sud, avec une prédilection pour le centre. Cette opposition est ancienne mais elle a pris une forme spatiale avec la construction du Sambodrome. Dessiné en 1983 par Oscar Niemeyer à la demande du gouverneur de l’État de Rio afin d’offrir aux écoles de samba un écrin monumental où elles pourraient défiler à leur aise, le Sambodrome a aussi fait du Carnaval des écoles un spectacle auquel on assiste depuis des gradins et qu’on retransmet dans tout le pays par voie télévisée. Après avoir conquis les avenues du centre-ville, et principalement l’avenue Central (renommée avenue Rio Branco en 1912) – haut-lieu de la dispute carnavalesque depuis son tracé en 1904 – les écoles les quittèrent pour l’allée bétonnée du Sambodrome.

Cette normalisation spatiale s’inscrit dans une longue histoire qu’il est impossible de retracer ici mais dont on peut énoncer certains des enjeux et dessiner les grandes évolutions. L’appropriation physique et symbolique de l’espace public, et notamment des rues et avenues du centre-ville, en fut un des principaux. Telle que la retrace Felipe Ferreira, l’histoire du Carnaval de Rio au XIXe siècle, entre 1850 et 1930, fut celle d’une « dispute » spatiale sans cesse relancée[3].

D’abord des sociétés (sociedades), clubs et bals bourgeois contre les manifestations incontrôlables de l’Entrudo, une tradition carnavalesque portugaise d’origine médiévale importée au Brésil et qui prenait la forme de lancers de boules parfumées et d’arrosages à la seringue ou au chaudron par des individus masqués. Inspirées des promenades du Carnaval de Paris des années 1830, les défilés des sociétés avec leurs chars, musiciens et danseurs, bénéficiant du soutien des autorités municipales et du régime impérial, prirent possession du centre et du sud de la ville sans jamais cependant parvenir à mettre fin aux manifestations intempestives de l’Entrudo, qui perdurèrent jusqu’au début du XXe siècle.

La conquête de l’espace symbolique du carnaval par les écoles de samba dans les années 1930 s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler l’histoire raciale de la ville, histoire qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

Dispute ensuite entre ces mêmes sociétés et des groupes venus des quartiers populaires de la ville, notamment du quartier Cidade Nova qui deviendra à partir des années 1920, autour de la place Onze, un des lieux privilégiés du carnaval populaire ; ces groupes s’appropriaient en les imitant les défilés de l’élite bourgeoise mais leur accès au centre-ville fut vite réglementé – limité à certains jours et restreint à certaines zones – voire purement et simplement interdit ; groupes eux-mêmes très divers puisqu’ils comprenaient des ranchos, des cordões, des blocos et des Zé Pereiras noms dont le sens mit un certain temps à se stabiliser mais qui reflétaient la diversité du carnaval populaire, des plus civilisés (les ranchos) aux plus sauvages (les Zé  Pereiras). Certains font encore partie du paysage du carnaval – les blocos Boitata, Bola Preta et Boi Tolo sont ainsi des cordões, groupes mieux organisés, aux batteries plus riches et aux scénographies plus complexes que la plupart des blocos de rue.

Dispute enfin entre les écoles de samba qui, d’une certaine manière, prirent la place des sociedades, et les blocos. La conquête de l’espace symbolique du carnaval par les écoles de samba dans les années 1930 s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler l’histoire raciale de la ville, histoire qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Les sociedades étaient la création et l’expression d’une élite blanche qui entendait limiter la présence des populations pauvres et noires dans le centre de Rio. L’entreprise de conquête par le défilé s’accompagna d’un ensemble de règles édictées au cours des années pour limiter, voire interdire, la pratique du carnaval par les populations afro-brésiliennes, auxquelles on attribuait une partie des déviances de l’Entrudo. Cette guerre larvée, qui fut au cœur de la politique répressive des gouvernements républicains après le coup d’État de 1889, dura jusque dans les premières décennies du XXe siècle où plusieurs évolutions majeures en modifièrent profondément les enjeux.

Pour le dire très vite, c’est au cours de cette période que l’identité brésilienne se constitua comme identité doublement hybride : « tri-ethnique » d’un côté (européenne, africaine, amérindienne) ; civilisée (bourgeoise) et primitive (populaire) de l’autre. Cette nouvelle identité nationale au métissage revendiqué devint à partir de la fin des années 1930 l’idéologie officielle de la dictature nationaliste de Getúlio Vargas et de son Estado Novo. Un des effets majeurs de cette évolution a été l’inclusion des pratiques afro-brésiliennes au sein de la culture nationale, dont la samba devint un des plus précieux trésors.

