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Pourquoi l’extrême droite a déjà gagné, de Saint-Brevin au PCF

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À la fin du mois de mars, le domicile du maire de Saint-Brevin était la cible d’un incendie volontaire alors qu’il était déjà visé par des menaces pour son projet de Centre de demandeurs d’asile. Le week-end dernier, Fabien Roussel fustigeait les « frontières-passoires » au congrès du Parti communiste. On connaît aussi l’« appel d’air » ou encore le « grand remplacement » : force est de constater que l’extrême droite est déjà parvenue à imposer son vocabulaire, ses cadres de pensée, son programme.

Quand il s’est exprimé à la tribune du congrès du Parti communiste à Marseille pour fustiger les gouvernements qui avaient « transformé les frontières en passoires », Fabien Roussel savait très bien ce qu’il faisait, en reprenant à son compte une des formules chéries de l’extrême droite.

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Invité à clarifier sa position le lendemain lors d’un entretien matinal, il ne s’est d’ailleurs pas privé de réclamer davantage de fermeté dans le contrôle des migrations. Comme tous ses pairs, Fabien Roussel avait sans doute lu les sondages : au moment de clôturer le congrès de son parti, il savait que 48 % des électeurs de gauche estimaient désormais qu’il y avait « trop d’étrangers en France[1] ».

Ce chiffre est en progression de 21 points (!) depuis 2018, et une note récente de la Fondation Jean Jaurès relève, à juste titre, que le clivage gauche-droite sur la question de l’immigration est beaucoup moins marqué qu’il ne l’était auparavant. On aura beau s’indigner de la petite phrase de Fabien Roussel, on aura beau rappeler que les « frontières-passoires » ont fait 441 victimes depuis le début de l’année et plus de 26 000 depuis 2014, le mal est fait : une nouvelle expression de l’extrême droite a été reprise par un responsable politique, de gauche de surcroît.

Que s’est-il passé pour que près la moitié des sympathisants de gauche estiment désormais qu’il y avait trop d’étrangers en France, alors qu’il n’étaient qu’un gros quart il y a cinq ans et que le nombre d’étrangers n’a guère augmenté substantiellement[2] dans l’intervalle ?

L’extrême droite a implanté son vocabulaire et ses cadres de pensée. L’appel d’air, autre concept de l’extrême droite sans aucun fondement scientifique, est repris partout comme justification à une politique migratoire de plus en plus répressive. Le grand remplacement, autre grigri extrémiste, inquiète plus de deux tiers des Français[3].

Tout ceci n’est pas que de la sémantique, et trouve hélas des applications dans la vie réelle. Au nom de l


[1] Adélaïde Zulfikarpasic, « L’immigration, ce grand tabou (de la gauche) », Fondation Jean Jaurès, avril 2023.

[2] En 2018, le ministère de l’Intérieur avait délivré 258 924 titres de séjour ; 277 466 en 2019 ; 223 093 en 2020 ; 273 360 en 2021 et 320 330 en 2022.

[3] 67 % des Français se déclarent inquiets d’un éventuel « grand remplacement », tandis que 61 % estiment que ce phénomène va certainement se produire. Sondage Harris Interactive réalisé du 15 au 18 octobre 2021 sur un échantillon représentatif de 2 544 personnes.

François Gemenne

Politiste, Chercheur qualifié du FNRS à l’Université de Liège, enseigne les politiques du climat et les migrations internationales à Sciences Po Paris et à l’Université Libre de Bruxelles

Notes

[1] Adélaïde Zulfikarpasic, « L’immigration, ce grand tabou (de la gauche) », Fondation Jean Jaurès, avril 2023.

[2] En 2018, le ministère de l’Intérieur avait délivré 258 924 titres de séjour ; 277 466 en 2019 ; 223 093 en 2020 ; 273 360 en 2021 et 320 330 en 2022.

[3] 67 % des Français se déclarent inquiets d’un éventuel « grand remplacement », tandis que 61 % estiment que ce phénomène va certainement se produire. Sondage Harris Interactive réalisé du 15 au 18 octobre 2021 sur un échantillon représentatif de 2 544 personnes.