Écologie

L’écologie du ruissellement

Politiste

Les One Forest Summit, One Planet Summit, One Planet Summit for Biodiversity et autres One Ocean Summit sont des grands-messes rassemblant chefs d’États, milliardaires philanthropes, stars du show business, responsables de grandes ONG vertes et think-tanks, experts en tout genre. Ils permettent à Emmanuel Macron de se payer une légitimité climatique sur la scène internationale, tout en accentuant un peu plus l’idée que les élites sont les principaux moteurs de la transition bas carbone et que leurs solutions sont les plus réalistes face à l’ampleur et l’urgence de la crise.

Les 1er et 2 mars derniers, soit quelques jours avant la sortie du dernier rapport de synthèse du GIEC (20 mars 2023), Emmanuel Macron et son homologue gabonais, Omar Bongo, coorganisaient le One Forest Summit à Libreville.

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L’objectif du sommet était de « faire progresser notre ambition collective en matière de préservation et de gestion durable des forêts tropicales » à travers une meilleure collaboration scientifique, la décarbonation des chaines de valeurs, et surtout des « mécanismes innovants pour répondre aux besoins de financement de la biodiversité ». Par mécanismes innovants, entendre crédits carbone, crédits biodiversité et autres mécanismes financiers qui permettent aux gros émetteurs de continuer le « business as usual » en rémunérant les pays du Sud pour qu’ils conservent leurs forêts tropicales et autres puits naturels de carbone et de biodiversité.

Banques multilatérales de développement, grandes ONG conservationnistes, consultants, lobbyistes et experts en tout genre, fonds d’investissement et gestionnaires d’actifs, les « carbon cowboys », ces missionnaires d’un genre nouveau, se succédèrent à l’estrade pour prêcher la bonne parole climatique au parterre de chefs d’États et de dignitaires africains réuni pour l’occasion.

Le One Forest Summit est le dernier né d’une série de sommets environnementaux internationaux – One Planet Summit (2017, 2018, 2019), One Planet Summit for Biodiversity (2021) et One Ocean Summit (2022) – organisés et portés par la France depuis la fin 2017. Lancées l’année de l’élection d’Emmanuel Macron, ces grands-messes annuelles sont indissociables de l’actuel locataire de l’Élysée. À grand renfort de slogans accrocheurs (« Make our planet great again »), de selfies avec Arnold Schwarzenegger, et de vidéos Instagram en anglais, elles participent non seulement à promouvoir l’image et les intérêts économiques et géostratégiques de la France mais aussi à dépeindre le Président français, à l’origine peu concerné par l’enjeu climatique, en « champion de la Terre » (titre qui lui sera d’ailleurs décerné par le Programme des Nations unies pour l’environnement en 2018).

Plus largement, ces sommets s’inscrivent dans le régime de gouvernance climatique incantatoire né de l’Accord de Paris où, et à défaut de mesures contraignantes, la production de « signaux » et de « momentum », les « appels à l’action » et les « engagements volontaires » constituent désormais l’alpha et l’oméga de « l’action climatique ».

Capitalisme vert et écologie spectacle

Le One Planet Summit, c’est le summum de l’écologie spectacle ; une écologie de la mise en récit, de la théâtralité et de la performance où les élites politiques, culturelles et économiques jouent les premiers rôles. C’est une écologie où l’orchestration s’articule à des « solutions » bien spécifiques : capitalisme vert à base de marchandisation de la nature, de crédits carbone et crédits biodiversité, de technosolutionnisme, de partenariats public privé (PPP), de crédits d’impôts et de prêts garantis à destination de grandes entreprises (au détriment de politiques redistributives ou interventionnistes). En s’affichant aux côtés d’autres chefs d’États, de milliardaires philanthropes, de stars du show-business, de responsables de grandes ONG vertes et think-tanks, d’experts en tout genre, d’entrepreneurs de la tech, ou de hauts fonctionnaires onusiens, Emmanuel Macron se paye une légitimité climatique sur la scène internationale, tout en accentuant un peu plus l’idée que les élites sont les principaux moteurs de la transition bas carbone et que leurs solutions sont les plus réalistes face à l’ampleur et l’urgence de la crise.