L’engouement des artistes et des intellectuels blancs fut l’un des marqueurs de cette évolution. La culture brésilienne, pour paraphraser l’écrivain et poète Oswald de Andrade[4], est anthropophagique, elle se nourrit symboliquement de l’autre comme les Indiens Tupinambas se nourrissaient physiquement de leurs ennemis afin d’absorber leur valeur. Presque naturellement, les sociétés afro-brésiliennes (estaçãos) et les écoles de samba nées dans les quartiers populaires du nord de Rio à partir des années 1920 devinrent les groupes dominants du carnaval de rue : Deixa falar, Portela, Vizinha Faladeira, Mangueira (dont le nom complet est Estação Primeira da Mangueira), etc., font partie de la légende du carnaval. Chaque année, elles s’affrontent dans un concours extrêmement codifié dont une seule sort vainqueure.

Cette année, le concours a été remporté par Imperatriz Leopoldinense avec une samba-enredo conçue autour de la figure de Lampião, un bandit qui écuma le Nordeste dans les années 1920 et 1930, et dont la célébrité ne s’est jamais démentie. Son éthique sociale, dit la légende, lui faisait rançonner les riches, donner aux pauvres et épargner les femmes. Dans la samba d’Imperatriz, il devient un personnage errant entre le Ciel et les Enfers. Renvoyé sur Terre, il finit par habiter les corps de ceux qui, dans le Nordeste, se souviennent encore de lui[5].

L’enredo est l’élément central des défilés des écoles de samba. On le traduit généralement par « thème » ou « récit », et c’est de fait un nouveau récit que la samba met chaque année en musique, mais il est aussi et surtout cette idée ou structure qui articule et met en tension les deux principales dimensions du spectacle que construisent les écoles de samba : celle, musicale, du chant entonné par le premier chanteur (le puxador), repris par le chœur des défilants et soutenu par les instruments de la batterie ; celle, plastique, des chars et des costumes, où s’exprime visuellement l’allégorie mise en mots dans les paroles de la samba.

Depuis quelques années, les samba-enredos des écoles sont devenues ouvertement politiques, au sens tout à fait spécifique où elles prennent parti dans les débats qui déchirent le Brésil depuis la destitution contestée de Dilma Rousseff en 2016 et l’emprisonnement de Lula en 2018. La Mangueira a ainsi invité dans son défilé 2023 la ministre de la Culture du nouveau gouvernement brésilien, Margareth Menezes. L’année précédente, Acadêmicos do Grande Rio remportait le concours avec une samba dédiée à Exu, divinité Yoruba très présente dans l’Umbanda et le Candomblé, les deux religions majeures des populations afro-brésiliennes. Dans un entretien paru sur le site Globo, Gabriel Haddad, un des deux carnavalescos (metteurs en scène) du défilé, déclarait :

« Exu est une divinité complexe, une énergie circulaire et infinie, le mouvement, la lutte, l’insubordination, le changement, qui se transforme en d’innombrables entités et qui a beaucoup à voir avec nos ancêtres. Mais il est perçu avec restriction par de nombreuses personnes ». Le thème de cette année, comme les années précédentes, vise à déconstruire cette image stéréotypée, le racisme religieux, l’intolérance et la diabolisation de religions telles que le Candomblé, l’Umbanda et les Macumbas.

Le « racisme religieux » est évidemment celui des congrégations évangéliques, qui n’ont cessé, depuis des années, de diaboliser les religions afro-brésiliennes. Les attaques contre ces pratiques se sont multipliées depuis 2016 et elles sont la plupart du temps le fait de groupes évangéliques.

Mais la samba-enredo la plus politique de ces dernières années – et la plus reprise, à tel point qu’elle fait désormais partie du répertoire du carnaval – est celle que la Mangueira composa pour le Carnaval 2019. Quelques mois après l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence, l’école qui remporta en 1932 le tout premier concours faisait de l’histoire même du Brésil le sujet de son enredo, une histoire racontée, pour reprendre l’expression de Walter Benjamin, « à rebrousse-poil ». En lieu et place de l’histoire officielle, c’est celle des esclaves, des populations vaincues ou reléguées, des révoltes populaires et des femmes assassinées que la Mangueira raconte. Une « Histoire pour endormir les grandes personnes » (« História pra Ninar Gente Grande ») dit avec ironie le titre de cette contre-narration dont une des figures est Marielle Franco, sociologue, membre du PSOL et conseillère municipale de la ville de Rio, assassinée en 2018 par deux anciens policiers militaires.

