Faire de l’activité cognitive un objet d’analyse sociologique – relire Aaron Cicourel
L’essentiel de la carrière d’Aaron Cicourel s’est déroulé à l’Université de Californie, d’abord à Santa Barbara au sein du département de sociologie qu’Herbert Blumer, le père de l’« interactionnisme symbolique », y a créé en 1952 ; puis à San Diego, où il s’est installé pour fonder un département de science cognitive réunissant sociologie, philosophie, linguistique et psychologie expérimentale ; et enfin à Berkeley, au sein de l’Institut pour l’étude des questions sociales en tant que professeur émérite. À son arrivée à Santa Barbara au début des années 1950, Cicourel se lie à Harold Garfinkel, qui y était professeur assistant, avec lequel il travaille à un livre qu’ils ne finiront jamais. Erving Goffman, qui a été nommé à Berkeley en 1958, s’associe à eux pour s’opposer à la domination que le structuro-fonctionnalisme, et sa démarche quantitative, avait acquise sur la discipline à cette époque sous l’impulsion de Talcott Parsons[1].

Petit à petit, l’Université de Californie devient la Mecque d’une génération de jeunes sociologues adeptes de la méthode ethnographique disséminés à travers les Etats Unis et étudiant la délinquance juvénile, la pauvreté, la drogue, la criminalité ou la marginalité[2]. Leurs travaux vont alimenter les pages de la revue Social Problems, fondée à Chicago en 1953, véritable creuset dans lequel un courant de recherche va asseoir sa légitimité : la « sociologie interactionniste de la déviance » dont la figure centrale est Howard Becker[3].
Une sorte d’unité d’apparence va peu à peu s’imposer entre les membres de cette soi-disant « seconde école de Chicago », favorisée par le dédain de l’establishment de la profession qui ne tolère pas sa critique du pouvoir explicatif des statistiques, sa contestation des institutions de soins ou de répression et son refus de mettre ses recherches au service des autorités qui les financent[4]. Cette sociologie de la « côte ouest » sera ensuite accusée d’être à l’origine de la remise en cause des p