Moderne ? Absolument !
Le titre de mon nouvel essai, je le tire des Poésies d’Isidore Ducasse, énigmatique ouvrage publié en 1870 par le jeune poète qui, l’année précédente, sous le pseudonyme de Lautréamont, avait donné Les Chants de Maldoror. Comme il le fait à plusieurs reprises dans son texte, Ducasse s’empare d’une citation classique qu’il renverse.

En tête de ses Caractères, La Bruyère avait écrit : « Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes. » Ce qui donne chez Ducasse : « Rien n’est dit. L’on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes. Sur ce qui concerne les mœurs, comme sur le reste, le moins bon est enlevé. Nous avons l’avantage de travailler après les anciens, les habiles d’entre les modernes. » Quant à ce que Ducasse signifie ainsi exactement dans ses Poésies, je crois bien que personne ne le sait vraiment.
D’ailleurs, on ne sait pas davantage quel sens donner à la phrase plus fameuse par laquelle se termine, daté d’avril-août 1873, Une saison en enfer. Trois ans après Ducasse, Rimbaud y proclame : « Il faut être absolument moderne » – « absolument » et non pas « résolument » selon une citation fautive qui, je ne sais pas trop pourquoi, traîne un peu partout. L’auteur du « Bateau ivre » adresse un « adieu » à la folie dont il fut la proie, rendu, dit-il, à « la réalité rugueuse à étreindre ». « Être absolument moderne » ? Est-ce, pour Rimbaud, renoncer à sa propre poésie, à toute poésie peut-être ou bien, plutôt, inventer une poésie nouvelle qui soit affranchie des croyances anciennes et, à qui le veut, offre la possibilité de « posséder la vérité dans une âme et un corps » ? L’un ou l’autre, l’un et l’autre ? On en discute encore et nul ne serait en mesure de le dire avec certitude.
L’impératif moderne, bien sûr, pas plus que Ducasse,