Cette politisation récente des défilés des écoles ne doit cependant pas occulter le caractère politique du Carnaval de Rio depuis ses origines. Occuper l’espace public ne serait-ce qu’en passant, mais le disputer ainsi à ceux qui en règlent l’usage, est un acte politique. Rendre public son désir en tant que construction collective – et plus généralement ce que l’ordre social tend à dissimuler ou à interdire : la nudité des corps, leurs danses, leurs frottements, leurs baisers, etc. – est un acte politique. Célébrer les ancêtres africains et amérindiens du carnaval en revêtant leurs masques et en dansant leurs danses – ce dont furent accusés cordões et Zé Pereiras au XIXe siècle est un acte politique.

La réalité du carnaval est dissensuelle. Felipe Ferreira l’a très bien montré, la dispute est une des conditions de la fête. Il conviendrait toutefois d’en étendre un peu le spectre. On ne se dispute pas seulement à propos de l’occupation symbolique de l’espace, on se dispute à propos du passé qu’on choisit de célébrer, du type de désir que l’on rend public, des sons que l’on fait résonner sur les murs de la ville, etc. Comme le dit magnifiquement Chico Buarque :

Era uma canção, um só cordão

E uma vontade

De tomar a mão

De cada irmão pela cidade

 

No Carnaval, esperança

Que gente longe viva na lembrança

Que gente triste possa entrar na dança

Que gente grande saiba ser criança

[C’était une chanson, un cordão

Et une volonté

De prendre la main

De chaque frère dans la ville

Dans le carnaval, l’espoir

Que les gens éloignés puissent vivre dans la mémoire

Que les gens tristes puissent entrer dans la danse

Que les grands sachent être des enfants]

(Chico Buarque, « Sonho de um Carnaval », 1965)

Traduction par Bastien Gallet.


[1] À ce sujet, on peut lire No princípio, era a roda: Um estudo sobre samba, partido-alto e outros pagodes du journaliste et écrivain brésilien Roberto M. Moura (Editora Rocco, 2005).

[2] Tratado descriptivo do Brasil em 1587, Brasiliana, vol. 117, Companhia Editora Nacional, 1987, p. 315-316.

[3] Felipe Ferreira, L’Invention du carnaval de Rio au XIXe siècle : Paris, Nice, Rio de Janeiro, traduit du portugais (Brésil) par Patricia C. Ramos Reuillard et Pascal Reuillard, L’Harmattan, Paris, 2014. « Faire la fête, c’est disputer le pouvoir lié à l’espace. Ce pouvoir ne se manifeste ni ne se rassasie d’une conquête territoriale, mais il a besoin de (re)définir constamment la possession symbolique de l’espace. […] La fête n’a pas lieu sans que s’établisse une dispute continuelle pour le lieu de la fête, et c’est de cette dispute que surgit la tension à l’origine de l’évènement festif. La fête est dont lié à la question de l’espace-pouvoir et à la définition même du lieu festif. », p. 307-308. Les développements qui suivent doivent beaucoup à ce livre très documenté.

[4] Auteur en 1928 du célèbre Manifeste anthropophage, un des textes fondateurs du modernisme brésilien.

[5] « Il est dans toutes sortes de gens, aujourd’hui encore, fait d’un mélange qui cuit un morceau d’argile magique, un peu d’eau et le feu qui brûle comme le soleil brisé en braises. » dit le développement en prose de l’enredo.

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] À ce sujet, on peut lire No princípio, era a roda: Um estudo sobre samba, partido-alto e outros pagodes du journaliste et écrivain brésilien Roberto M. Moura (Editora Rocco, 2005).

[2] Tratado descriptivo do Brasil em 1587, Brasiliana, vol. 117, Companhia Editora Nacional, 1987, p. 315-316.

[3] Felipe Ferreira, L’Invention du carnaval de Rio au XIXe siècle : Paris, Nice, Rio de Janeiro, traduit du portugais (Brésil) par Patricia C. Ramos Reuillard et Pascal Reuillard, L’Harmattan, Paris, 2014. « Faire la fête, c’est disputer le pouvoir lié à l’espace. Ce pouvoir ne se manifeste ni ne se rassasie d’une conquête territoriale, mais il a besoin de (re)définir constamment la possession symbolique de l’espace. […] La fête n’a pas lieu sans que s’établisse une dispute continuelle pour le lieu de la fête, et c’est de cette dispute que surgit la tension à l’origine de l’évènement festif. La fête est dont lié à la question de l’espace-pouvoir et à la définition même du lieu festif. », p. 307-308. Les développements qui suivent doivent beaucoup à ce livre très documenté.

[4] Auteur en 1928 du célèbre Manifeste anthropophage, un des textes fondateurs du modernisme brésilien.

[5] « Il est dans toutes sortes de gens, aujourd’hui encore, fait d’un mélange qui cuit un morceau d’argile magique, un peu d’eau et le feu qui brûle comme le soleil brisé en braises. » dit le développement en prose de l’enredo.