Les élites économiques, et tout particulièrement une poignée de riches entrepreneurs-philanthropes tels Jeff Bezos, Bill Gates, Richard Branson ou encore Michael Bloomberg, occupent une place de choix dans le dispositif One Planet. Leur sens des affaires, leur amour du risque, leur vision, leur ambition, leur réussite et leur altruisme, en bref leur « esprit entrepreneurial » si cher au Président de la « start-up nation », en font des figures naturelles du capitalisme vert promu lors des One Planet Summits. Par le biais de leurs fondations philanthropiques, ils soutiennent financièrement plusieurs initiatives et projets associés aux sommets successifs.

C’est le cas de Jeff Bezos, qui, à travers le Bezos Earth Fund, finance la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples[1], une coalition d’États portée par la France et le Costa Rica, et inaugurée lors du One Planet Summit for Biodiversity de 2021. Malgré son absence, l’ombre de Jeff Bezos a d’ailleurs plané sur le One Forest Summit de Libreville. Le richissime homme d’affaires, fondateur d’Amazon, et désormais chevalier de la Légion d’honneur, s’est rendu au Gabon quelques mois auparavant, en juillet 2022. Accueilli en chef d’État par le Président Bongo, il y a annoncé qu’il consacrerait 35 millions de dollars à la protection des forêts tropicales gabonaises. Ce montant fait partie d’une enveloppe d’un milliard de dollars que le Fund s’est engagé à débourser, lors d’un évènement One Planet à la COP27 à Sharm-el-Sheikh, pour préserver les principaux puits de carbone et de biodiversité de la planète.

« Make our Bloomberg great again »

Cette centralité des riches entrepreneurs-philanthropes n’est pas seulement due à leur rôle symbolique de « leaders climatiques » ou à leurs engagements financiers en faveur des initiatives et projets associés aux One Planet Summits. Elle provient aussi du fait qu’ils furent très tôt mêlés à l’effort de façonnage de Macron en porte-parole du capitalisme vert et VRP des ultra-riches engagés pour le climat. La conférence de presse du 2 juin 2017 à l’Élysée, soit quelques heures après l’annonce de Donald Trump qu’il allait sortir les États-Unis de l’Accord de Paris, est particulièrement révélatrice du rapprochement avec le Président Macron initié par ces entrepreneurs-philanthropes du climat.

Comme le relate Eleanor Randolph dans son livre The Many Lives of Michael Bloomberg, c’est Kevin Sheekey, un proche conseiller du milliardaire américain Michael Bloomberg, qui orchestra le point presse à l’Élysée en présence d’Emmanuel Macron et Anne Hidalgo[2], moment fondateur de la conversion du président des riches en président des riches pour le climat[3]. « La réalité, déclara solennellement Bloomberg sur le perron de l’Élysée, c’est que les Américains n’ont pas besoin de Washington pour remplir leurs engagements dans le cadre de [l’Accord de] Paris. […] Donc, aujourd’hui, je veux que le monde entier sache que les États-Unis respecteront leur engagement […]. Et grâce au partenariat entre les villes, les États et les entreprises, nous mettrons tout en œuvre pour continuer à faire partie du processus de l’Accord de Paris. »

Ce point presse marque le point de départ d’un double-effort de mise en scène de Michael Bloomberg en porte-étendard d’une Amérique « pro-climat » entrée en résistance face au climatosceptique Trump, et d’Emmanuel Macron en premier défenseur de l’Accord de Paris, du capitalisme vert, et plus largement, de l’ordre international libéral[4]. Et ce dans un contexte européen marqué par le Brexit au Royaume-Uni et une Angela Merkel en difficulté suite à une élection en demi-teinte en Allemagne.

Tout s’est accéléré au lendemain de cette conférence de presse. On observe notamment un accroissement des fonds philanthropiques en faveur de think-tanks et d’organismes de recherches pour « accompagner techniquement le gouvernement [français] dans l’arène internationale et dans le cadre de forums multilatéraux comme la CCNUCC et le G20 ». L’initiative One Planet Summit portée par Emmanuel Macron fait pleinement partie de cet effort d’accompagnement.

C’est Michael Bloomberg qui, par le biais de sa fondation Bloomberg Philanthropies, co-finança et coorganisa la première édition du One Planet Summit à Paris en décembre 2017. Lors du diner de gala organisé à la veille du sommet, Macron ne manqua d’ailleurs pas de saluer son nouvel ami « Mike », dont « l’engagement très fort, actif et rapide » fut déterminant et sans qui « ce genre d’évènement n’aurait pas été possible. » Le matin du sommet, et pour officialiser leur rapprochement et insister un peu sur le rôle positif des ultra-riches dans le débat, le Président français accueillait une délégation de philanthropes à l’Élysée pour une réunion de travail – parmi lesquels Bill Gates, Richard Branson, Chris Hohn, Nat Simons et bien sûr Michael Bloomberg – ; réunion au cours de laquelle il les invita à « créer un groupe de travail pour cibler et élargir le rôle de la philanthropie dans la réalisation accélérée des objectifs ambitieux de l’Accord de Paris, notamment par le développement de partenariats avec les gouvernements et les bailleurs de fonds publics[5] ».

L’écologie du ruissellement

Les One Planet Summits, c’est l’écologie pour les riches et par les riches. C’est une écologie du ruissellement où ce qui est bon pour les 1 % est censé être bon pour la planète et le reste de l’humanité. Leur contribution à l’effort de « naturalisation » du capitalisme vert comme unique horizon « raisonnable » et « réaliste » est dangereuse. En plus de dépeindre les ultra-riches en « sauveurs de la planète », les One Planet Summits participent à invisibiliser les voix discordantes, porteuses de visions alternatives de la transition bas carbone centrées sur la justice et l’équité.

Il faut impérativement permettre à des récits alternatifs d’émerger, de se diffuser et de dessiner d’autres transitions plus représentatives des besoins, des désirs et des rêves de la majorité (au lieu des seuls intérêts bassement matériels d’une petite minorité de privilégiés). L’histoire et l’actualité nous montrent que les luttes sociales et environnementales – contre des projets d’autoroutes, contre le bétonnage de zones agricoles, contre la casse du modèle social et du système des retraites – mais aussi les centres sociaux, les maisons de quartier, les bibliothèques publiques, les théâtres et autres infrastructures sociales[6], sont autant d’espaces propices à l’échange, à la création, à la diffusion et à la contestation collective des discours et des « solutions » promues lors des One Planet Summits. Cultivons ces espaces pour tracer une voie alternative de transition face à celle incarnée par Emmanuel Macron et ses amis ultra-riches.

NDLR : Édouard Morena a récemment publié Fin du monde et petits fours. Les ultra-riches face à la crise climatique aux éditions La Découverte.


[1] High Ambition Coalition for Nature and People.

[2] La maire de Paris était alors présidente du C40 Cities, le réseau des grandes villes engagées pour le climat dont le président d’honneur et principal bailleurs de fonds est… Michael Bloomberg

[3] Eleanor Randolph, The Many Lives of Michael Bloomberg, Simon & Schuster, 2021.

[4] Le président Macron était désormais présenté, à l’image de la couverture de Time magazine de novembre 2017, comme le « leader de l’Europe » et du monde libre.

[5] European Climate Foundation, sous la direction de Laurence Tubiana, « The Task Force on Philanthropic Innovation in Paris Agreement Implementation », septembre 2019.

[6] Mathieu Berger, Geoffroy Grulois, Benoît Moritz, Sarah Van Hollebeke (dir.), La Fabrique de l’infrastructure sociale. Vol. 1, Metrolab Logbook, 2021.

Edouard Morena

Politiste, Enseignant-chercheur à la University of London Institute in Paris (ULIP)

Rayonnages

Politique Écologie

Mots-clés

Climat

Notes

[1] High Ambition Coalition for Nature and People.

[2] La maire de Paris était alors présidente du C40 Cities, le réseau des grandes villes engagées pour le climat dont le président d’honneur et principal bailleurs de fonds est… Michael Bloomberg

[3] Eleanor Randolph, The Many Lives of Michael Bloomberg, Simon & Schuster, 2021.

[4] Le président Macron était désormais présenté, à l’image de la couverture de Time magazine de novembre 2017, comme le « leader de l’Europe » et du monde libre.

[5] European Climate Foundation, sous la direction de Laurence Tubiana, « The Task Force on Philanthropic Innovation in Paris Agreement Implementation », septembre 2019.

[6] Mathieu Berger, Geoffroy Grulois, Benoît Moritz, Sarah Van Hollebeke (dir.), La Fabrique de l’infrastructure sociale. Vol. 1, Metrolab Logbook, 2021.